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30/01/2013

Structure des communautés pisciaires lacustres

Structure des communautés pisciaires lacustres

 

par Daniel Gerdeaux

Directeur de recherches à l'INRA
Président du conseil scientifique de la CIPEL
Membre du CS du comité de Bassin Rhône-Méditerranée
Membre du Conseil Scientifique Régional de Protection de la Nature de Franche-Comté

 

I. SPÉCIFICITÉ DES PEUPLEMENTS PISCIAIRES LACUSTRES

 

Les lacs constituent des habitats spécifiques dans les réseaux hydrographiques. Ils peuvent être considérés comme des «habitats insulaires» car ils constituent toujours des entités aux caractéristiques écologiques très distinctes des milieux courants avec lesquels ils sont, le plus souvent, connectés bien qu'ils aient été normalement colonisés à partir des rivières et fleuves.

 

Les périodes de colonisation sont en général brèves et suivent immédiatement les événements géologiques qui établissent des relations avec d'autres milieux aquatiques contenant des poissons. Après l'épisode de colonisation au cours duquel s'est constituée la faune piscicole initiale, la richesse spécifique peut être modifiée par des interactions interspécifiques ou des interactions entre l'environnement lacustre et les espèces présentes.

 

De plus, si le temps est suffisamment long et les biotopes lacustres variés, une colonisation additionnelle, une spéciation à l'intérieur du lac ou dans des milieux connexes peuvent accroître la diversité spécifique dans le lac.

 

La distribution des poissons d'eau douce lacustre est un des meilleurs exemples du rôle important de l'histoire géologique en biogéographie. Les lacs des zones boréales procèdent d'une formation assez récente lors de la fin des glaciations alors que dans les zones tropicales la plupart des lacs sont de formation beaucoup plus ancienne. Ces éléments sont à prendre en compte pour comprendre la structure spécifique des peuplements piscicoles des lacs.

 

1. Richesse spécifique suivant les lacs

 

Une analyse sommaire de la richesse spécifique des peuplements pisciaires lacustres semble montrer que la latitude est un élément important de la richesse spécifique. En effet, les lacs arctiques contiennent au plus 25 espèces et le plus souvent quelques unes seulement, voire une seule, alors que les lacs tempérés en contiennent jusqu'à 130 et les lacs tropicaux plus de 250. L'importance de la latitude est en réalité beaucoup plus faible quand on analyse le phénomène comme l'ont fait Barbour & Brown (1974). La régression multiple opérée entre la diversité spécifique et des variables du milieu pour 70 lacs répartis dans le monde entier, montre que 30,5% de la variabilité sont expliqués par la surface du lac alors que 3,5% le sont seulement par la latitude (fig. 1).

 

fig1_Aire-lac_richesse-specifique-poissons-450.jpg

Figure 1 : relation entre l'aire d'un lac et le nombre d'espèces de son peuplement piscicole pour 70 lacs du monde (d'après Barbour & Brown 1974).

 

La longueur relative des berges et l'altitude du lac viennent ensuite pour expliquer l'essentiel de la variabilité observée. Ceci met bien en évidence les facteurs déterminants de la richesse spécifique.

 

Un grand lac de basse altitude avec un contour digité offre une grande diversité de biotopes relativement stables qui vont permettre la colonisation de nombreuses espèces ou la spéciation de nouvelles qui vont occuper les milieux variés.

 

Dans un petit lac de moyenne altitude, la colonisation est plus limitée, les variations du milieu sont plus fortes. Cela ne facilite pas la spéciation. Ce n'est donc pas réellement à cause de leur latitude que les grands lacs tropicaux présentent une grande diversité spécifique mais à cause de leur taille, de leur diversité de biotopes et de leur stabilité. En outre, l'isolement géographique prolongé a facilité une forte spéciation (voir l'endémisme des lacs Baïkal, Tanganyika et Malawi). Dans les lacs arctiques, on trouve à l'opposé des peuplements monospécifiques : le Char Lake (Canada, 75°N, 95°W) ne contient que de l'omble. D'autres lacs, comme les lacs de montagne ne renferment naturellement aucune espèce car la colonisation n'y a pas été possible, les cascades empêchant les immigrations.

 

L'âge et la taille d'un lac sont donc les deux éléments principaux à prendre en compte pour expliquer sa richesse spécifique.

 

2. Évolution temporelle de la structure spécifique du peuplement ichtyologique

 

Un lac évolue au cours du temps ainsi que son peuplement piscicole. L'évolution naturelle se produit à des échelles de temps très longues. L'échelle naturelle la plus petite est celle des lacs formés lors de la dernière glaciation qui datent de moins de 30 000 ans. Par contre, les effets anthropiques provoquent des évolutions rapides à l'échelle de la décennie. Les réservoirs constituent des exemples d'évolution rapide.

 

Dans les lacs subalpins européens, le peuplement piscicole s'est installé après la dernière glaciation. Des espèces d'eau froide ont pu se maintenir dans ces lacs en profitant de l'existence d'une couche d'eau froide permanente en dessous de la thermocline. Il s'agit de Salmonidés qui furent sans doute les premiers poissons à coloniser les lacs libérés par la fonte des neiges. Les deux principaux genres sont les ombles (Salvelinus) et les corégones (Coregonus).

 

À l'origine, toutes les espèces étaient probablement migratrices comme le saumon aujourd'hui. Dans les régions boréales, on trouve encore des espèces d'ombles et de corégones qui migrent en mer pour effectuer leur croissance et remontent en rivière pour frayer. Les lacs subalpins ont constitué des refuges et une spéciation a pu alors s'effectuer, en particulier chez les corégones. Ils étaient peuplés de deux à quatre espèces de poissons qui disposaient de différents biotopes à l'intérieur d'un même lac. La thermocline a sans doute constitué une barrière sélective. On trouve ainsi des corégones benthiques souvent petits, avec un régime alimentaire orienté vers la faune du fond et des corégones pélagiques plus gros, planctonophages. Les premiers se reproduisent en hiver ou en été suivant les espèces alors que les seconds ne se reproduisent qu'en hiver. La température de la zone benthique de ces lacs n'atteint jamais un seuil limite pour la reproduction des poissons les peuplant alors que les poissons pélagiques ne trouvent des eaux froides propices à leur reproduction qu'en hiver. Ainsi trouvait-on au début du siècle différentes espèces de corégones dans les lacs subalpins.

 

La disparition de certains corégones benthiques au début du siècle a été attribuée à une trop forte pression de pêche, mais des travaux plus récents ont montré que certaines disparitions ou diminutions sont à attribuer à la modification de l'état trophique des lacs plus qu'à la surexploitation directe. Quand un lac est eutrophisé, le taux d'oxygène dans les eaux profondes baisse par consommation de l'oxygène lors de la dégradation de la matière organique produite en excès. De plus, une sédimentation accrue conduit au colmatage des fonds sableux ou graveleux constituant les frayères des ombles et des corégones dont les œufs restent en incubation pendant 6 à 8 semaines. La survie des embryons est compromise et le recrutement n'est plus suffisant pour assurer le maintien d'une population soumise, par ailleurs, à une forte pression de pêche. Les individus qui survivent trouvent alors un stock de nourriture d'autant plus grand qu'ils sont peu nombreux à la partager. La croissance individuelle est alors importante. Si la réglementation de la pêche n'est pas changée, la taille minimale de capture ne permet plus une espérance de vie du poisson suffisante pour une bonne reproduction.

 

On a observé ce phénomène dans le lac Léman entre 1950 et 1980. La teneur en phosphates est passée de 15 mg/l à près de 90 mg/l. La production planctonique disponible comme nourriture a augmenté dans des proportions semblables et les corégones ont grandi plus vite. En 1950, un corégone atteignait 35 cm de long et sa maturité au cours de sa 4ème année de vie au moins alors qu'en 1980 il fait cette taille à la fin de sa deuxième année et est mature l'année suivante. Il s'ensuit rapidement un déséquilibre avec diminution voire disparition de la population de corégones. Parallèlement, les espèces d'eau plus chaude peuvent se développer. Les espèces qui se reproduisent quand la température dépasse 10°C comme la perche ou 19-20°C comme beaucoup de Cyprinidés, sont moins tributaires de la qualité de l'eau pour l'incubation de leurs œufs qui dure moins d'une semaine. Les lacs eutrophes ont donc un peuplement piscicole dominé par ces espèces, qui seront alors défavorisées si le lac redevient mésotrophe quand les mesures de protection de la qualité des eaux sont prises en limitant les apports nutritifs aux lacs.

 

Dans certains cas, les espèces ajustent leur cycle biologique aux nouvelles conditions du milieu. Dans le lac de Walenstadt, en Suisse, un corégone benthique se reproduisait en été. Actuellement, I'eutrophisation l'oblige à vivre moins profondément dans le lac et, dans ces conditions, il ne trouve plus de conditions thermiques favorables à la reproduction estivale (Ruhlé 1988). Sa période de frai s'est progressivement décalée vers l'automne. La souplesse évolutive des corégones a permis cet ajustement mais cet exemple ne doit pas être généralisé. Le plus souvent, la structure du peuplement est fortement modifiée par l'eutrophisation. Des espèces peuvent disparaître, comme les corégones et l'omble, d'autres prolifèrent.

 

Dans les réservoirs, cette évolution est encore beaucoup plus rapide et spectaculaire. Le fait de barrer un cours d'eau modifie fortement le milieu. Les espèces d'eau courante disparaissent très rapidement. La mise en eau de surfaces terrestres apporte une grande quantité d'éléments nutritifs qui facilite d'autant plus le développement des espèces bien adaptées aux eaux dormantes que sont la plupart des Cyprinidés.

 

Le point de rupture du cycle biologique des espèces d'eau courante est presque toujours la reproduction. Les espèces rhéophiles déposent leurs œufs dans les sédiments, sables et graviers alors que les autres espèces pondent sur des substrats comme les herbes ou font des nids qu'elles protègent. La faible exigence de certaines espèces est un atout majeur dans ces conditions. Le gardon est un bon exemple de ces espèces ubiquistes parce que capables de se satisfaire de substrats variés pour la ponte alors que le brochet ne se reproduit que dans des conditions précises. Le gardon peut déposer ses œufs aussi bien sur des cailloux, des herbes, des racines, ou même sur des débris de plastique, alors que le brochet ne développera de comportement reproducteur que s'il rencontre une zone d'herbiers propices.

 

Un peuplement piscicole est ainsi la résultante des exigences écologiques de chaque espèce qui le compose plutôt que l'intégration de populations constituant une entité fonctionnelle dans l'écosystème. Ceci est valable pour les lacs tempérés, on ne peut pas dire la même chose pour les lacs tropicaux dans lesquels la spéciation a permis une diversification importante et un fonctionnement certainement plus intégré. Les exigences alimentaires très peu marquées chez la plupart des espèces des milieux tempérés permettent facilement des ajustements des peuplements. La truite de lac a un régime alimentaire ichtyophage de préférence. Les jeunes perches constituent la proie préférentielle quand elle est présente, mais à défaut, la truite s'attaque aux jeunes Cyprinidés. En l'absence de poissons, la truite s'alimente sur le compartiment zooplanctonique du lac, et cette nourriture crustacéenne, (riche en caroténoïdes), colore sa chair en rose.

 

3. Aménagements des peuplements par l'homme

 

La faible richesse spécifique des peuplements piscicoles lacustres des régions tempérées incite l'homme à des introductions d'espèces pour augmenter la productivité du milieu en poisson. La plupart des modifications ont commencé à la fin du XIXe siècle avec le développement de la pisciculture et la maîtrise de la reproduction artificielle des Salmonidés. Auparavant on ne connaissait pas beaucoup d'exemples de propagation d'espèces exceptée celle de la carpe qui a été réalisée dès l'époque romaine. En effet, on ne pouvait alors que transporter des poissons et non des œufs. Seules des espèces robustes comme la carpe, la tanche par exemple pouvaient faire l'objet de transports importants. Mais dès que l'on a pu transporter des œufs, de grands projets d'introduction d'espèces ont été élaborés. En réalité, il n'y a pas de miracle à attendre d'une introduction mais pas de catastrophe non plus. Quand une chaîne trophique est incomplète, il est logique de penser qu'en la complétant on peut espérer augmenter la production du compartiment ichtyologique sans changer profondément la structure du peuplement présent.

 

II. STRUCTURE SPATIO-TEMPORELLE DES PEUPLEMENTS PISCIAIRES

 

La structure thermique d'un lac évolue chaque année suivant le même schéma. Le gradient thermique vertical se met en place progressivement à partir du printemps, se déstabilise à l'automne et disparaît en hiver pour un lac monomictique. Les poissons ont des préférenda thermiques différents suivant les espèces et l'âge qui conduisent les individus à se positionner dans des zones précises au cours d'une année.

 

1. Occupation de l'espace dans un grand lac au cours d'une année

 

Pour simplifier, nous considérerons un peuplement lacustre réduit à six espèces : omble chevalier, corégone, perche, gardon, tanche et lotte. Ces espèces ont des exigences écologiques contrastées.

 

En hiver, la masse d'eau est froide et homogène. Le métabolisme des poissons est très réduit excepté pour les ombles et les corégones poissons d'eau froide qui se reproduisent en décembre : les premiers sur des graviers profonds (40-80 m), les seconds sur des fonds sableux littoraux. Les gardons adultes occupent, en bancs serrés, une zone profonde entre -30 et -50 m, mais se tiennent à proximité du fond. Les jeunes gardons de l'année s'abritent par contre en zone littorale en bancs très importants. Ce comportement est sans doute lié à la prédation. Les perches se tiennent encore plus profondément sur des fonds allant jusqu'à 80 m. Les jeunes perches occupent les mêmes zones et sont l'objet de la prédation par les lottes. En l'absence d'alevins de perches, les lottes remontent dans la zone littorale à la recherche des œufs de corégones ou descendent plus profond sur les frayères à omble (fig. 2). L'occupation de l'espace peut en effet varier en fonction des ressources alimentaires qui ne sont pas toujours les mêmes d'une année à l'autre.

figure2_structure-spatiale-peuplement-450.jpg

 Figure 2 : schémas de la structure spatiale au cours des saisons d'un peuplement piscicole fictif de six espèces adultes en lac profond (d'après Gerdeaux, 1995)


Au printemps, le zooplancton est encore assez rare et les corégones se nourrissent en partie sur le benthos en bordure du mont et les ombles plus profondément. La lotte qui se reproduit en mars, recherche des fonds propices vers 60 à 100 m. La perche se rapproche du littoral pour frayer en mai. Le gardon reste pélagique et s'approche de la couche épilimnique qui se réchauffe légèrement. La tanche reste en zone littorale après son hibernation dans des zones marécageuses à hélophytes.

 

Figure3_echosondage-Leman-450.jpg

Figure 3 : échosondage de poissons au lac Léman en septembre, montrant la stratification verticale des poissons. Les petits gardons se tiennent à proximité de la surface, les perches en dessous (vers 15 m), les gros gardons sont à la limite de la thermocline (vers 30 m). Une capture au chalut a permis de vérifier ces identifications. Les échos proches du fond sont probablement ceux d'ombles chevaliers.

 

En été, la thermocline compartimente verticalement le milieu, mais ne constitue pas une barrière (fig. 3). Les ombles et surtout les corégones la franchissent parfois au cours d'un nycthémère. Les ombles restent toujours à proximité du littoral alors que les corégones se tiennent dans la partie pélagique ainsi que les gardons après leur reproduction, en juin, le long des berges. La perche adulte reste sur le mont au-dessus de la thermocline alors que les alevins après un mois passé au littoral gagnent la pleine eau. La lotte est toujours sur le fond entre 20 et 60 m et la tanche qui a une reproduction fractionnée reste tout l'été dans les zones littorales leur reproduction, en juin, le long des berges. La perche adulte reste sur le mont au-dessus de la thermocline alors que les alevins après un mois passé au littoral gagnent la pleine eau. La lotte est toujours sur le fond entre 20 et 60 m et la tanche qui a une reproduction fractionnée reste tout l'été dans les zones littorales enherbées.

 

À l'automne, quand la thermocline commence à se déstabiliser, on retrouve une situation proche de celle observée au printemps, mais le zooplancton est suffisamment abondant pour que le corégone et le gardon restent plus au large qu'au printemps.

 

2. Importance de la répartition spatiale dans les relations inter- et intraspécifiques

 

Le positionnement des différentes espèces dans la masse d'eau en fonction principalement de la structure thermique diminue les relations entre les différents composants du peuplement piscicole. Les gardons et corégones sont planctonophages en été. Ils partagent ainsi les mêmes ressources trophiques durant une période qui va de mai à octobre (proies principales ingérées : Daphnia sp., Leptodora kindtii et Bytotrephes longimanus. Les recouvrements de leur niche alimentaire durant cette période atteignent des valeurs maximales mais les proies consommées sont alors abondamment représentées dans le milieu. De plus, sans doute en relation avec l'occupation de l'espace, il existe un décalage dans le passage d'un type de proie principale à l'autre au cours de l'été. Les corégones consomment Leptodora kindtii et Bytotrephes longimanus beaucoup plus tôt, beaucoup plus longtemps et en quantité plus importante que les gardons (Ponton & Gerdeaux 1988). Il n'y a pas ainsi de compétition alimentaire importante entre ces deux espèces. Dans la pêche professionnelle orientée sur les corégones, les deux espèces sont capturées simultanément deux mois en moyenne dans l'année.

