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21/01/2013

Les pôles du froid en Franche-Comté

Les pôles du froid en Franche-Comté

 

par Daniel JOLY ThéMA, UMR 6049, Université de Franche-Comté Claude GRESSET-BOURGEOIS, Bruno VERMOT-DESROCHES, Centre départemental de Météo-France, Besançon

 

Grâce à la combinaison de plusieurs facteurs géographiques qui favorisent le froid d'hiver, la Franche-Comté présente une fréquence de gels assez élevée. Le Haut-Doubs dans son ensemble et Mouthe en particulier présentent régulièrement des températures qui descendent au-dessous de -20°C. L'étude statistique de la chronique climatologique 1992-2007 permet de dresser le bilan des séquences glaciales et d'identifier, par analyse spatiale, les sites les plus froids de Franche-Comté.

 

La Franche-Comté est, avec l'Alsace, la région française située le plus loin de toute mer ou océan, ce qui lui confère un climat semi-continental. Les étés sont orageux et plutôt chauds : 19,3°C en moyenne de juillet à Besançon, alors qu'aucune station du Finistère ne dépasse 18°C. En revanche, les hivers présentent une alternance de séquences douces et pluvieuses et de périodes anticycloniques au froid rigoureux. Cette tendance au froid est renforcée par l'altitude et par la présence de larges cuvettes, les vals, où l'air froid s'accumule tant que le vent ne l'y chasse pas. Ainsi, la montagne du Jura supporte un nombre anormalement élevé de gels rigoureux d'octobre à mars.

 

Parmi un échantillonnage de 1 455 stations gérées par Météo-France et distribuées homogènement sur l'espace français, Mouthe (936 m) d'abord et les Rousses (1116m) ensuite, arrivent en tête du palmarès des stations les plus froides situées en dessous de 1300 m d'altitude. Elles présentent respectivement, en moyenne annuelle, 80 et 72 jours où la température minimale a été inférieure à -5°C. Parmi les 50 stations françaises les plus froides à l'aune de ce critère, on compte 13 stations franc-comtoises, dont certaines sont situées à moins de 700 m (Supt et Pierrefontaine-les-Varans).

 

Rappel de quelques chiffres


À Besançon, sur la période 1885-2008, on dénombre 26 hivers (21 %) avec au moins sept jours au cours desquels les