 

En outre, pour une même espèce, on constate souvent que l'occupation de l'espace n'est pas la même pour chaque phase du développement. Les jeunes poissons occupent plutôt les couches superficielles alors que les adultes recherchent les eaux plus froides. Ceci est très net quand l'été est chaud et que le gradient thermique est fort dans l'épilimnion. Dans ce cas, les relations de prédation inter- et intraspécifiques sont réduites. Ce n'est plus le cas à l'automne et en hiver mais, à cette époque, les jeunes constituent des proies plus mobiles qui ont une meilleure chance de survie.

 

III. CONCLUSION

 

Parler de peuplement piscicole est une solution de facilité pour «compartimenter» I'écosystème mais ne recouvre pas une entité fonctionnelle réelle en ce qui concerne les peuplements des lacs tempérés du moins. Ces peuplements ont une richesse spécifique généralement très faible ; de ce fait, il existe sans doute moins de relations entre les composantes du peuplement piscicole qu'entre le reste de l'écosystème. La structure spécifique actuelle est souvent le fruit d'acclimatations plus ou moins réussies. La dynamique de chaque population est beaucoup plus influencée par les paramètres du milieu extérieurs au compartiment pisciaire que par des relations intraspécifiques des composantes du peuplement.

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29/01/2013

Les poissons et la qualité des cours d'eau

Brochet.jpgLes poissons et la qualité des cours d'eau douce

 

par André Guyard

Professeur honoraire d'Hydrobiologie et d'Hydroécologie de l'Université de Franche-Comté

 

 

INTRODUCTION


Dans les conditions naturelles, les caractéristiques écologiques et biologiques d'un écosystème co-évoluent dans l'espace et dans le temps. Tout système aquatique possède une structure dont les modifications s'inscrivent dans une évolution qui n'est guère perceptible à l'échelle d'une vie humaine. C'est ainsi que l'étude des cours d'eau a permis de mettre en évidence une structure longitudinale d'amont en aval. En ce qui concerne les systèmes d'eau courante d'Europe, les conceptions d'Huet puis d'Illies ont été affinées par la mise en évidence par Verneaux d'une succession de dix groupements socio-écologiques d'espèces ou biocénotypes dont sept comportent des Poissons, les premiers groupements en amont (zone non piscicole d'Huet) correspondant au crénon d'Illies (fig. 1).

Poissons_Amplitude_typologique-450.jpg

Chaque espèce est caractérisée par son preferendum, son degré d'euryécie et sa polluosensibilité (Tableaux 1 et 2). Ainsi, les espèces sténoèces seront caractéristiques d'un niveau typologique particulier, d'autres plus euryèces présenteront une amplitude écologique chevauchant plusieurs biocénotypes avec un preferendum pour l'un d'eux.


Tableau 1 : Répertoire des espèces et caractères écologiques généraux

Répertoire-des-espèces.jpg

 

Tableau 2 : Typologie potentielle des peuplements ichtyologiques des cours d'eau

Tableau-2-typologie-peuplements-poissons-450.jpg
(1) : les indications d'abondance sont relatives à chaque espèce ; cette abondance spécifique est fonction du coefficient intrinsèque d'accroissement des populations ou capacité d'expansion d'une espèce dans des conditions écologiques optimales (r).
(*) zones estuariennes exclues
(a) : indication socio-écologiques : espèces d'ordre, d'alliance ou de sous-alliance
(4,5) : indices de sensibilité générale à la dégradation du milieu.

 
Les Poissons sont des consommateurs primaires ou secondaires qui constituent le niveau supérieur de l'édifice trophique des eaux douces. L'étude du peuplement ichtyologique permet d'avoir une vision synthétique du réseau trophique puisque les poissons, ultime étape de la chaîne alimentaire, intègrent le bilan des relations trophiques du milieu aquatique.


I. LE PEUPLEMENT ICHTYOLOGIQUE INTÉGRATEUR DU NIVEAU TYPOLOGIQUE


Les peuplements ichtyologiques présentent une variété spécifique et une abondance qui sont fonction de la qualité des milieux aquatiques. Des systèmes oligotrophes seront pauvres en poissons. Il en est de même des systèmes dégradés ou pollués mais pour d'autres raisons : homogénéisation de l'habitat par redressement de cours d'eau, disparition de ressources par pollution, effluents néfastes ou toxiques… En revanche, un milieu dont les caractéristiques sont favorables : mosaïque d'habitats variée, apports trophiques divers, peut héberger un peuplement abondant en individus et riche en espèces.


Cependant les poissons, organismes les plus complexes du point de vue morphologique et physiologique  de la faune strictement aquatique, sont susceptibles de résister à des conditions écologiques défavorables. Certaines espèces comme le Gardon, le Chevesne ou la Truite sont capables de survie prolongée dans des eaux fortement contaminées par une charge organique si d'autres facteurs comme la température, l'écoulement de l'eau, l'oxygène dissous permettent aux individus d'exercer des réactions compensatoires au sein de leur spectres écologiques.


De sorte qu'il est nécessaire de considérer non pas le comportement de quelques individus ni même celui d'une espèce mais le peuplement ichtyologique dans son ensemble si l'on veut mettre en évidence les relations qui existent entre le type écologique du site considéré et son peuplement électif.
Ainsi, le peuplement ichtyologique représente une expression synthétique non particulièrement sensible mais évidente de l'état de santé d'un système d'eau courante. En particulier, la richesse spécifique d'un peuplement constitue une indication essentielle pour permettre d'apprécier la qualité d'un site relativement à son type écologique. Pratiquement, il convient d'établir dans quelle mesure un peuplement donné correspond ou diffère au peuplement qui devrait normalement coloniser le site considéré.


II. QUALITÉ BIOGÈNE D'UN MILIEU ET PEUPLEMENT ICHTYOLOGIQUE


Un site apte au maintien d'un peuplement doit présenter dans toutes ses composantes morphologiques (lit, berges), physico-chimiques (qualités de l'eau et du substrat) et dynamiques (courant), des caractéristiques permettant de satisfaire aux exigences de nutrition, de reproduction, d'abri et de circulation des espèces du peuplement. Ces aptitudes s'exercent à une échelle en rapport avec la taille des organismes : de quelques mm pour les petits invertébrés à plus de 1000 km pour les poissons migrateurs.


Ainsi les caractéristiques essentielles d'un site aquatique reposent sur les deux composantes majeures : le substrat et la masse d'eau, éléments susceptibles d'être fortement dégradés par les activités humaines, soit par pollution de l'eau et des sédiments, soit par modification de l'habitat (redressements, recalibrages, barrages, navigation), etc.…).


Les divers paramètres qui conditionnent le développement des organismes aquatiques peuvent être réunis dans trois groupes de composantes : thermiques, morpho-dynamiques et trophiques. Une catégorie supplémentaire est constituée par les composés toxiques ou inhibiteurs qui perturbent les processus biochimiques de transformation de la matière (rejets industriels, détergents et pesticides).


III. INFLUENCE DE LA DÉGRADATION DU SITE SUR LE PEUPLEMENT ICHTYOLOGIQUE


La dégradation du milieu se traduit au niveau des organismes consommateurs par des modifications (proportions relatives des espèces) puis des simplifications (disparitions successives d'espèces) du peuplement initial.


Cependant, les espèces réagiront différemment à la dégradation selon leur position typologique et leur gamme de tolérance.


Trois principes fondamentaux gouvernent la réaction des organismes à la dégradation du milieu :


- correspondance entre tolérance et position typologique des espèces. Une espèce est d'autant plus tolérante que son préférendum typologique est distal (proche de B9) et que son amplitude typologique est forte.

- compensations inter paramétriques. Des phénomènes de compensation s'exercent au sein de complexes de facteurs dont la dynamique conduit à définir la loi de tolérance de Shelford : lorsqu'une espèce est située dans son preferendum écologique, elle est capable de résister à des changements défavorables d'un ou de quelques paramètres. Réciproquement, lorsque la même espèce vit dans un milieu dont de nombreux paramètres sont à la limite de tolérance, elle est susceptible de disparaître à l'occasion d'une dégradation relativement faible. Ainsi une espèce se comporte comme euryèce au centre de son preferendum et sténoèce à la périphérie de son aire de répartition.


- sensibilités inégales des espèces au sein d'un même groupement écologique. Les espèces d'un même biocénotype peuvent montrer des polluosensibilités différentes dues aux modalités de la fraye, aux types de pontes, à l'habitat, aux exigences trophiques…, les plus sensibles étant celles qui disparaissent les premières en cas de dégradation du milieu.


IV. DÉTERMINATION DES NIVEAUX TYPOLOGIQUES THÉORIQUES À PARTIR DES DONNÉES MÉSOLOGIQUES


Les études de Verneaux permettent de déterminer à partir de données mésologiques le niveau typologique théorique auquel correspondent ces données. Les données les plus importantes étant la pente et la largeur du lit (règle des pentes d'Huet), le débit et la température.


Après exclusion des paramètres associés aux stations polluées et après réductions de paramètres redondants, Verneaux a conservé trois facteurs synthétiques expliquant 50 % de la variance d'un système d'eau courante.


Il s'agit :


- d'un facteur thermique : la température maximale moyenne en °C du mois le plus chaud

Facteur thermique.jpg


- d'un facteur géotrophique intégrant le phénomène général de succession :

facteur géotrophique.jpg

produit de la distance aux sources d0 en kilomètres par la dureté totale D en mg/l ;


- d'un coefficient de similitude hydraulique, résultante de trois composantes morphodynamiques, présentant une signification typologique plus nette que le débit, afin que la température se confirme comme étant le facteur essentiel de la succession typologique.

Ce coefficient est :

similitude hydraulique.jpg

rapport de la section mouillée Sm à l'étiage en m2 au produit de la pente P en ‰ par le carré de la largeur l du lit en m2.


Les variations des trois facteurs synthétiques sont exprimées par les équations suivantes qui correspondent aux régressions (une fonction linéaire et deux fonctions exponentielles) :Equations.jpg

Ces données permettent de déterminer le type écologique théorique T ou potentiel typologique :

type écologique.jpgdans lequel chaque facteur est affecté d'un coefficient d'intervention correspondant au pourcentage de sa contribution relative au plan F1F2 d'une analyse factorielle des correspondances.


V. REPÉRAGE DES APPARTENANCES TYPOLOGIQUES À PARTIR DES PEUPLEMENTS ICHTYOLOGIQUES


Réciproquement, le principe d'analogie permet de déterminer à quel niveau typologique appartient un peuplement ichtyologique.


La structure longitudinale d'un cours d'eau peut être figurée par un axe le long duquel se répartissent les groupements socio-écologiques. Un organigramme (figure 2) dû à Verneaux permet de déterminer pratiquement l'appartenance d'un peuplement ichtyologique à un niveau typologique en fonction du classement socio-écologique des espèces et de leur richesse spécifique.

Poissons_groupements_socioecologiques-450.jpg


CONCLUSION


Une discordance entre les appartenances typologiques théoriques (formule) et ichtyologique (organigramme) peut être imputable à différentes conditions perturbant les peuplements aquatiques électifs du niveau typologique considéré :


- conditions historiques : biogéographie, paléogéologiques ;
- conditions écologiques : géomorphologie, climat, température ;
- conditions mésologiques anormales : pollution, altération des habitats.


Ainsi, la confrontation des appartenances typologiques théorique (potentielle) et ichtyologique (actuelle) constitue une base utile pour la pratique d'une économie rationnelle des ressources aquatiques, en particulier pour la définition d'objectifs et de critères de qualité des eaux courantes et pour l'aménagement piscicole des cours d'eaux.

 

Sources :

Guyard A. (1997). - Cours d'hydrobiologie DESS Eaux continentales, pollution et aménagement, Université de Franche-Comté.

 

Verneaux J. et al (1973-1997). - Différentes publications du laboratoire d'Hydrobiologie et d'Hydroécologie de l'Université de Franche-Comté.

28/01/2013

Au cœur de la glace

Au cœur de la glace

 

par Dominique Delfino

Photographe paysagiste et animalier

 

Image abstraite réalisée lors de l'épisode de glace que nous avons connu en janvier 2013. C'est bien au chaud, que je me plonge au cœur de la matière en observant de très près le détail de la glace qui recouvre les vitres de ma véranda. J'y découvre un monde extraordinaire qui me rappelle celui des images satellites des régions glaciaires alors que je suis à l'échelle d'une surface de quelques centimètres carrés.

 

En promenant mon objectif à travers la glace, c'est une forme étrange qui me rappelle celle d'un homme, dont l'existence ne tient qu'au froid me laissant le temps de réaliser les clichés d'un monde éphémère.

 

Au-coeur-de-la-glace.jpg

Cliché © Dominique Delfino

26/01/2013

La gale

Sarcoptes-scabei-logo.jpgLa gale


par André Guyard

Professeur honoraire d'Hydrobiologie et d'Hydroécologie de l'Université de Franche-Comté

 

En cette fin de janvier 2013, une épidémie de gale frappe le lycée Louis Pergaud, le plus vaste des lycées francs-comtois.

C'est une occasion pour s'intéresser à cette parasitose due à cet acarien.


GÉNÉRALITÉS

 

Conjointement à la recrudescence des maladies vénériennes constatée au cours de ces dernières années, on observe une augmentation des cas de gale.

 

Selon Didier Che de l'Agence Nationale de Veille Sanitaire (ANSM), qui a conduit une étude sur le sujet en 2011, le nombre d'épisodes de gale en collectivité serait en augmentation en France. En se basant sur les chiffres des ventes de deux produits antigale, ses travaux plaçaient à plus de 200.000 les cas de gale chaque année en France (de 337 à 352 nouveaux cas en moyenne pour 100.000 habitants entre 2005 et 2009).

 

Plus réservé, le Pr Chosidow rappelle que la gale n'est pas une maladie à déclaration obligatoire, ce qui rend impossible l'évaluation de la tendance. Le dermatologue appelle à la création d'un centre national de référence pour les parasites (gale, punaises de lits, poux de tête ou poux de corps), qui «ne tuent pas mais peuvent transmettre des maladies infectieuses».

 

Les voyages dans des pays où l'hygiène est beaucoup moins développée qu'en France, l'afflux des populations immigrantes vivant dans des conditions précaires, la méconnaissance du diagnostic enfin, constituent autant de facteurs favorables à l'extension de la gale.

 

La gale est la parasitose des téguments de l'Homme par divers acariens de la famille des Sarcoptidés.

 

LE CYCLE PARASITAIRE

 

L'espèce la plus fréquemment en cause, l'agent de la gale dite vulgaire est Sarcoptes scabiei, variété hominis.

 

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Image du sarcopte en microscopie électronique à balayage

 

La femelle de cet arthropode est de forme globuleuse et apparaît comme un gros point blanc à l'œil nu; elle mesure, en effet, 350 μm de long sur 300 μm environ de large.

 

Elle se compose d'une saillie antérieure triangulaire : la tête, et d'un corps ovoïde auquel sont fixées quatre paires de pattes.

Les téguments du parasite présentent des plis parallèles interrompus sur la face dorsale par un plastron grenu, puis par des aiguilles triangulaires acérées s'étendant sur les côtés du corps. Ce dernier est encore muni de minces épines allongées vers l'arrière.

 

Le parasite n'a ni yeux, ni trachées.

 

Les pattes courtes et ventrales débordent de peu le contour du corps, mais elles se prolongent par des soies longues et fines, surtout nettes sur les deux paires de pattes postérieures.

 

Porteuses de cinq soies, les pattes sont encore pourvues de ventouses de disposition différente selon le sexe. Les deux paires de pattes antérieures encadrent un rostre trapu dont les dents de scie déchirent l'épiderme.

 

L'orientation générale vers l'arrière de tous les ornements tégumentaires et de ceux des pattes ne permet pas à l'acarien de rebrousser chemin et l'oblige à avancer constamment dans la galerie qu'il creuse dans les téguments de l'Homme.

 

Le mâle est de plus petite taille que la femelle : 200 μm de long sur 170 μm environ de large. Il vit dans la galerie creusée par la femelle ou bien encore à la surface de la peau enfoui dans les débris épidermiques.

 

L'accouplement a lieu à la surface de la peau.

 

La femelle s'enfonce alors dans l'épiderme pour y creuser une galerie dans laquelle s'effectuera la ponte.

 

Celle-ci commence quelques jours après la fécondation sous forme d'œufs de 150 μm de long sur 100 μm de large.

 

Les œufs éclosent au bout de quelques jours (3 à 4 jours en moyenne), pour donner naissance à des larves hexapodes (trois paires de pattes) qui gagnent la surface de la peau, en perforant le toit de la galerie dans laquelle elles sont nées.

 

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Les larves grossissent, muent à plusieurs reprises et se transforment en nymphes octopodes (quatre paires de pattes) vers le 16e  jour.

 

Trois semaines environ après l'éclosion apparaissent les adultes des deux sexes.

 

La contamination, strictement interhumaine, se fait par la transmission, soit de larves ou de nymphes vivant à la surface de la peau, soit par la transmission de femelles récemment fécondées n'ayant pas encore pénétré dans l'épiderme.

 

Cette transmission peut se faire par un contact direct et ce, d'autant plus aisément que le contaminateur est massivement infesté. Ce contact direct a lieu le plus souvent lors de rapports intimes (en particulier le partage d'un lit avec un sujet parasité), et l'on peut contracter la gale en même temps qu'une maladie vénérienne. Parfois, le contage a lieu lors de contacts moins intimes : danse, certains sports. La gale peut également être transmise par la literie et le linge (draps et sous-vêtements des sujets contaminés).

 

LA CLINIQUE DE LA GALE

 

La gale se déclare au terme d'une incubation de durée variable, selon l'intensité de l'infestation (quelques jours lors des infestations massives, trois semaines à 1 mois dans la plupart des cas, ce laps de temps étant nécessaire pour qu'ait lieu une multiplication suffisante des acariens).

 

Le prurit est le symptôme majeur de la parasitose ; il est à prédominance nocturne, supportable et discret pendant la journée, il s'exacerbe le soir et en particulier au coucher.

 

La topographie des démangeaisons est essentiellement antérieure, elle prédomine aux aisselles et aux aines, elle s'étend à la face antérieure du tronc et des membres, elle respecte généralement la région dorsale. Le support du prurit est une éruption ayant la même topographie.

 

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Si, en soi, l'éruption est faite apparemment de lésions non évocatrices associant des excoriations banales de grattage et des papules urticariennes recouvertes d'une petite croûte noirâtre, elle revêt dans son ensemble une topographie très particulière hautement évocatrice.

 

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Lésions cutanées dues à la gale sur la main

 

La localisation au niveau des espaces interdigitaux et de la face antérieure du poignet est classique, mais bien souvent discrète. L'atteinte des aisselles et des aines, celle des flancs et des hanches sont constantes. Les lésions cutanées des seins et tout spécialement des mamelons sont rares bien que très évocatrices. En revanche, l'atteinte de la verge (excoriations du fourreau et du gland) est extrêmement fréquente. Le visage, le cuir chevelu et le dos sont, en règle générale, parfaitement indemnes. La notion de contage constituera un élément d'appoint précieux dans le diagnostic de l'affection.

 

Très fortement suspecté sur ces symptômes, le diagnostic de gale peut être affirmé par la découverte du classique sillon cutané et par la mise en évidence du parasite dans les lésions cutanées.

 

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Examen direct du produit de raclage des lésions cutanées

(Document CBM25)

 

L'examen direct entre lame et lamelle du produit de raclage des lésions cutanées au microscope permet de mettre en évidence la présence de l'acarien Sarcoptes scabiei var. hominis (des oeufs de sarcopte sont également observés) permettant d'affirmer le diagnostic de gale.

 

Le sillon fait par le cheminement cutané du parasite est le véritable signe pathognomonique de la parasitose. Il s'agit d'un trait fin, flexueux, très court, à peine visible bien que parfois souligné de noir. Son extrémité antérieure peut être un peu plus saillante car elle trahit la présence de l'acarien. Une petite goutte d'encre déposée à l'entrée de la galerie va teinter le trajet du parasite. Le caractère principal du sillon est la saillie qu'il fait par rapport à la surface avoisinante. On voit encore apparaître au niveau de l'éruption de la gale des vésicules perlées. Ce sont des petites élévations ayant la taille d'une tête d'épingle qui siègent tout particulièrement au niveau des plis interdigitaux. Ces perles peu saillantes sont limpides et revêtent l'apparence des lésions de dyshidrose. La mise en évidence du parasite se fait au niveau de la partie antérieure d'un sillon.

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L'effondrement du toit du sillon à cet emplacement permet de découvrir la femelle dont le corps ovoïde et blanc est aisément reconnaissable, sinon à la loupe, du moins au faible grossissement du microscope.

 

À côté de la forme que nous venons de décrire, la gale peut revêtir d'autres aspects.

 

Les formes légères se réduisent à du prurit, bien que parfois fort intense, et à des lésions de grattage restreintes.

 

Les gales étendues se compliquent souvent de surinfection ou d'eczématisation. La surinfection des sillons et des lésions cutanées de grattage provoque de l'impétigo pouvant évoluer pour son propre compte en envahissant le visage et le dos, régions respectées par la gale, ou encore se généraliser en entraînant des adénopathies et des signes généraux graves.

 

L'eczématisation est précoce sur les terrains prédisposés ou tardive provoquée parfois par le traitement. Elle s'accompagne de prurit et d'hyperéosinophilie sanguine.

 

Il faut signaler la possibilité de l'association de la gale avec une maladie vénérienne, comme la syphilis.

 

Une forme de gale très rarement rencontrée en réalité se présente sous un aspect très différent de celui de la gale classique, c'est la gale dite norvégienne.

 

Elle est caractérisée par des lésions de type hyperkératosique, jaunâtres ou grisâtres, épaisses, dures, siégeant sur la face dorsale des mains et des doigts, atteignant les ongles, sur les avant-bras, aux coudes et aux genoux. La généralisation de ces croûtes d'hyperkératose est constante, et la face, le cuir chevelu, le dos sont envahis.

 

En dehors des croûtes, on observe une éruption de type érythrodermique faite de fines squames pityriasiques, ou encore ichtyosiformes sur un fond érythémateux. Le prurit, en revanche, est très discret, souvent absent. L'examen à la loupe des croûtes révèle la présence de très nombreux parasites.

 

La gale norvégienne s'accompagne d'adénopathies disséminées et d'une hyperéosinophilie pouvant atteindre 50 p. cent.

 

Le terrain sur lequel se développe la gale norvégienne est très particulier, l'état général est souvent profondément atteint, comme en témoignent la maigreur et la cachexie, conséquences elles-mêmes d'une misère physiologique ou d'une affection grave cachectisante.

 

Une carence vitaminique A pourrait jouer un rôle dans le développement de cette parasitose.

 

L'agent pathogène semble bien être le même que celui de la gale classique, et c'est probablement le terrain qui joue le rôle principal dans cette forme de gale.

 

Sur le plan diagnostique, un certain nombre d'affections dermatologiques peuvent être confondues avec la gale. Il s'agit de l'urticaire, de l'eczéma et de certains prurigos, des pyodermites siégeant aux membres, de la phtiriase corporelle atteignant la face dorsale du tronc avec des lésions de grattage plus marquées.

 

Enfin, le psoriasis peut ressembler à la gale norvégienne. Il faut savoir évoquer la gale devant tout prurit durable et tout spécialement lorsque la maladie est apparue dans l'entourage familial ou la collectivité. La découverte des sillons caractéristiques assure le diagnostic de gale.

 

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Document ANSM

(Pour zoomer, cliquer sur le document)

 

LE TRAITEMENT DE LA GALE

 

N'étant pas médecin, je me garderai d'apoprofondir ce chapitre. Il faut savoir que l'on dispose actuellement de produits spécifiquement actifs contre Sarcoptes scabiei. Un traitement par ivermectine (200µg/kg) par voie orale en dose unique est instauré en association avec un traitement local à base de benzoate de benzyle. Il faudra, le même jour, assurer le traitement spécifique du malade et celui de son entourage.

 

Actuellement, le traitement de référence est l'Ascabiol, qui se révèle indisponible depuis la fin novembre, est problématique.

 

La fabrication de l'Ascabiol, qui se présente sous forme de pommade, nécessite du sulfirame. Or le laboratoire Zambon subit des ruptures d'approvisionnement de cette substance active par intermittence depuis mars 2012. Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), l'Ascabiol va ainsi rester indisponible pour une durée « indéterminée ».

 

La suspension de la production du médicament risque de « poser localement des difficultés de gestion lors d'épidémies de gale », estime Didier Che, du département des maladies infectieuses à l'Institut de veille sanitaire (InVS). D'autant que l'autre produit réputé en application cutanée, la perméthrine, n'est toujours pas commercialisé en France, regrette pour sa part Olivier Chosidow, chef du service de dermatologie à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil et président de la Société française de dermatologie.

 

L'ANSM a publié fin décembre un communiqué rappelant qu'il existe des traitements de substitution disponibles en France, le Stromectol (comprimés) et le Spregal (aérosol). Mais ceux-ci sont déconseillés pour certaines catégories de population, notamment les jeunes enfants. Pour cette raison, une importation à titre exceptionnel d'un médicament commercialisé en Allemagne à base de benzoate de benzyle pourrait avoir lieu au cours du premier trimestre 2013 pour répondre aux situations cliniques non couvertes par le Stromectol et le Spregal, précise l'ANSM.

 

Parallèlement ave ce traitement médicamenteux, il faudra désinfecter de façon préventive l'ensemble de la literie (draps et couvertures, sans oublier les matelas et les sommiers) et des effets personnels.

 

Quoi qu'il en soit, lorsque la gale est compliquée de surinfection ou d'eczéma, ces complications doivent être traitées avant d'appliquer le traitement spécifique.

 

Le recours à une antibiothérapie générale est rare.

 

L'eczématisation requiert des bains d'amidon, des pommades calmantes et des antihistaminiques par voie générale, de façon à calmer le prurit.

 

Le mode d'application du traitement local spécifique est le suivant : on fait d'abord prendre un bain de 10 à 20 minutes au cours duquel le malade se nettoie soigneusement tout le corps avec du savon blanc.

 

On pratique ensuite sur la peau encore humide un badigeonnage avec le produit choisi, depuis les orteils jusqu'à la base du cou à l'aide d'un pinceau plat, en insistant particulièrement sur les zones d'élection de la parasitose.

 

Après séchage à l'air de cette première couche, on en applique une seconde.

 

Le malade se rhabille après avoir changé de linge et reste 48 heures sans se baigner.

 

La désinfection de la literie entière et du linge sera très soigneusement effectuée.

 

On fait bouillir le linge de corps et les draps.

 

Les vêtements seront repassés et saupoudrés de poudre antiparasitaire, les objets ne pouvant être trempés seront nettoyés et frottés avec de l'essence ou de l'essence de térébenthine.

 

Le sommier et le matelas seront également soumis à la poudre antiparasitaire.

 

Sources :


 

  • Guyard André, Cours de parasitologie.

 

23/01/2013

Villages lacustres à Chalain

lac de chalain,lac de clairvaux,pierre pétrequin,village lacustreIl était une fois plusieurs villages au bord du lac de Chalain...


par

Pierre Pétrequin, directeur de recherche émérite au CNRS

 

C'était entre 3200 et 3000 avant J.-C.

Les milieux amphibies littoraux et fluviatiles, où les conditions de sédimentation sont souvent favorables à la préservation des vestiges organiques (bois, graines, pollens...), constituent une des bases essentielles des recherches sur le néolithique[1]. Sans les vestiges domestiques retrouvés sur les rives des lacs situés le long de l'Arc alpin, nous ne connaîtrions à peu près rien de l'habitat, de la vie quotidienne et des évolutions culturelles de la période entre les 38e et 25e siècles avant J.-C. Mais le nombre de ruines de villages diminue rapidement par suite de drainages artificiels, d'assèchements ou de remblaiements divers.

Dans ce contexte, le site de Chalain, découvert accidentellement en 1901 à l'occasion d'un abaissement artificiel du niveau du lac, présente un intérêt archéologique exceptionnel avec un ensemble de 29 villages actuellement reconnus.

 

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Cliquez sur l'image pour l'agrandir

 

Devenu pratiquement la seule référence pour l'étude du néolithique final dans l'est de la France (les sondages archéologiques réalisés ces dernières années dans les lacs du Jura méridional n'ont débouché sur aucune découverte nouvelle), ce gisement fait partie de la douzaine de sites classés aujourd'hui d'intérêt national ; il est protégé au titre des monuments historiques. Dans ce cadre, il a fait l'objet de travaux de protection et de consolidation des rives afin de limiter l'érosion et de freiner la vidange estivale de la nappe phréatique.

Dans le même temps, une convention signée avec EDF limite au maximum les fluctuations artificielles du plan d'eau.

 

29 villages néolithiques, contemporains ou successifs qui n'ont pas dit leur dernier mot

 

En 1955, les fouilles, qui étaient alors essentiellement guidées par un souci de collection, furent arrêtées. Douze villages avaient été mis au jour. Le site archéologique de Chalain était considéré, à tort, comme épuisé. À partir de 1986, Pierre Pétrequin, qui dirige aujourd'hui le laboratoire de Chrono-écologie (CNRS et université de Franche-Comté), reprend les recherches en associant toutes les formes d'approche scientifique autour d'un thème de recherche bien défini : suivre révolution de la densité de population de ces villages lacustres pendant trois siècles, du 32e au 30e siècle avant J.-C. Au-delà des évolutions climatiques démontrées et des variations naturelles de l'environnement, la croissance non linéaire de la population et la plus ou moins grande stabilité territoriale des communautés agricoles accompagnent, en effet, des modifications des choix techniques et des formes de mise en valeur de la forêt, des friches et des terroirs cultivés. Ces recherches placent donc les variations démographiques au sein des problématiques archéologiques. C'est leur reconnaître un rôle majeur de marqueur de l'évolution sociale et technique des groupes agricoles avec des conséquences sur les transferts, les résistances ou les innovations culturelles. Aujourd'hui, les lacs de Chalain et de Clairvaux comptent 29 sites d'habitat découverts jusqu'à 15 mètres de profondeur (plongées ou sondages), souvent composés de villages successifs superposés. Les investigations, chaque année recommencées, montrent que de nouveaux sites seront forcément découverts sur ce territoire néolithique unique qui représentait un épicentre original du peuplement néolithique régional et qui attira des agriculteurs pendant plus de deux millénaires.

 

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 Légende de la figure 2 : vue plongeante des décapages. Niveau IIcIII avec quelques bois d'architecture flottés et un panneau de clayonnage.


Quels niveaux de corrélations peuvent être mis en évidence entre la densité de population, d'une part, les cultures matérielles et les réponses de l'environnement d'autre part ? Ces corrélations sont-elles réelles ou simplement la conséquence de phénomènes spécifiques aux milieux lacustres (variations de plans d'eau, rythmes climatiques) ? Si ces variations de la densité de population sont démontrées ici, peuvent-elles l'être ailleurs et comment ?

 

Une trentaine de scientifiques de tous bords (préhistoriens, ethnologues, environnementalistes...] armés des techniques d'analyse et d'interprétation les plus avancées

 

C'est sur ces questions que travaille, notamment, la trentaine de scientifiques de disciplines différentes, réunis par Pierre Pétrequin dont la démarche est d'abattre les cloisonnements entre les spécialités et de favoriser toute approche, partant du principe qu'il n'existe aucune hiérarchie démontrable entre les différentes méthodes de recherche. Ce qui lui fait dire que ce programme de recherche n'est pas tant interdisciplinaire qu'indisciplinaire, les résultats novateurs apparaissant toujours à la frange des spécialités aujourd'hui reconnues. Ce pool est constitué de l'équipe franc-comtoise, à laquelle s'ajoutent des scientifiques de Paris (muséum d'Histoire naturelle), Genève, Neuchâtel, Bruxelles, Lyon, Marseille... Sont ainsi présentes sur le terrain toutes les spécialités et les techniques de prospection, d'observation, d'analyse et d'interprétation qui font l'archéologie nouvelle, dont celles qui constituent la spécificité du laboratoire de chrono-écologie :

 

La dendroécologie

 

L'étude de la forêt et de sa gestion, qui elle-même intègre la dendrochronologie, la méthode  de datation qui, à partir de l'observation des cernes annuels de croissance des arbres, détermine, à l'année près, l'âge de l'arbre au moment de l'abattage.

 

La palynologie

 

L'étude des pollens et des spores fossiles permet de reconstituer l'histoire de la végétation et de retrouver l'impact de l'homme sur celle-ci.

 

L'archéozoologie

 

L'étude des ossements animaux qui montre dans le cas présent que la finalité première des troupeaux (bœuf, mouton, porc...) n'était pas seulement la production de la viande, mais bel et bien la compétition sociale pour s'afficher avec des trophées de bêtes de grande taille.

 

La carpologie

 

L'étude des graines et fruits, apporte un éclairage nouveau sur l'alimentation et certaines pratiques agricoles.

 

La paléoclimatologie

 

dont l'objet est de comprendre les mécanismes qui sont à l'origine des variations climatiques du passé pour dresser des projections sur le futur en rapport avec l'effet de serre additionnel. Pour ce faire, sont mises en œuvre, notamment, la sédimentologie, l'étude des sédiments lacustres, et la malacologie, l'étude des mollusques, qui permettent de reconstituer les fluctuations du niveau des plans d'eau.

 

L'ethnoarchéologie

 

qui s'attache à rechercher des hypothèses interprétatives pour le passé (le néolithique européen en l'occurrence) en étudiant des communautés actuelles qui utilisent encore les outillages en pierre, en bois et en os, comme en Nouvelle Guinée.

 

Un pieu, une dent de porc. un fragment d'os. un grain de pollen fossilisé, un bol en bois. un morceau de céramique... 5000 ans après, ils racontent la vie d'un village

 

À partir des bois d'œuvre - poteaux, chevrons, fascines, brindilles - très bien conservés dans le milieu humide de Chalain, les préhistoriens sont en mesure de reconstituer non seulement l'architecture de la maison néolithique, mais aussi le plan du village, l'état de la forêt, les techniques d'abattage à la hache de pierre, la préparation des bois d'œuvre au merlin en bois de cerf... et, au-delà encore, les variations de la  densité de population à travers la progression ou la régression des fronts de défrichements. Les constructions, en bois, sont toujours de plan rectangulaire d'une largeur assez constante (de 3,5 à 4 m) et d'une longueur variable (de 8 à14 m). La toiture, très pentue, est vraisemblablement recouverte de grandes plaques d'écorce dont le mode de fixation reste à expliquer. Les maisons d'un village, principalement orientées nord-sud, sont disposées en lignes, serrées les unes contre les autres. Un village compte en moyenne une douzaine de maisons et autant de greniers à céréales. Une augmentation de la population (une croissance de 1 à 7 est démontrée entre 3080 et 2970 av. J.-C.) n'accroît pas le nombre de maisonnées d'un village, mais réduit la distance entre les villages riverains. L'étude des bois d'œuvre et de leur origine permet aussi de rendre compte de la gestion de la forêt et des terroirs : l'arbre originaire d'une forêt primaire indique que les fronts de défrichements ont progressé, poussés par le développement des terroirs emblavés dû à un accroissement de la population , à l'inverse, l'arbre provenant d'une forêt secondaire traduit une situation et une gestion stationnaires ou en régression des terroirs cultivés.

 

Parmi les divers objets en bois retrouvés - outils agricoles, armes, récipients, masses, maillets, casse-tête...- un grand bol, pièce exceptionnelle, fait l'objet d'une étude détaillée. Ce bol, à fond rond de 25 cm de diamètre environ, façonné dans une loupe de frêne, est décoré de trois filets parallèles et horizontaux en relief et, surtout, est muni d'une poignée latérale coudée qui représente une tête d'animal qui pourrait être celle d'un cheval, à moins que cela ne soit celle d'un bœuf avec ses cornes...

 

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Légende de la figure 3 : les bois horizontaux et le plan des maisons/ couche llc///+++ en pointillés : les bois antérieurs en noir : les chapes d'argile

 

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Légende de la figure 4 : bol en loupe de frêne à poignée zoomorphe. Datation dendro-chronologique : 2190-2170 av. J.-C.

 

Le silex, l'os (5 000 fragments d'os ont été mis au jour en une seule année de fouilles), les bois de cerf et les dents constituent, avec le bois, les matériaux principaux de l'outillage néolithique. Les dents, notamment, représentent une bonne part de ces outils. Elles sont utilisées à l'état brut (incisives de castors, canines de suidés) ou enchâssées dans de petits manches à main (incisives de porc). La défense des sangliers semble avoir été aussi utilisée comme outil à gratter et racler. Cette hypothèse est corrélée par les courbes d'abattage du sanglier qui indiquent une préférence pour les mâles âgés dotés de défenses de grande dimension. L'étude des excréments humains permet de retrouver une partie des restes alimentaires - graines, akènes, fibres végétales, débris d'os - et de reconstituer les habitudes culinaires. Cette étude, complétée par l'approche parasitologique qui peut définir certaines maladies dont souffrait l'homme préhistorique, fait partie des méthodes originales développées à Châtain. Il est ainsi prouvé que l'homme néolithique de Chalain consommait des viandes variées (dont le cheval, le cerf... mais en revanche pas d'oiseaux), de la grenouille rousse et du poisson fumé, souvent mal cuits, grillés sur la braise ou bouillis, ainsi que des végétaux en abondance : mûres, framboises, baies de coqueret, feuilles d'ail des ours... Les graines de pavot faisaient aussi partie de l'alimentation. Mauvaise herbe, condiment, médicament ou drogue ? On ne le sait pas encore... Les céramiques, leur style, leur forme (fond rond, aplati ou plat, à pied ou sans pied, épaisseur de la panse...), leur décor (incisions, modelage, appliques...) sont d'autres témoins archéologiques caractéristiques pour suivre l'histoire des communautés néolithiques. Elles soulignent les concurrences culturelles et le transfert des styles que connut Chalain entre la Suisse occidentale (Horgen, Cordée) et le couloir rhodanien (Ferrières en Ardèche), avec deux phases bien identifiées : une période ancienne (3200-3100) où les transferts se font à courte ou moyenne distance (80 km à vol d'oiseau entre la Combe d'Ain et le lac de Neuchâtel) et une phase récente (après 3080) où les déplacements et les échanges portent sur des distances considérables (près de 300 km à vol d'ojseau entre la Combe d'Ain et l'Ardèche).

 

Contact : Pierre Pétrequin Laboratoire de Chrono-écologie Université de Franche-Comté Tél. 03 81 66 62 55 Fax 03 81 66 65 68.

 

Le site de Chalain peut être visité jusqu'à la fin septembre. S'adresser au musée d'Archéologie de Lons-le-Saunier qui organise des visites guidées.

 

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Légende de la figure 5 : vue aérienne de la zone archéologique expérimentale, au nordouest du lac de Chalain. Reconstitution de deux maisons de la fin du néolithique moyen II.


Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les-Lacs et de Chalain [Jura][2]


 Publiée sous la direction de Pierre Pétrequin, cette monographie rend compte des recherches conduites et des données recueillies dans le cadre du programme de recherche au cours des sept dernières années. Illustrées de dessins, photographies et documents graphiques divers, près de soixante études détaillées montrent les approches et les méthodes utilisées pour interpréter les témoins archéologiques : les argiles cuites et les foyers, la grande faune de Chalain, l'outillage en os et en bois de cerf, le fonctionnement de la cellule domestique, les pierres à briquet, la reconstitution d'un pignon de maison, l'industrie lithique taillée, le cheval néolithique, les bouchardes, percuteurs et blocs-enclumes...

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Légende de la figure 6 : Expérimentation : raclage d'un métapode de chevreuil et d'un biseau sur os de bovidé.

Légende de la figure 7 : Expérimentation : percussion oblique frottée dans une cuvette.

Légende de la figure 8 : Expérimentation : polissage d'une ébauche taillée en roche verte, fixée dans une pince de bois.

Légende de la figure 9 : Expérimentation : briser un os de bœuf avec un percuteur à arête, sur un bloc-enclume.



[1] La période néolithique, qui se situe entre 6000 et 2100 avant J-C, est la phase de vestiges domestiques retrouvés sur les rives des lacs situés le long de l'Arc alpin, par exemple, nous ne connaîtrions à peu développement technique des sociétés préhistoriques - pierre polie, céramique - correspondant à leur accession à une économie productive autour de l'agriculture et de l'élevage.

[2] Tome III, Chalain 3, 3200-2900 avant J-C. Une monographie en 2 volumes (765 pages) parue en juin 1997 aux Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris. Diffusion : CID, 131, bd Saint-Michel 75005 Paris.

 

Source : Revue "En direct", organe de vulgarisation de l'Université de Franche-Comté, n° 112 septembre 1997.

 

Publié avec l'aimable autorisation des rédactrices de "En Direct".

L’Homme au bord de l’eau

 L’Homme au bord de l’eau

par


Matthieu Honegger et Claude Mordant

 

C’est en 1854, dans la région de Zürich, que sont découverts les premiers vestiges de villages lacustres, témoins de l’activité et de l’organisation des hommes de la Préhistoire dans des lieux offrant nourriture, possibilités de transport et protection. Cent cinquante ans de recherches passionnantes menées dans les eaux des lacs et des marais alimentent depuis la connaissance, partant d’un monde invisible et parfaitement conservé par-delà les millénaires, à l’abri des outrages du temps et de l’intervention de l’homme

 

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Trois maisons du village lacustre de Hauterive/Champréveyres (3800 av. J.-C.),

reconstituées à l’emplacement du site néolithique fouillé devant le Laténium

 Cliché J. Roethlisberger / © Laténium, Neuchâtel

 

La reconstitution des villages montés sur pilotis et de l’activité qui les animait prend aujourd’hui une dimension supplémentaire. Tourné vers la rive et non plus seulement sur le lac, un nouveau regard englobe les lieux de vie ancrés sur la terre ferme, du bord des fleuves et des lacs jusqu’aux plaines alluviales, aux reliefs et aux plateaux de l’arrière-pays. Il permet de replacer les installations humaines dans leur contexte, de les inscrire véritablement dans un territoire et de découvrir les relations potentielles entre les différents sites.

 

L’homme au bord de l’eau est le nom donné aux Actes du 135e congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Neuchâtel en 2010. D’une envergure scientifique sans précédent, l’ouvrage répond favorablement à la demande de l’Unesco, qui a inscrit en 2011 les sites lacustres alpins au Patrimoine culturel de l’humanité et souhaite la parution de travaux sur la question.


Honegger M., Mordant C. (éditeurs), L’homme au bord de l’eau. Archéologie des zones littorales du Néolithique à la Protohistoire, Coédition CAR et CTHS, 201.

 

université de franche-comté,en direct,université de neuchâtel


Source :

Honegger M., Mordant C (2013). - L'homme au bord de l'eau - En Direct n° 246, janvier - février 2013.


 

Publié avec l'aimable autorisation des rédactrices de "En Direct".


 

21/01/2013

Les pôles du froid en Franche-Comté

Les pôles du froid en Franche-Comté

 

par Daniel JOLY ThéMA, UMR 6049, Université de Franche-Comté Claude GRESSET-BOURGEOIS, Bruno VERMOT-DESROCHES, Centre départemental de Météo-France, Besançon

 

Grâce à la combinaison de plusieurs facteurs géographiques qui favorisent le froid d'hiver, la Franche-Comté présente une fréquence de gels assez élevée. Le Haut-Doubs dans son ensemble et Mouthe en particulier présentent régulièrement des températures qui descendent au-dessous de -20°C. L'étude statistique de la chronique climatologique 1992-2007 permet de dresser le bilan des séquences glaciales et d'identifier, par analyse spatiale, les sites les plus froids de Franche-Comté.

 

La Franche-Comté est, avec l'Alsace, la région française située le plus loin de toute mer ou océan, ce qui lui confère un climat semi-continental. Les étés sont orageux et plutôt chauds : 19,3°C en moyenne de juillet à Besançon, alors qu'aucune station du Finistère ne dépasse 18°C. En revanche, les hivers présentent une alternance de séquences douces et pluvieuses et de périodes anticycloniques au froid rigoureux. Cette tendance au froid est renforcée par l'altitude et par la présence de larges cuvettes, les vals, où l'air froid s'accumule tant que le vent ne l'y chasse pas. Ainsi, la montagne du Jura supporte un nombre anormalement élevé de gels rigoureux d'octobre à mars.

 

Parmi un échantillonnage de 1 455 stations gérées par Météo-France et distribuées homogènement sur l'espace français, Mouthe (936 m) d'abord et les Rousses (1116m) ensuite, arrivent en tête du palmarès des stations les plus froides situées en dessous de 1300 m d'altitude. Elles présentent respectivement, en moyenne annuelle, 80 et 72 jours où la température minimale a été inférieure à -5°C. Parmi les 50 stations françaises les plus froides à l'aune de ce critère, on compte 13 stations franc-comtoises, dont certaines sont situées à moins de 700 m (Supt et Pierrefontaine-les-Varans).

 

Rappel de quelques chiffres


À Besançon, sur la période 1885-2008, on dénombre 26 hivers (21 %) avec au moins sept jours au cours desquels les températures minimales ont été inférieures à -10°C (18 hivers sur la période 18851947 et huit hivers sur la période 1947-2008). Depuis 1945, l'hiver le plus rigoureux fut sans contestation l'hiver 1962-1963 avec de fréquentes périodes glaciales entre la mi-novembre et la mi-mars. Il devance nettement l'hiver 1955-1956 qui a été marqué par une période glaciale intense qui s'est calée sur le mois de février. Durant ce mois, l'absence quasi générale de neige avait permis au gel de pénétrer dans le sol à des profondeurs jusqu'alors inconnues et qui n'ont depuis lors jamais été atteintes.

 

Sur la période 1975-1990, quatre hivers ont été plus froids que ceux cités ci-dessus, plus particulièrement l'hiver 1980-1981 avec beaucoup de neige en montagne et l'hiver 1984-1985 avec une première quinzaine de janvier extrêmement glaciale sans dégel à Besançon entre le 31 décembre 1984 et 18 janvier 1985.

 

Mouthe souvent la plus froide


Forts de ce constat, nous avons voulu en savoir plus sur l'extension spatiale de ce phénomène et vérifier si Mouthe est toujours la station la plus froide comme on le croit généralement. Pour cela, nous avons sélectionné tous les jours où la température moyenne des 74 stations franc-comtoises prises en compte fut inférieure à -10°C. Au total, entre décembre 1992 et janvier 2007 inclus, 99 situations ont été isolées, ce qui représente, en gros, sept jours de froid vif par hiver.

 

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La figure 1 montre que Mouthe est bien la station où le minimum franc-comtois est le plus fréquemment observé : 35 fois au total (sur 99). C'est aussi la station où la moyenne des gels est la plus basse : -21 °C. Mouthe accapare à elle seule les trois minimums enregistrés au cours de la période d'observation : -28,1°C le 12 février 1999, -27,6°C le 1er février 2003 et -27°C le 24 décembre 2001. On est bien sûr encore loin du mythique minimum absolu de -36,7°C le 13 janvier 1968, mais la répétition de ces occurrences de froid s'explique par une altitude assez élevée (936 m) et une situation encaissée : l'air froid, généré au contact de la neige, glisse le long des versants qui encadrent le val et vient s'accumuler au fond de la cuvette où il peut stagner plusieurs semaines de suite.

 

Saint-Laurent-en-Grandvaux, avec 19 occurrences et une moyenne de -20,8°C arrive juste après Mouthe. La topographie est analogue à la précédente avec cependant, une altitude un peu inférieure (880 m). Le secteur de Morteau-Maîche cumule 18 occurrences de minimums francs-comtois. Les vals au fond desquels Le Russey et Morteau s'étendent expliquent leur moyenne plus faible (-19,6°C, -18,3°C) par rapport à Maîche (-17,6°C) et Charquemont (-15,4°C), stations de plateau. Enfin, notons Levier qui, situé en situation intermédiaire entre Mouthe et Morteau-Maîche, a été sept fois le plus froid, avec une moyenne de -20,1 °C.

 

Les autres stations, présentes sur la figure avec un cercle coloré, ont toutes été à une, ou au plus deux occasions, les plus froides de Franche-Comté. Les conditions climatiques favorables au développement et à la répétition d'un froid vif n'y sont pas réalisées. Certaines sont situées en altitude mais sur des sites de versant (Longevilles-Mont d'Or, Les Rousses), ou, à l'inverse, en fond de vallée à moins de 600 m (St-Claude). Signalons les trois stations du nord-ouest de la Haute-Saône qui, tout en étant situées à faible altitude (entre 200 et 250 m) ont été, à au moins une occasion, les plus froides de Franche-Comté. Le plateau de Haute-Saône et son prolongement vers Langres est renommé pour ses températures glaciales.

 

Un réseau trop lâche pour observer les variations les plus fines de la température


Ces informations sont intéressantes mais, pour autant, elles ne nous renseignent que sur un nombre limité de sites : ceux qui bénéficient d'un poste météorologique. Bien sûr, on peut s'attendre à ce que les quelques décamètres situés à proximité de la station de Mouthe présentent des températures analogues à celles qui y sont enregistrées. Toutefois, la comparaison avec les stations qui l'entourent montre que les températures ne sont pas identiques d'un lieu à l'autre, parfois loin s'en faut. La raison de ces variations a été esquissée : l'altitude et le contexte topographique jouent assurément un rôle majeur.

 

Le val de Mouthe est presque toujours plus froid que le sommet du Risoux lors des situations anticycloniques stables dont il est ici question. Il n'est lui-même sans doute pas homogène et, si des mesures à haute densité étaient effectuées, il est probable que de menues différences apparaîtraient d'un secteur à l'autre : telle croupe sera moins froide de deux ou trois degrés que le fond du vallon situé quelques hectomètres plus loin. Ainsi, des gradients, plus ou moins élevés se mettent en place au gré des contraintes exercées par la topographie. Et dans ces conditions, il se pourrait bien que la station de Mouthe ne soit pas localisée au mieux pour enregistrer les minimums les plus bas.

 

La figure 2, qui représente la variation des températures par rapport à l'altitude, donne un bon exemple de ce mécanisme. La plupart des postes sont alignés le long de la « droite de régression », accréditant là l'hypothèse d'une forte dépendance des températures à l'altitude. En effet, ce facteur explique près de 40 % de la variation de la température. Toutefois, une petite dizaine de stations échappent, au moins partiellement à cette influence : Longevilles-Mont d'Or, Lamoura, Les Rousses et les autres postes rejetés en haut du graphe présentent une température (entre -16 et -13°C) beaucoup trop élevée compte tenu de leur altitude : si elles se comportaient ainsi que Mouthe, Maîche ou Besançon, toutes localisées à proximité de la droite, leur température devrait se situer en dessous de -30°C ! D'autres « variables » que la température existent qui expliquent ces écarts : on pense bien sûr au contexte topographique déjà évoqué à plusieurs reprises.

 

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Connaître la répartition des températures sur l'ensemble du territoire


Tout le problème est d'avoir une connaissance sur « ce qui se passe » entre les postes d'observation : la technique nous fournit les moyens de le résoudre.

 

Premier temps : puisque les minimums les plus accusés semblent se localiser de manière répétitive au fond des vals d'altitude, il « suffit » de chercher cette information dans un système d'information géographique (SIG). L'institut géographique national (IGN) commercialise des modèles numériques de terrain (MNT) à pas de 50 m de grande qualité : cette donnée fournit quatre cotes d'altitude pour chacun des 1 620 200 hectares que compte la Franche-Comté. Ensuite, par calculs appropriés, on dérive, du MNT les autres informations utiles : degré d'encaissement (un fond de val est très « encaissé » par rapport aux versants qui le dominent, une crête est peu encaissée, dominant l'ensemble des points voisins), distance au creux le plus proche (minimale au plus près de l'axe des vals), distance à la crête la plus proche, etc.

 

Second temps : on apparie les températures enregistrées en chacun des postes climatiques aux données de la topographie que l'on corrèle les unes aux autres par calcul statistique. Des coefficients permettent alors d'évaluer la dépendance des premières aux secondes. In fine, on obtient une carte sur l'ensemble de la Franche-Comté en croisant, dans une « régression multiple » l'ensemble des variables qui expliquent significativement la température. Ce processus de calcul, appelé « interpolation » a déjà été présenté pour représenter le champ spatial continu de l'ozone en Franche-Comté (IFC n°27, 2003).

 

Ainsi, la carte des températures minimales du 26 février 1993 (figure 3) superpose les températures observées en 74 postes et interpolées sur l'ensemble de la Franche-Comté. En règle générale, le calcul renvoie une valeur conforme à la réalité : les stations les plus froides (cercles bleu nuit) sont bien localisées sur des aires de la même couleur ; les stations où la température est supérieure à -8°C sont noyées au sein de taches rouges. Mais des écarts apparaissent : par exemple, certains cercles bleu clair des plateaux du Jura (Saône, -13,6°C) se trouvent au sein d'aires où la statistique a calculé une température supérieure à -8°C. Inversement, à Amancey, la température est de -10°C et la valeur calculée est de -14,6°C. Ces écarts, parfois importants, montrent bien la difficulté à reproduire une réalité infiniment complexe.

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Fréquence des températures inférieures à -25°C


En répétant les interpolations autant de fois que nous avons de jours de froid, on obtient 99 cartes d'où il est possible de tirer de nombreux enseignements. Nous en présenterons un : celui de la fréquence des gels inférieurs à -25°C. Ces occurrences de froid intense sont rares : elles ont été enregistrées neuf jours depuis 1992 et ont concerné 24 stations au total. Un rapide tri effectué parmi les 99 situations interpolées nous dit que 12 jours ont présenté un gel inférieur à -25°C. Il y a ainsi au moins trois jours au cours desquels un ou plusieurs points en Franche-Comté ont observé une température aussi basse sans que le réseau des stations n'en fasse état. La station de Mouthe n'est donc pas toujours localisée au point le plus froid.

 

La carte de la fréquence des jours où la température a été inférieure à -25°C localise les « pièges à froid », ces fameux sites où la température est glaciale à répétition et durant de longues périodes. On les trouve dans le val de Mouthe, bien évidemment, mais aussi en de multiples points dispersés dans la montagne jurassienne, entre Lamoura et Maîche en passant par Levier. Ce que la figure 4 nous montre, c'est la localisation des sites où la probabilité de faire froid est forte. Maintenant, pour nous en assurer, il faudrait y installer des capteurs pour, peut-être découvrir de nouveaux pôles du froid détrônant Mouthe...

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Mais il convient d'être prudent. On a vu que le calcul ne fournit pas nécessairement une température juste. Des erreurs élevées surviennent même de temps à autre. Par ailleurs, le modèle reproduit des tendances et des régularités tirées d'une information climatique et géographique ajustée à un niveau d'échelle local : les stations climatiques sont positionnées de manière telle que les influences microlocales sont minimisées ; les données spatiales introduites dans le SIG (résolution de 50 m) ne sont pas forcément les plus adaptées pour prendre en compte les plus fines variations de la température. Ainsi, les données, imparfaitement adaptées au problème posé, sont incapables de fournir la moindre information concernant la température de quantité de micro-sites extrêmement propices à rétablissement de températures glaciales. On se heurte là à un problème d'échelle rédhibitoire qui explique les erreurs d'estimation parfois élevées qui apparaissent ici ou là.

 

Source :

Images de Franche-Comté, n° 38, décembre 2008 pp. 6-9.

20/01/2013

Lapins dans la glace

Lapins dans la glace

 

par Dominique Delfino

photographe paysagiste et animalier

 

Ils courent sur la neige, glissent sur la glace mais c'est toujours à proximité d'un terrier que ces petits lapins de garenne se tiennent pour plonger et se mettre à l'abri en cas de danger.

 

 

En ce dimanche de janvier, je profite de cet épisode de verglas pour observer le comportement de cette population de lapins implantée dans les prairies bordant le Doubs près de Colombier Fontaine.

 

Les lapins sauvages doivent se méfier de nombreux prédateurs contre lesquels ils n’ont aucune défense, si ce n’est de rester immobiles pour ne pas se faire repérer ou de s’enfuir pour se réfugier dans leur terrier.

 

En cette période hivernale, ils se nourrissent de racines et quand la nourriture se fait plus rare d’écorce d’arbres. Mais dans la neige glacée bouger le moins possible est encore la meilleure façon de faire face aux dépenses d'énergie comme en témoigne ce cliché.

 

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Cliché © Dominique Delfino

 

19/01/2013

Césaire et Marie PHISALIX : deux savants comtois

Césaire et Marie PHISALIX :

deux savants comtois

spécialistes des venins et des serpents

 

par Claude-Roland Marchand

 

Professeur des Universités

Membre correspondant de l'Académie des Sciences,

Belles Lettres et Arts de Besançon.

 

En 2006, la commune de Mouthier-Hautepierre et la Société Herpétologique de France ont honoré la mémoire de Césaire PHISALIX, pour le centenaire de sa mort. Cet enfant du pays s’est illustré, au cours d’une riche et brillante carrière, dans plusieurs domaines de la biologie et de la physiologie ; mais son nom reste surtout attaché à la mise au point d’un sérum antivenimeux. Malgré l’importance de cette découverte, Césaire PHISALIX nous semble injustement tombé dans l’oubli.

 

Mouthier-Hautepierre a associé à cet hommage, son épouse et collaboratrice, Marie PICOT-PHISALIX, disciple talentueuse qui a prolongé l’œuvre de son époux, pendant trente neuf ans au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris.

La ville de Besançon a baptisé une rue de la capitale comtoise du nom de PHISALIX.

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Cliché C.R. Marchand

 

Je voudrais retracer, ici, les principales étapes de leurs vies et les importantes retombées de leurs recherches en m’aidant des nombreux témoignages rassemblés dans différentes revues dont on trouvera les références dans la bilbiographie ci-dessous.

 

 Auguste-Césaire PHISALIX (1852-1906)

 

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Est né le 8 octobre 1852 à Mouthier-Hautepierre (Doubs) dans une modeste famille de vignerons ; c’est un élève brillant qui entame sa scolarité, auprès de son instituteur à Lods, puis au petit Séminaire d’Ornans ; il la poursuit au Collège catholique de Besançon où il obtient ses baccalauréats (en 1872, 1873). Pour alléger les sacrifices consentis par sa famille, il s’engage comme élève au Service de Santé Militaire. En 1877, au Val de Grâce, il termine ses études médicales par la soutenance  d’une thèse sur « La néphrite interstitielle ». Parmi ses maîtres se trouve Alphonse LAVERAN, qui découvrira l’Hématozoaire du paludisme (Prix Nobel 1907), et parmi ses camarades il y a Émile ROUX qui fera, comme on sait, une brillante carrière à l’Institut Pasteur (mise au point du sérum anti-diphtérique).

 

Césaire PHISALIX va occuper différents postes au Val de Grâce, puis revient à Besançon avec le grade de médecin aide-major au 4ème Régiment d’Infanterie.

 

En 1881, il participe à la campagne de Tunisie, où il tombe gravement malade ; rapatrié il entame sa convalescence à Roscoff où il va assouvir sa passion de naturaliste. C’est là qu’il réunit du matériel qui lui servira à soutenir sa thèse de sciences après l’obtention de sa licence de sciences naturelles en 1882. Sa thèse de doctorat ès sciences est soutenue en 1884 ; elle s’intitule : « L’anatomie et la physiologie de la rate chez les Ichthyopsidés* ». Sa santé ne s’améliorant pas il sera mis à la retraite de l’Armée active à 35 ans, en 1887.

(* Ce sont des Poissons).

 

En 1884, il est nommé préparateur à la Faculté des sciences de Besançon, puis professeur suppléant de zoologie médicale à l’École de Médecine et de Pharmacie en 1886. Deux ans plus tard il est nommé Chef de travaux de zoologie à la Faculté des sciences de Besançon. Cette même année, à l’âge de 35 ans, sur proposition du Professeur CHAUVEAU (Directeur de l’École vétérinaire de Lyon), il entre au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, en tant qu’Aide-naturaliste ; puis il est promu Assistant en 1892.  C’est pendant ce séjour de 18 ans au Muséum, jusqu’à sa mort en 1906, que Césaire PHISALIX fera ses découvertes majeures sur les venins et la sérothérapie.

 

Plus de 200 articles, publiés dans des revues scientifiques renommées, présentent les résultats de ses essais, de ses protocoles et des applications possibles de ses découvertes.

 

Malheureusement, sur le même sujet et avec des conclusions similaires, à son corps défendant, il entrera en compétition avec le Dr Albert CALMETTE dont le nom est le seul à être associé à la mise au point des sérums antivenimeux.

 

Marie-Émilie PICOT-PHISALIX (1861-1946)

 

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Elle est née le 20 novembre 1861 à Besançon (150e anniversaire). Elle est la fille de Camille-Joseph PICOT originaire de Gap (Hautes Alpes) et de Marie-Joséphine DALLOZ née à Saint-Claude (Jura). En 1863 sa maman décède. Son papa élèvera alors seul sa petite famille. Grâce à un milieu aisé elle bénéficie d’une bonne éducation, entre à l’École Normale Supérieure des Jeunes filles de Sèvres en 1882, dans la deuxième promotion de cette école ; elle obtient, et c’est nouveau pour une fille à l’époque, l’agrégation de sciences en 1888.

 

Marie PICOT a enseigné dans plusieurs établissements : à Besançon, Bourg-en-Bresse, Cambrai. Et c’est à Besançon, qu’elle reprend des études de médecine. En 1895 Marie PICOT épouse Césaire PHISALIX qu’elle avait connu lors d’un stage à la station de Roscoff. 

 

Cette même année, Marie PICOT-PHISALIX quitte l’enseignement et rejoint, au Muséum d’Histoire Naturelle, son mari avec qui elle va travailler, d’abord à une thèse de médecine et ensuite à des recherches approfondies sur les venins, les appareils venimeux dans le règne animal.

 

En 1900 elle soutient à Paris une thèse de Médecine intitulée : « Recherches histologiques, embryologiques et physiologiques sur les glandes à venin de la salamandre terrestre ». Pour les grandes qualités de ce travail, certes un peu éloigné du domaine médical, elle reçoit la médaille d’argent de la Faculté de Paris ; elle rejoint alors le groupe des premières femmes françaises titrées du grade de docteur en médecine.

 

De 1900 à 1906, elle travaille auprès de son mari, et l’entoure de ses soins attentifs dans les dernières années de sa vie.

 

En 1910, elle entre au Laboratoire d’Herpétologie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris où elle travaillera jusqu’à sa mort en 1946, en qualité d’Attachée bénévole. En 2011 son bureau existe toujours dans le pavillon d’Herpétologie.

 

Nous voulons, ici, en 2011, rendre hommage à « ces deux savants du pays de Courbet », l’année même où est inauguré le Musée du peintre d’Ornans, qui n’a pas pu, évidemment, connaître ses illustres voisins de la vallée de la Loue.

 

La CARRIÈRE SCIENTIFIQUE de Césaire PHISALIX

 

Docteur en médecine et docteur ès Sciences naturelles, Césaire PHISALIX s’est intéressé à de nombreux sujets, avec curiosité, rigueur et efficacité.

 

Son collègue de la Faculté de Médecine de Paris, le Dr DESGREZ, a décrit, quatre ans après sa mort, la puissance de travail et l’opiniâtreté de ce chercheur enthousiasmé aussi bien par l’embryologie et l’anatomie humaines, que par la physiologie, la pathologie générale et la bactériologie. 

 

En effet, ce qui force l’admiration chez Césaire PHISALIX, c’est son total engagement dans chaque sujet abordé, que les circonstances ou ses maîtres lui proposent. Nous nous attarderons sur les venins et la sérothérapie, sans passer sous silence la pertinence de ses observations sur le cerveau de l’embryon humain (que Sigmund FREUD citera dans un de ses articles), la cyclopie, les chromatophores des Mollusques Céphalopodes, la rate des Vertébrés inférieurs (son sujet de thèse), et les glandes venimeuses des Amphibiens. Il a isolé la bufoténine du Crapaud, mais aussi une quinone des Myriapodes Diplopodes. On reste surpris par la dispersion de ses centres d’intérêt, mais ce qui va l’occuper la majeure partie de sa carrière c’est le problème des venins et le traitement de l’envenimation.

 

Pour comprendre l’origine de son intuition géniale concernant l’obtention d’un sérum neutralisant les venins, il nous paraît important de rappeler les premiers travaux de microbiologie qu’il a effectués sous la conduite du Professeur Auguste CHAUVEAU (1827-1917 ; titulaire de la Chaire de Pathologie comparée qui a mis au point le vaccin contre le charbon) et qui ont trait à la maladie charbonneuse. En effet, à l’instar de nombreux chercheurs, il atténue la virulence du Bacille par la chaleur. Mentionnons par exemple, dans cette période féconde en découvertes, les nombreux travaux convergents des années 1880-1890 : ceux de TOUSSAINT sur le charbon en 1880, de FERRAN* en 1884 et de GAMALEÏA sur le choléra en 1888, ceux de PASTEUR sur la rage en 1885, ceux de ROUX et YERSIN sur la diphtérie en 1888, BEHRING et KITASATO en 1890 sur la diphtérie et le tétanos, et de BABES et LEPP en 1889 sur la rage. C’est une période de recherches animées et parfois conflictuelles procédant d’un même principe : affaiblir un microbe,  pour vacciner un animal, et utiliser le sérum de son sang qui  a acquis la capacité de neutraliser les toxines microbiennes.

 

* Jaime FERRAN, prix Bréant 1907, aurait même la priorité sur PASTEUR, puisqu’il a vacciné, en Espagne, 4700 personnes contre le choléra en 1885.

 

Dès 1889, PHISALIX concentre ses recherches sur les venins, qu’il avait déjà abordés avec la Salamandre et le Crapaud, et qu’il élargit aux Serpents. Il reconnaîtra plus tard comment lui est venue l’idée, auprès de son maître A. CHAUVEAU, d’une analogie entre « les sécrétions cellulaires toxiques et les sécrétions microbiennes… et que les procédés d’atténuation et de vaccination applicables aux unes le sont aussi aux autres. »

 

Ce paradigme, pourrait-on dire, se confirmera au fil des essais et des ajustements expérimentaux qu’il conduira avec la collaboration d’un jeune pharmacien, Gabriel BERTRAND, dont le nom restera attaché à ses découvertes majeures.

 

GENÈSE d’une DÉCOUVERTE HISTORIQUE

 

De tous temps la médecine traditionnelle a proposé différents remèdes contre l’envenimation ; citons parmi les plus anciennes la Thériaque d’Andromachus (cf le texte de Moyse CHARAS 1668), utilisées pendant 17 siècles, ou d’improbables préparations « magiques » à base de plantes, d’insectes, d’extraits divers et variés… souvent inefficaces et à tout le moins dangereux sur des patients en état de choc.

 

L’accoutumance des montreurs et des chasseurs de serpents, était attribuée à des petites morsures répétées, où de faibles quantités de venin agissaient un peu comme un vaccin (Marie PHISALIX, mordue à plusieurs reprises pourrait en être le plus bel exemple !).

 

Dans ses travaux de 1886-1888, KAUFMANN signalait déjà l’accoutumance qu’il obtenait chez le chien par des injections répétées de petites quantités de venin entier ou de venin vieilli (travail couronné par l’Académie de Médecine). Mais nous trouvons également dans la littérature du XVIIIe siècle, sous la plume de FONTANA (1780) des essais d’accoutumance par injections de petites quantités de venin. C’est à partir de 1892 que, de son côté déjà, Albert CALMETTE parvient à détruire la « virulence » du venin de Cobra par la chaleur ; mais il reconnaît avoir cherché, en vain, à obtenir l’immunité totale chez les animaux expérimentés . L’ensemble de toutes ces observations sur les venins, l’envenimation et l’accoutumance, sont prises en compte par Césaire PHISALIX qui, à partir de 1892, s’emploie à les utiliser dans des protocoles méthodiques savamment répétés et contrôlés.

 

Matériels et méthodes utilisés par PHISALIX et BERTRAND

 

PHISALIX et BERTRAND ont utilisé le venin de Vipera aspis, récoltée dans le Centre de la France et en Franche-Comté (CALMETTE, on l’a dit plus haut, travaillait sur le Cobra mais il a réalisé quelques essais avec des Vipères récoltées autour d’Arbois ). Dans un premier temps ils ont établi que la dose mortelle minima pour un Cobaye de 500 g était de 0,3 mg de venin sec.

 

Puis ils testent l’effet de températures de plus en plus élevées sur l’atténuation du venin ; ils établissent finalement que c’est un chauffage de 15 mn à 80° qui est le plus efficace.  Leurs différents essais les amènent à conclure que la chaleur met en évidence trois substances dans le venin : un composé toxique à effet local : l’ échidnase, un composé qui détermine les effets généraux mortels : l’échidno-toxine et ce qui est obtenu après un chauffage de 15 mn à 80° : l’échidno-vaccin.  Cette observation est fondamentale pour l’établissement du protocole rigoureux et reproductible que nos deux chercheurs vont proposer dans leurs publications historiques de 1894.

 

Le protocole de 1893-1894

 

In : Comptes Rendus de l’Académie des Sciences vol. 118, 5 février 1894, pp 288-291. C’est le treizième article de PHISALIX sur les venins ; il s’intitule : « Atténuation du venin de vipère par la chaleur et vaccination du cobaye contre ce venin. » note présentée par M. A. Chauveau.

 

PHISALIX et BERTRAND réalisent une vaccination le 11 janvier sur un cobaye mâle de 510 g, avec 0,3 mg de venin de vipère chauffé à 75° pendant 5 min : l’animal est un peu nauséeux, sans symptôme local. Le 13 janvier inoculation de 0,3 mg de venin entier : quelques nausées, pas de gonflement local, vivacité normale. Le 14 janvier pas d’œdème. Encore vivant le 5 février.

 

Un résultat identique est obtenu avec 0,6 mg de venin.

 

Conclusion des auteurs : « Le venin chauffé acquiert des propriétés vaccinantes, soit parce que la chaleur respecte des substances douées de ces propriétés, soit parce qu’elle en fait naître aux dépens de matières toxiques… »

 

« … Disons toutefois, dès maintenant, qu’il se produit dans le sang des animaux vaccinés des modifications importantes, analogues à celles que l’on a découvertes pour le tétanos ».

 

Cette communication est suivie le 10 février 1894 par un article complémentaire et fondamental, qui démontre que le sang des animaux vaccinés a des propriétés antitoxiques.

 

In : Comptes Rendus de la Société de Biologie vol. 46, pp. 111-113. Il s’intitule : « Sur la propriété antitoxique du sang des animaux vaccinés contre le venin de vipère. »

 

PHISALIX et BERTRAND vaccinent deux cobayes le 21 janvier et les sacrifient le 24 en prélevant leur sang (Notons que ce délai est très court quand on sait que le maximum d’IgG (imunoglobulines G est produit plusieurs semaines après la première injection. Il semblerait que les IgM rapidement produites auraient leur importance ).  Ce sang est défibriné, mélangé à la dose de 15 cc avec 0,3 mg de venin sec. Ce mélange est ensuite injecté à un Cobaye qui fait un oedème 2 heures après. Le 10 février l’animal est bien portant. Même résultat avec 0,5 mg dans 12 cc du sang de l’animal vacciné. Confirmation des résultats avec 3 cc de sang mélangé à 0,3 mg de venin.

 

Conclusion des auteurs :

 

« Nous espérons obtenir des modifications du sang suffisamment intenses pour qu’il puisse être utilisé comme agent curatif. »

 

Il nous semble qu’un grand pas est alors franchi dans le traitement des envenimations : le sérum antivenimeux est inventé.  Mais une publication contemporaine d’Albert CALMETTE va perturber les retombées de la découverte de PHISALIX et BERTRAND.

 

Les travaux d’Albert CALMETTE (1863-1933)

 

Élève de l’École de Médecine navale de Brest, il entre au Service de Santé de la Marine, obtient sa thèse en 1885 et effectue de nombreuses missions en Afrique, St Pierre et Miquelon et en Asie.  Dès 1891 Louis PASTEUR le désigne pour fonder une filiale de l’Institut Pasteur à Saïgon ; c’est là qu’il supervise la production de vaccins contre la variole et contre la rage et conduit des recherches sur le choléra, la dysenterie, les fermentations et les venins de serpents.

 

Placé hors cadre du Corps de Santé des colonies, en 1894, il consacre tout son temps à la préparation d’un sérum antipesteux (avec BORREL et YERSIN) et surtout d’un sérum antivenimeux contre le venin de Cobra. Tout comme CHAUVEAU et PHISALIX il croyait à une analogie entre les composants toxiques du venin et les toxines bactériennes. La chaleur, selon lui, ne modifiant pas le venin de Cobra, il y parvient à l’aide d’hyposulfites alcalins.

 

En 1892, il publie ses premiers essais d’immunisation sur les Poules ; mais c’est en 1894, le même jour que PHISALIX et BERTRAND, à la Société de Biologie, mais plus tard dans la journée (!), qu’il présente un travail intitulé : « L’immunisation artificielle des animaux contre le venin des serpents et la thérapeutique expérimentale des morsures venimeuses. » Il conclut en affirmant que son protocole effectué sur l’animal pourrait être appliqué à l’Homme.

 

Notons que dans le traitement de la morsure, il accordait autant d’importance à l’injection locale d’hypochlorite (eau de Javel) qu’au sérum lui-même. Il finira par ne plus préconiser l’injection d’hypochlorite dont PHISALIX et BERTRAND démontrent l’inefficacité en 1895, sans jamais reconnaître explicitement son erreur. De même il mit beaucoup de temps à reconnaître la spécificité des sérums antivenimeux et pensait que son antisérum préparé avec le venin de cobra était efficace contre toutes les envenimations ophidiennes. Pourtant PHISALIX et BERTRAND (1895) notaient que : « le venin des serpents diffère non seulement d’une espèce à l’autre, mais aussi chez la même espèce », en fonction, en particulier, de la saison et du lieu de récolte.

 

C’est le professeur Max GOYFFON, du Muséum d’Histoire Naturelle, qui résume le mieux en 2009, les tenants et les aboutissants de la querelle de priorité qui oppose pour longtemps les deux découvreurs.

 

Je le cite :

« Dans une note présentée quelques semaines plus tard, le 27 mars 1894, CALMETTE fait valoir l’action tout à la fois préventive, antitoxique et thérapeutique du sérum antivenimeux qu’il prépare, sans citer le travail antérieur de PHISALIX et BERTRAND. Ceux-ci répliquent aussitôt le mois suivant dans une note où ils rappellent leur antériorité, car ils pensent que des conséquences théoriques et pratiques importantes découleront des faits qu’ils ont établis. »

 

 L’Académie des Sciences donnera raison d’abord à PHISALIX et BERTRAND en leur attribuant le prix MONTHYON en 1894 « pour la découverte d’un sérum antivenimeux », puis à PHISALIX seul avec le prix BRÉANT en 1898 pour  « la découverte des sérums antivenimeux. »

 

La querelle durera longtemps et c’est le nom de CALMETTE que l’Histoire retiendra ; à cela il y a plusieurs raisons :

 

1 – la rivalité évidente qu’il y avait entre le Muséum et l’Institut Pasteur ;

 

2 – le mauvais état de santé de Césaire PHISALIX qui ne se déplace plus guère, alors que CALMETTE voyage et présente ses résultats dans le monde entier ;

 

3 – la stratégie efficace de CALMETTE qui dès 1895, à l’Institut Pasteur de Lille, s’attache à préparer des grandes quantités de sérum antivenimeux contre le venin de Cobra, avec lequel il obtient des guérisons humaines : en 1895 il applique avec succès la première sérothérapie antivenimeuse à un Vietnamien ; pratique que n’a pas pu réaliser PHISALIX, qui n’avait pas accès aux malades.

 

4 – une certaine « ingratitude » du Pastorien vis à vis de son confrère du Muséum, à laquelle s’ajoute le recrutement de BERTRAND par l’Institut Pasteur en 1900.

 

Avec le recul, nous sommes en mesure de dire qu’il y a manifestement une différence de tempérament entre les deux découvreurs : PHISALIX est prudent, modeste et élargit ses recherches, jusqu’à sa mort, pour découvrir d’autres antidotes. « À l’opposé, CALMETTE met toute son énergie à faire reconnaître l’intérêt de sa découverte… il vise avant tout l’efficacité… Élève et admirateur de ROUX autant que de PASTEUR, sa foi, son pouvoir de conviction et un dynamisme hors du commun balaieront aisément des approximations et des échecs en fin de compte mineurs, et réussiront à imposer ses opinions et ses résultats. » nous dit Max GOYFFON. Qui conclut : « CALMETTE sera prophète en dehors de son pays comme en son pays… ».

 

Nous laisserons, à propos de cette querelle, le dernier mot à Édouard R. BRYGOO (1985) qui a travaillé à l’Institut Pasteur et au Muséum d’Histoire Naturelle, je cite : « Même s’il ne s’en fallait que de très peu, PHISALIX et BERTRAND étaient gagnants aussi bien à la Société de Biologie qu’à l’Académie des Sciences, tandis que CALMETTE ne se montrait vraiment pas beau joueur. »

 

Nous ne pouvons pas quitter Césaire PHISALIX sans mentionner les nombreux travaux qu’il a consacrés à l’immunité naturelle de certains animaux (Mammifères ou Serpents) pouvant laisser espérer découvrir une propriété particulière transposable à l’espèce humaine. D’autres pistes ont été explorées par lui, alors qu’il cherchait des molécules naturelles susceptibles de traiter l’envenimation.

 

Césaire PHISALIX  a été élu Officier de l’Instruction publique en 1899, Officier de l’Ordre du Lion et Soleil de Perse en 1903.

 

Il a été nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1900.

 

L’école et une place de Mouthier-Hautepierre ainsi qu’une petite rue de Besançon portent son nom.

 

Il n’a pas été membre de notre Académie.

 

Évoquons la carrière scientifique de Marie PICOT-PHISALIX

 

Elle a publié seule ou en collaboration plus de 270 articles, de vulgarisation ou très spécialisés. Deux ouvrages majeurs sont attachés à son nom : « Animaux venimeux et venins » en 1922  et « Vipères de France » en 1940.  On peut y apprécier d’une part ses descriptions anatomiques, physiologiques précises et d’autre part ses talents d’artiste. Les deux volumes de 1922 comptent plus de 1400 pages, 521 figures, 9 planches en noir et blanc, 8 planches en couleurs et une impressionnante bibliographie. Marie PHISALIX observe soit des animaux qu’elle a récoltés elle-même (salamandres ou vipères), soit des spécimens qu’on lui envoie par voie postale dans des boîtes à bonbons (!).

 

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 Cinq schémas extraits de « Animaux et venins » 1922  

 

La manipulation des vipères ou du redoutable Heloderma lui vaudra plusieurs morsures, dont une à l’âge de 80 ans qu’elle supporte sans dommages (l’Histoire ne dit pas si elle a utilisé le sérum antivenimeux inventé par son mari). Une anecdote rapportée par F. ANGEL, son aide de laboratoire, illustre le « pragmatisme » de Marie PHISALIX. Citation : « Au moment des plus dures restrictions alimentaires imposés aux Parisiens par l’occupation allemande, au cours des années 1941-1944, nous avons vu bien souvent Mme le Dr Marie Phisalix … emporter chez elle dans un petit récipient les œufs non embryonnés des nombreuses femelles de vipères qu’elle gardait en captivité et qui, dans la journée, avaient été sacrifiées pour servir à ses expériences et à ses études. Ces animaux étaient disséqués, les œufs prélevés soigneusement dans le corps pour servir, disait-elle, « à faire son omelette du soir »… elle ajoutait, en riant : « je prélève également la graisse des mêmes animaux pour remplacer les autres matières grasses absentes ! »…. Par contre elle était navrée de voir sa domestique refuser énergiquement cette nourriture… Ce mode particulier d’alimentation souvent répété, n’altéra jamais sa santé… Il apportait une preuve nouvelle à ses opinions concernant la destruction, par la cuisson, du venin produit par les glandes et le sang des espèces dangereuses. »

 

Sa filleule, Marie-Louise BOURGEOIS, évoque un souvenir ému de sa marraine, avec qui en 1919, elle chassait les Salamandres à Mouthier-Hautepierre, la lanterne à la main. Même en vacances elle se faisait livrer des vipères du Morvan et « elle les disséquait, surtout la tête. Ensuite elle tannait les peaux pour s’en faire des ceintures et des garnitures. »

 

Nous avons pu observer, conservés dans le formol ou dans l’alcool de nombreux spécimens entiers préparés et étiquetés par Marie PHISALIX : salamandres, couleuvres, vipères, héloderme, mais également des crânes finement disséqués de vipéridés ou de crotale.

 

Le Dr Ivan INEICH, actuel curateur des collections du Muséum National d’Histoire Naturelle, à qui nous devons les clichés que nous projetons, nous a autorisé à les regarder de très près et constaté leur bon état de conservation. Nous pouvons faire de même dans le petit Musée Marie Phisalix de Mouthier-Hautepierre, que Christophe CUPILLARD entretient et fait visiter à la demande.  Quelques spécimens de couleuvres et de vipères cédés en 1927 par « Mme le Docteur Phisalix » ont été également signalés dans  les collections du Musée de la Citadelle et de la Faculté des Sciences de Besançon.

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Schéma extrait de « Vipères de France » 1940

 

 

Outre ses propres travaux, cette « grande prêtresse des animaux venimeux », a apporté son concours à la relecture, à la finalisation de « La vie des Reptiles de la France centrale », 343 pages écrites et documentées par son ami Raymond Rollinat, décédé au moment où il achevait le manuscrit. Parmi ses disciples signalons notre compatriote naturaliste Charles DOMERGUE (décédé en 2008) qui lui a dédié une espèce de Colubridé découverte à Madagascar et qu’il a nommé Phisalixella.

 

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Schéma extraits du livre de Raymond ROLLINAT

 « La vie des Reptiles de France » 1934.

Publié avec le concours de Marie PHISALIX

 

Les engagements de Marie PHISALIX

 

En tant que médecin et citoyenne, Marie PICOT-PHISALIX a apporté son aide dans le domaine sanitaire et dans la défense de la cause des femmes : Vice-présidente pour l’amélioration du sort de la Femme en 1935, elle présidera, à 84 ans, une réunion de la Ligue Française pour le Droit des femmes et sur le rôle des électrices dans la reconstruction du pays en 1945. La Présidente parlera du « féminisme souriant d’une grande Dame » ! En tant que médecin elle a procédé à des vaccinations contre la variole et la typhoïde, en 14-18, et a assuré la garde de la Ménagerie du Jardin des Plantes en 39-45.

 

 Marie PHISALIX n’a jamais oublié Mouthier-Hautepierre, à qui elle a fait don d’un important mobilier scolaire en 1912.

 

Ses distinctions sont nombreuses : Officier d’Académie en 1901, Officier de l’Instruction publique en 1908, deux prix Bréant (1916, 1922), Grand Prix de l’Exposition d’Hygiène de Strasbourg (1923), Diplôme et médaille de l’Exposition vaticane (1925), Grand Prix Lasserre de l’Instruction publique.

 

Elle a été décorée de la Légion d’Honneur en 1923.

 

Elle a été élue Présidente d’honneur de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs en 1924 et  nommée Associée correspondante de notre Académie le 26 janvier 1933. Elue Présidente de la Société Zoologique de France en 1937. Elle a échoué de très peu à l’Académie de Médecine où l’on se souvient que Marie CURIE n’a été admise que très tard, après ses deux prix Nobel !

 

La tombe des PHISALIX

 

         Dans le cimetière de Mouthier-Hautepierre, tout en haut, la sépulture des deux savants regarde la vallée. On peut y lire cette inscription :

 

Famille des Docteurs Césaire et Marie PHISALIX

Chevaliers de la Légion d’Honneur

 

CONCLUSION

 

La carrière de nos deux compatriotes est admirable.

 

Leurs travaux dans le domaine des venins, de la sérothérapie et de  l’Herpétologie ont eu et ont encore des prolongements et des retombées considérables.

 

Notre Région peut s’honorer de les avoir formés et côtoyés et s’honorerait de les célébrer avec tout le respect qu’ils méritent.

 

Lors d’un Colloque consacré à Courbet, en septembre dernier, Madame le Conservateur en chef du Musée du Louvre faisait remarquer à l’auditoire que « la Franche-Comté ne reconnaît pas assez ses enfants ». Même si ce constat est vrai et dérangeant on objectera, tout de même, que Louis PASTEUR et Georges CUVIER ont reçu des hommages à la hauteur de la portée de leurs découvertes qui ont fait « beaucoup d’ombre aux autres savants comtois ! » ; à nous, désormais, de faire une place honorable à ce couple de chercheurs.

 

Quant à la paternité de la découverte du sérum antivenimeux, nous pensons, en toute objectivité, que Césaire PHISALIX, avec quelques heures d’avance, a bien fait l’annonce décisive.

 

NB : Ce litige nous rappelle, toutes proportions gardées, les conflits célèbres de DARWIN-WALLACE, ROUX-FLEMING ou PASTEUR-TOUSSAINT… et beaucoup d’autres, où c’est souvent le plus pugnace sinon le plus ambitieux qui a imposé son nom dans les pages de la célébrité !

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Bochner R. et Goyffon M. 2007. L’œuvre scientifique de Césaire Phisalix (1852-1906), découvreur du sérum antivenimeux. Bull. Soc. Herpét. Fr., 123, pp. 15-46.

 

Brygoo E. R. 1985. La découverte de la sérothérapie antivenimeuse en 1894. Phisalix et Bertrand ou Calmette, Bull. Soc. Anc. Elèves Inst. Pasteur, 4, pp. 10-21.

 

Calmette A. 1894.  L’immunisation artificielle des animaux contre le venin des serpents et la thérapeutique expérimentale des morsures venimeuses. C. R. Soc. Biol. 46, 10 février, pp. 120-124.

 

Calmette A. 1896. Le venin des serpents. Physiologie de l’envenimation. Traitement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vaccinés. Société d’Editions scientifiques, 72 pages.

 

Charas M. 1685.  Nouvelle expérience sur la Vipère, où l’on verra une description exacte de toutes ses parties, la source de son venin, ses divers effets, et les remèdes exquis que les artistes peuvent retirer de cet animal. In 8°. Paris. Premier livre écrit en langue française se rapportant à la Vipère.

 

Cupillard C. 2007.  Auguste-Césaire Phisalix (1852-1906) : un savant au pays de Courbet. Bull. Soc. Herp. Fr., 123, 9-13.

 

Cupillard C. et Videlier P-Y. 2007. Césaire et Marie Phisalix. Deux savants au pays de Courbet. 24 pages.

 

Desgrez A. 1910. Notices biographiques. XVIII – Césaire Phisalix. Archives de Parasitologie. t. XIV,   pp. 54-153.

 

Fontana F. 1781. Traité sur le venin de la vipère, sur les poisons américains, sur le laurier-cerise et sur quelques poisons végétaux. 318 pages.

 

Goyffon M. et Chippaux J-P. 2008. La découverte du sérum antivenimeux (10 février 1894), pp 32-35.

 

Lescure J. et Thireau M. 2007. Marie Phisalix (1861-1946), une grande dame de l’Herpétologie. Bull. Soc. Herp. Fr. 124, 9-25.

 

Phisalix C. et Bertrand G. 1894. Atténuation du venin de vipère par la chaleur et vaccination du cobaye contre ce venin. C. R. Acad. Sc., 5 février, pp. 288-291.

 

Phisalix C. et Bertrand G. 1894. Sur la propriété antitoxique du sang des animaux vaccinés contre le venin de vipère. C. R. Soc. Biologie. 46, 10 février, pp. 111-113.

 

Phisalix C. et Bertrand G. 1894. Sur la propriété antitoxique du sang des animaux vaccinés contre le venin de vipère. C. R. Acad. Sciences, 118, 12 février, pp.356-358.

 

Phisalix-Picot M. 1900. Recherches embryologiques, histologiques et physiologiques sur les glandes à venin de la Salamandre terrestre.Thèse de médecine. 140 p. 7 planches.

 

Phisalix M. 1922. Animaux venimeux et venins. La fonction venimeuse chez tous les animaux : les appareils venimeux, les venins et leurs propriétés ; les fonctions et usages des venins ; l’envenimation et son traitement. Masson Ed., 2 volumes ; 653 pages + 854 pages ; planches couleurs et noir et blanc.

 

Phisalix M. 1940. Vipères de France. Editions Stock. 228 pages.

 

Rollinat R. 1937. La vie des Reptiles de la France centrale. Libr. Delagrave. 343 p.

        

Professeur Claude-Roland MARCHAND

Membre correspondant, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besançon

26 septembre 2011.

 

Ajout du 12 décembre 2016

 

Un lecteur, M. Christian Agnus nous communique la photo d'une chapelle qu'il a découverte dans le cimetière des Chaprais à Besançon. Dans cette chapelle, une épitaphe : "cette chapelle, hommage de pieuse reconnaissance est érigée par les soins du Docteur Phisalix et de Mlle Anna Maire 1895".

 

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Clichés © Christian Agnus

 

Mais qui est cette mystérieuse personne Anna Maire qui a contribué aux côtés du Dr Phisalix à l'érection de cette chapelle ?

Claude Roland Marchand a contacté Christophe Cupillard, le conservateur du petit musée PHISALIX de Mouthier-Hautepierre qui lui a appris que  Anna Maire, artiste, sculptrice (1828-1906) était la marraine de Césaire Phisalix (1852-1906). En fait "Anna Maire" est un pseudonyme et que son nom véritable  était Anne Ferret.

Christian Agnus nous a adressé des photographies des deux personnages prises en 1893 par Henri d'Orival de Besançon au château de Lavigny appartenant à la famille Mareschal de Longeville.

 

Un grand merci à tous ces informateurs.

 

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18/01/2013

Le ver, la mouche et la souris : trois animaux d'intérêt pour la biologie du développement

Le ver, la mouche et la souris : trois animaux d'intérêt pour la biologie du développement


par


Claude-Roland Marchand

(professeur honoraire de l'Université de Franche-Comté)

 

La compréhension du vivant ne peut se faire qu'en observant la diversité des espèces ; leurs affinités phénotypiques et reproductrices permettant de les regrouper ; leur physiologie et leur dynamique vitale les rapprochant ou les singularisant. Au cours des siècles, l'intérêt s'est porté sur des animaux de proximité, sauvages ou domestiques, dans divers milieux, et les conclusions qu'on en tirait étaient nourries d'une logique et d'une culture très subjectives, imprégnées de croyances philosophiques ou religieuses (L'Homme faisait l'objet d'une lointaine et prudente approche, car il n'était pas considéré comme un animal !).

 

Le XXe siècle a vu l'essor de l'embryologie expérimentale qui s'est intéressée au développement animal, depuis la cellule-œuf jusqu'à l'animal différencié et fonctionnel, en utilisant des Invertébrés (Hydre, Planaire, Oursin...) ou des Vertébrés (Grenouille, Poulet, Souris).

 

Quels sont les intérêts des modèles animaux ?


Les Unicellulaires utilisés en microbiologie nous ont renseignés sur les propriétés et les fonctions de la cellule. Mais le vivant comporte également des animaux complexes, les Métazoaires, étudiés depuis longtemps et de diverses manières. Ils demandent une approche particulière qui a évolué au cours des siècles en fonction des avancées techniques. On les a observés in situ mais également et différemment en laboratoire. Pour mémoire citons les plus célèbres : les Pinsons de Darwin, le Chien de Pavlov ou les Grenouilles de Rostand qui ont modifié notre vision de l'évolution, de la physiologie ou de la tératologie.

 

Nous évoquerons trois des principaux animaux-modèles utilisés au XXe siècle et encore aujourd'hui : un Ver Nématode Caenorhabditis elegans, un Insecte, la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster et un Mammifère, la souris, Mus musculus.


Nous verrons en quoi leur étude a fait progresser nos connaissances fondamentales et nous évoquerons les applications possibles qui pourraient être envisagées dans de nombreux domaines.

 

Le ver Nématode CAENORHABDITIS elegans

 

Les « pères » de ce modèle, utilisé depuis les années 60, Sydney Brenner, John Sulston et Bob Horvitz ont reçu le prix Nobel en 2002.

 

C'est un Nématode (Ascarides) de 1 mm de longueur. 20 jours de vie, une génération tous les 4 jours. Ce sont habituellement des hermaphrodites autoféconds qui contiennent 959 cellules et 1 fois sur 1000 des mâles formés de 1031 cellules. Les mâles peuvent s'accoupler avec les hermaphrodites, ce qui permet d'obtenir des lignées pures. Le séquençage de son génome, réalisé en 1998 (premier animal à être totalement séquencé) montre qu'il contient 19 099 gènes dont environ 200 peuvent être rendus létaux par mutation.

 

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Le Nématode Caenorhabditis elegans


550 millions d'années séparent l'apparition de ce Ver et celle des Mammifères et pourtant il existe de nombreuses similitudes fonctionnelles au niveau neuronal ou au cours du vieillissement. Ces propriétés accentuent l'intérêt de l'étude de cet animal qui se nourrit d'Escherichia coli, est transparent, facile à observer sous le microscope et aisé à manipuler : ablation de cellules par laser, injection de marqueurs, de séquences d'ADN ou d'ARN antisens pour clarifier la fonction de tel ou tel gène à tel moment du développement.

 

On a pu établir chez lui le lignage complet de toutes les cellules issues de la fécondation. Sur la carte ainsi dressée, on peut retrouver l'origine de toutes les cellules constitutives de tel ou tel organe et le moment où la lignée germinale est isolée de la lignée somatique. C'était un rêve pour les embryologistes : il s'est réalisé à la fin du siècle dernier !

 

Outre le criblage génique, on a noté chez Caenorhabditis qu'une cellule sur 8 mourait au cours du développement normal. C'est une mort cellulaire programmée appelée apoptose qui se réalise grâce à l'action de protéines appelées caspases. Elle est contrôlée par les gènes ced3, ced4 qui, lorsqu'ils sont mutés, provoquent un excès de survie cellulaire. L'apoptose est une étape incontournable dans les processus d'organogenèse du vivant ; on en verra un exemple, plus loin, avec le développement des doigts chez les tétrapodes. À l'inverse le gène ced9 favorise la survie des cellules.

 

L'établissement du plan corporel, la symétrisation et l'organogenèse sont commandés par un jeu complexe et subtil de gènes qui s'expriment dans le temps et dans l'espace en étroite synergie. On a en particulier isolé les gènes egl5 et CePhox2/ceh17 qui participent à rétablissement de l'axe antéro-postérieur du ver, et de la mise en place des cellules nerveuses.

 

En outre, le séquençage de son génome révèle la présence de gènes homologues de psi, park2 et insr responsables respectivement des maladies d'Alzheimer, de Parkinson et du diabète de type 2 chez l'Homme.

 

À titre expérimental, 3 millions de Caenorhabditis ont été placés dans une navette spatiale Columbia en 2003 afin d'observer le déroulement des différentes étapes du développement en apesanteur. Après l'accident de cette navette, on a retrouvé des vers vivants parmi les débris, dans leurs boîtes d'élevage, révélant de manière inattendue la relative résistance de ces vers.

 

Deuxième animal-modèle : La mouche des fruits, DROSOPHILA melanogaster


Tout a commencé, pour cette Mouche aux yeux rouges, avec le naturaliste américain Thomas Morgan (1866-1945), prix Nobel 1933, qui a voulu vérifier avec elle, les lois de Mendel redécouvertes au début du XXe siècle. Elle est très fertile, facile à élever, facile à observer et présente souvent des mutations. Son génome comporte 13 000 gènes dont plus de 75% sont homologues aux gènes humains.

 

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La Mouche des fruits : Drosophila melanogaster

 

Dès 1927 C. Bridges observe des Drosophiles mutantes présentant quatre paires de pattes, ou deux paires d'ailes. En 1954, E. Lewis observera d'autres mutations. Ces deux chercheurs leur donnent des noms évocateurs : bithoraxoïd, bithorax, postbithorax, ultrabithorax. Et lorsque des antennes sont transformées en pattes Lewis parle d'Antennapedia. Dès lors la notion d'homéose est proposée : elle désigne, selon Bateson, en 1894, la transformation d'un organe en un autre. Lewis et ses collaborateurs parleront désormais de gènes homéotiques, ou homéogènes à l'origine de ces transformations spectaculaires.

 

Lewis localisera ces homéogènes sur le chromosome 3 de la Drosophile. Chaque homéogène comporte une séquence de 180 paires de bases, l'homéobox, qu'on retrouve également chez le Xénope, la Souris et chez l'Homme.

 

De 1983 à 1990, E. Lewis et ses collaborateurs, Christiane Nüsslein-Volhard et Eric Wieschaus, affineront leurs découvertes. Ce qui leur valut le Prix Nobel en 1995. Cette découverte montre que des gènes majeurs, conservés au cours de révolution, contrôlent le schéma corporel de base de chaque zootype ; c'est un paradigme qui s'avère valable pour le règne végétal.

 

Quelques images nous permettent de suivre les différentes étapes du développement de la Drosophile et de localiser les gènes architectes qui contrôlent l'organogenèse, dans l'espace et dans le temps.

 

1 = Les polarités dorso-ventrale et antéro-postérieure


sont esquissées dans les ovarioles de la femelle et confirmées après la fécondation. Un grand nombre de gènes (dont nous ne donnerons pas la longue liste) participent à rétablissement de l'identité des territoires, comme par exemple dorsal, nanos, toll, torpedo, cactusdont l'activité produit une combinaison de facteurs de transcription morphogénétiques. Sur ces schémas, on peut noter la répartition, selon un gradient, des produits des gènes bicoid, torso et nanos. Leur mutation conduit à des larves transformées : sans abdomen, sans tête, sans telson... Grâce aux anomalies, on peut localiser le moment et la région où s'expriment les gènes d'intérêts.

 

2 = L'identité segmentaire se réalise progressivement, en s'affinant peu à peu, pour aboutir à une zonation conforme au plan de l'Insecte : tête, thorax, abdomen. On ne peut manquer d'être surpris par ce qui peut paraître comme une certaine logique dans le déroulement de ces étapes : du simple au complexe et de l'avant vers l'arrière.

 

Trois groupes de gènes, les gènes gap[1], pair-rule[2], de polarité segmentaire interagissent et construisent le plan corporel segmentaire.

 

La mise en évidence de leurs interrelations et de leurs domaines d'expression, parfois chevauchants, est le résultat d'un travail minutieux de biologie moléculaire, intéressant pour la Drosophile, mais aussi au plan fondamental.

 

3 = Les homéogènes : Attardons-nous un peu sur ce que l'étude approfondie des mutations de la Drosophile a apporté à la connaissance des gènes architectes.

 

Les plus spectaculaires sont des mouches porteuses de 4 ailes (mutation appelée Ultrabithorax) et des mouches dont les antennes sont transformées en pattes (mutation appelée Antennapedia).

 

Le mérite de Lewis a été de localiser, en 1978, les gènes responsables de ces mutations. Ils se trouvent tous sur le chromosome 3. En 1983 il parvient avec son équipe à isoler et séquencer ces gènes qu'il range désormais dans le groupe des gènes homéotiques. Car, nous le répétons, leur expression ectopique construit un organe conforme, mais qui n'est pas à sa place : des ailes à la place des balanciers ou une patte à la place de l'antenne.

 

Voici le schéma qu'il propose, sur le même chromosome 3 (colinéarité), de l'avant à l'arrière 8 homéogènes regroupés en deux ensembles :

 

5 dans l'ensemble ANT : lab, pb, Dfd, Scr, Antp.

3 dans l'ensemble BX : Ubx, abd-A, Abd-B.


Les abréviations correspondent à la caractéristique d'une mutation du gène concerné.

 

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(Abréviations : lab = labial ; pb = proboscipedia ; Dfd = deformed ; Scr = sex comb reduced ; Antp = antennapedia ; Ubx = ultrabithorax ; Abd A = abdominal A ; Abd B = abdominal B).

 

Si on délimite sur le plan du corps de l'animal les domaines d'expression des principaux gènes identifiés, on s'aperçoit que l'identité segmentaire est souvent, sauf pour l'extrémité antérieure, le résultat d'une action conjuguée de plusieurs produits géniques. Cette synergie notée chez la Drosophile existe également chez les autres métazoaires, y compris les Mammifères comme on le verra plus loin.

 

Voyons maintenant les mutations concernant les yeux de la Drosophile.

 

En 1915, M. Hoge observait déjà des mouches sans yeux ou avec des yeux réduits. Cette anomalie provenait d'un gène défaillant appelé Eyeless isolé en 1993, deux ans après qu'un homologue appelé Small Eye / Aniridia eût été identifié chez la Souris. Bien que l'œil simple de Mammifères ait peu de ressemblances morphologiques avec l'œil composé d'un Insecte, il semblerait que sa construction utilise des procédés similaires, avec probablement la mise en jeu de plus de 2000 gènes ! C'est en 1995 que W. J. Gehring et son équipe parviennent à activer Eyeless et à obtenir une mouche avec des yeux sur les pattes et sur les antennes.

 

Finalement ces différents gènes ont été placés dans le groupe PAX6, en raison de leur structure. Nous n'omettrons pas de mentionner la réussite d'une expérience inattendue : si on introduit le gène PAX6 de la Souris dans une larve de Drosophile on induit la formation d'un œil supplémentaire de type Insecte. Ce qui signifie que le code du gène architecte de la Souris est « compris » par la Mouche et est ensuite « traduit » en organe de mouche. Voici donc levé un tabou qui posait problème à Darwin : il n'osait pas imaginer la construction de l'œil à partir d'un même prototype soumis ensuite à la sélection naturelle. La biologie moléculaire démontre donc l'existence de mécanismes identiques, malgré la distance phylogénétique ; ceci est d'autant plus vrai que l'équipe de Gehring a trouvé des homologues de Eyeless et de Small eye chez un Ver Némerte, une Planaire et le Calmar !

 

Après ce survol des résultats obtenus en biologie moléculaire expérimentale, nous pressentons qu'au-delà du Ver ou de la Mouche nous allons vers une universalité de certains processus, de certains signaux qui s'accompagnent d'une conservation de leurs patrons d'expression et des mécanismes qui les initient et les régulent.

 

Voyons avec le troisième animal de laboratoire si nos concepts seront confirmés ou infirmés.

 

La souris : MUS musculus


Voici le Mammifère le plus facile à élever, véritable « cobaye » de la recherche mondiale : de petite taille, un cycle toutes les six semaines, une gestation courte de 21 jours, 6 à 12 petits par portée. La sélection a permis d'obtenir d'elle des lignées pures qui permettent de réaliser de manière reproductible, des manipulations génétiques comme des transferts, des suppressions, des amplifications de gènes ou une modélisation de maladies humaines. La transgénèse est effectuée sur des œufs prélevés juste après la fécondation. L'ADN injecté peut être inséré dans tous les noyaux et sera exprimé dans la descendance.

 

mus-musculus-blog.jpg

La Souris : Mus musculus

 

La biologie moléculaire a séquencé la totalité des 40 chromosomes de la Souris en 2003 ; il en ressort que 98 % de ses gènes sont homologues à ceux de l'Homme, ce qui constitue un matériel propice à l'étude des maladies génétiques, de certains cancers, mais aussi de la régulation des étapes-clés de l'embryogénèse. Parmi les découvertes spectaculaires dues à cette technique mentionnons le repérage, le séquençage et la localisation de 41 homéogènes répartis sur 4 chromosomes et présentant de nombreuses homologies avec les 8 homéogènes de la Drosophile.

 

Sur le schéma suivant on peut voir leur position et quelques-uns de leurs domaines d'expression. Ces homéogènes sont désignés par les termes Hox a, Hox b, Hox c, Hox d, suivis d'un numéro qui fait référence à leurs positions respectives sur les chromosomes 6, 11, 15, 4.

 

Hox a1, Hox b1 et Hox d1 sont des homologues de lab de la Drosophile.

Hox a9, Hox b9, Hox c9 et Hox d9 sont homologues de abd B.


Ils commandent, en synergie, en interactivité, l'identité de certaines portions de l'embryon comme le montre le schéma simplifié d'un jeune fœtus.

 

Hox a13, Hox b13, Hox c13, Hox d13 sont des gènes paralogues. Ils peuvent agir de manière coordonnée, ou isolément, laissant supposer une certaine redondance, sorte de mémoire-secours.

 

Au plan évolutif on pense que ces gènes proviennent de plusieurs duplications à partir d'un gène ancestral dont ils ont conservé des séquences pendant des millions d'années.

Marchand_souris-blog.jpg

Mêmes figurés que ceux utilisés dans le schéma de la Drosophile présenté plus haut permettant d'établir les homologies. (N.B. : La transcription se fait toujours de 3' vers 5').

 

On pourrait présenter la même répartition des homéogènes localisés sur 4 des 46 chromosomes humains :

 

11 sur le chromosome 7 = HOX A

10 sur le chromosome 17 = HOX B

 9 sur le chromosome 12 = HOX C

11 sur le chromosome 2 = HOX D


Ces gènes sont activés à un moment précis du développement embryonnaire par des signaux complexes et multiples ; comme chez la Drosophile les plus antérieurs s'expriment les premiers et s'appliquent à une zone antérieure ; les suivants leur succèdent, chevauchant ou non. Et cette combinatoire a pour résultat un segment, une zone, une ébauche qui se différenciera progressivement par la suite. On notera que les frontières antérieures d'expression sont toujours très nettes et qu'elles s'estompent vers l'arrière (sur la figure projetée on a l'exemple de Hox b1, Hox b4, Hox b5). Logiquement la redondance n'est pas exclue.

 

Exemple de l'implication des homéogènes dans la morphogénèse du membre : À partir de quatre bourgeons s'édifient les membres de la Souris dont les orientations antéro-postérieure, dorso-ventrale et proximo-distale s'établissent grâce à l'action combinée de plusieurs gènes, qui imposent également la mise en place des ébauches osseuses. La formation des espaces interdigitaux est réalisée grâce à la mort cellulaire programmée (apoptose) qui s'exerce sur des territoires précis de la palette distale.

 

Examinant les domaines d'expression de Hox d1 à Hox d13 à la fois sur le corps entier du fœtus et sur les bourgeons des pattes, on confirme la hiérarchie de la répartition des gènes et une certaine synergie entre eux. (L'extrémité du membre résulte d'une addition des produits d'au moins cinq gènes).

 

La mise en évidence de cette combinatoire a constitué un grand pas pour la biologie du développement ; elle a permis d'expliquer l'origine de plusieurs anomalies (amélie, phocomélie... adactylie, acheirie...) et de prendre des mesures de prévention.

 

Ces avancées moléculaires ouvrent des perspectives intéressantes, dans la mesure où ce qui est possible chez la Souris pourrait bien être, à terme et avec toutes les précautions qui s'imposent, tenté chez l'Homme.

 

Citons quelques exemples de modifications obtenues chez la Souris par transgénèse : inhiber l'expression d'un gène à la base d'un bourgeon de membre, ajouter des vertèbres cervicales, transformer une vertèbre lombaire en vertèbre thoracique, ajouter une paire de côtes... Dernières images de cette capacité à modifier le vivant : si on empêche l'expression de PAX 6 chez la souris : pas d'œil ou œil atypique.

 

Si on place Hox d9 dans la mouche : l'antenne est transformée en patte (d'insecte).

 

*

* * *

 

Ces résultats illustrent les possibilités de la biologie moléculaire et peuvent éveiller de réels espoirs pour la thérapie génique régulièrement évoquée lorsque des résultats prometteurs sont obtenus sur des souris transgéniques exprimant des maladies humaines comme certains cancers, la maladie d'Alzheimer, de Parkinson, le diabète ou les myopathies.

*

* * *

 

La lignée de souris Tg2576 constitue un modèle de référence pour la maladie d'Alzheimer, alors que les souris NOD (Non Obèse Diabetic) ou knock out Glut4 le sont pour le diabète.

 

 

Nous n'avons pas pu aborder les innombrables recherches effectuées sur les cellules-souches et sur le clonage dont les retombées ouvrent des perspectives prometteuses pour la santé humaine. Cela mériterait un exposé particulier, long et détaillé.

 

Et si l'on prolonge l'exploration moléculaire chez d'autres Vertébrés on peut comparer chez le Poulet et chez la Couleuvre les domaines d'expression d'Hox c6 (homéogène de Souris !).

 

Les frontières entre espèces semblent s'estomper et ceci nous amène à conclure.

 

CONCLUSIONS


Sans l'étude de ces trois animaux, nous n'aurions pas pu accéder à plusieurs processus cellulaires fondamentaux comme l'apoptose ; nous n'aurions pas pu connaître la combinatoire génique qui commande la morphogénèse embryonnaire.

 

Nous disposons donc de nouveaux concepts applicables à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée, compte tenu de l'universalité du fonctionnement cellulaire, et des similitudes des processus de l'organogenèse.

 

Les homologies structurales et fonctionnelles nous permettent de vérifier que l'ontogenèse rappelle la phylogenèse, et que le génome des espèces a conservé une part de l'héritage d'un ancêtre commun. Du temps de Darwin, il était inconvenant d'imaginer que l'Homme descende du Singe... Qu'en serait-il aujourd'hui si on évoquait une lointaine filiation Homme/Insecte ?

 

L'étude d'animaux « modèles » nous paraît indispensable à la connaissance du fonctionnement cellulaire et organique, à la mise au point de thérapies innovantes et efficaces, sans oublier le positionnement de chaque espèce dans la chaîne évolutive.

 

Professeur Claude-Roland MARCHAND

(Communication présentée à l'Académie des Sciences et Belles Lettres de Besançon Franche-Comté le 6 avril 2009 )

 


[1] gap en anglais signifie qu'il y a un espace entre les domaines d'expression

[2] pair-rule signifie que seuls les segments pairs sont concernés

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17/01/2013

Cancer de la prostate : moins de chirurgie, plus de soins adaptés

Cancer de la prostate :

moins de chirurgie,

plus de soins adaptés

 

par Marie-Christine Colinon le 16 janvier 2013

 

Que de progrès pour le cancer de la prostate ! Nouveaux médicaments, nouvelles techniques médicales : tous visent à sauvegarder les fonctions urinaires et érectiles avec de réels succès.

 

Il y a quinze ans, 75% des cancers de la prostate étaient déjà métastasés au moment de leur découverte. Aujourd'hui, huit sur dix sont repérés à un stade précoce. "Quand la maladie est diagnostiquée avant d'avoir franchi la capsule entourant la prostate, ôter celle-ci guérit définitivement", affirme le Dr Xavier Rébillard, de l'Association française d'urologie.

 

Toutefois, si les séquelles urinaires de l'opération sont devenues rares, récupérer l'érection n'est pas toujours facile. La chirurgie robotisée, utilisée dans un quart des opérations, limite ce risque par un geste chirurgical plus précis. C'est aussi le cas de nouvelles thérapies alternatives à la chirurgie.

 

 Cinq techniques efficaces et plus douces

 

Le choix du traitement varie selon le type de tumeur, sa taille, sa localisation, l'âge ou encore les antécédents du malade. Ces techniques sont proposées en priorité aux hommes de plus de 70 ans, en cas de contre-indications à la chirurgie ou de récidive après radiothérapie.

 

La radiothérapie externe

 

En une trentaine de séances, elle offre des résultats équivalant à la chirurgie, en minorant les conséquences sur la sexualité. Un homme sur deux évitera les séquelles, mais parfois au prix de troubles intestinaux (diarrhée, inflammation du rectum...).

 

La curiethérapie

 

Elle mise sur des petits grains radioactifs placés dans la prostate et qui détruisent la tumeur de l'intérieur. Pas de risques d'incontinence, peu de troubles de l'érection (15% des patients), mais un point faible: en cas de récidive, l'opération n'est plus possible.

 

● Les ultrasons focalisés de haute intensité

 

Plus récents, ils sont pratiqués à titre d'essai clinique dans une quarantaine de centres. Connue aussi sous le nom d'Ablatherm, la méthode repose sur l'introduction, par l'anus, d'une sonde qui brûle la tumeur. "L'objectif est de cibler l'intervention pour ne détruire que le lobe malade et conserver une bandelette érectile intacte", explique le Dr Hubert Bugel, du CHU de Rouen.

 

● La photothérapie dynamique

 

Actuellement en évaluation dans 13 centres en France (45 en Europe), elle détruit la zone malade en combinant des fibres laser et un produit photosensibilisant. Le Pr Abdel-Rahmene Azzouzi, du CHU d'Angers, leader international dans la technique, est enthousiaste: "À court terme, les résultats sont encourageants, avec très peu de séquelles urinaires et érectiles."

 

● La cryothérapie

 

Cette méthode détruit la tumeur en la "réfrigérant". Jusqu'ici, l'approche est surtout développée aux États-Unis. En France, seuls deux centres la pratiquent, les autorités estiment manquer de recul pour l'instant.

 

• Une stratégie de surveillance

 

Cet éventail de techniques permet de mieux répondre à chaque situation. Et, lorsque la tumeur semble à bas risque, les urologues proposent de ne pas intervenir. "La stratégie de surveillance implique des dosages sanguins et des biopsies rapprochées, au moins au début, pour vérifier l'absence d'évolution du cancer", précise le Dr Rébillard. La découverte de nouveaux marqueurs devrait encore alléger ce suivi. "Certains patients hésitent à accepter cette surveillance qui évite pourtant des traitements inutiles et bien des souffrances", encourage le Dr Michel Lenois, auteur de Mieux connaître le cancer de la prostate (éd. Grancher, 2011).

 

• Un espoir de vaccin [1]

[1] Voir également l'article de Elsa Abdoun " Vaccin contre le Cancer " dans Science & Vie, n° 1170, mars 2015, pp. 62-76.

 

Du côté des médicaments aussi, il y a du nouveau. Quand le cancer s'est disséminé dans l'organisme, une hormonothérapie est prescrite pour stopper sa progression. Une molécule ciblée, l'abiratérone, qui limite les effets secondaires, est disponible depuis fin 2011.

 

Pour les tumeurs résistantes, une nouvelle chimiothérapie (cabazitaxel), moins toxique, augmente la survie des patients.

 

Enfin, on parle beaucoup d'immunothérapie, qui stimule les défenses de l'organisme. "Un premier vaccin, le Sipuleucel-T, est proposé aux États-Unis depuis 2010", explique le Pr Azzouzi, responsable du Cancéropôle Grand-Ouest. "Il s'agit de prélever et modifier des cellules du malade, qui lui sont re-perfusées ensuite. Les résultats semblent supérieurs à ceux de la chimiothérapie, avec moins d'effets secondaires." 

 

• Un dépistage au cas par cas

 

Le plus souvent, la maladie avance à pas de tortue: il faut plus de dix ans à la tumeur pour "sortir" de la prostate et devenir menaçante. Exceptionnellement, elle peut se mettre à "galoper", voilà pourquoi, par prudence, les chirurgiens ont longtemps privilégié la chirurgie.Aujourd’hui, ils évaluent mieux la sévérité d’une tumeur et la majorité évite des traitements lourds injustifiés :

 

sur 70 000 cancers diagnostiqués en 2010, "seules" 22 000 prostates ont été enlevées, les autres bénéficiant d’une surveillance rapprochée.

 

L’Association française d’urologie recommande un premier dépistage à 55 ans, puis tous les trois ans si les résultats sont bons.

 

La Haute Autorité de Santé a réaffirmé en avril 2012 son opposition au dosage systématique du PSA (antigène prostatique spécifique), qui, selon elle, n’a pas fait la preuve de ses bénéfices, même chez les hommes à risque. En pratique, la décision se prend au cas par cas, en discutant de sa situation personnelle avec son médecin.

 

Source :

Magazine Notre temps.com

11:17 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |

16/01/2013

Pierre Frankhauser nommé à l’Institut universitaire de France

Pierre Frankhauser nommé

à l’Institut universitaire de France


L’Institut universitaire de France est un institut sans murs qui a pour mission de favoriser le développement de la recherche de haut niveau dans les universités et de renforcer l’interdisciplinarité.

 

Les enseignants-chercheurs nommés à l’Institut universitaire de France sont distingués pour l’excellence de leur activité scientifique, attestée par leur rayonnement international. Ils sont nommés pour une durée de cinq ans et bénéficient d’une décharge de cours ainsi que d’un crédit de recherche. Ils restent affectés à leur établissement.

 

Les recherches de Pierre Frankhauser portent sur l’étude des tissus urbains et périurbains et de leur émergence. L’organisation spatiale des tissus urbains est étudiée à travers différentes méthodes d’analyses basées sur la géométrie fractale.

 

Pierre_Frankhauser_1.jpg

 

Pierre Frankhauser développe également des recherches sur les processus socio-économiques qui contribuent à l’émergence des formes urbaines. Des études sur les trajectoires résidentielles contribuent à mieux comprendre les dynamiques à l’oeuvre et à modéliser le processus du choix résidentiel.

 

Au final, les résultats obtenus permettent le développement d’outils d’aide à la décision basés sur une approche multi-échelle dans le but de développer une stratégie d’aménagement urbain durable.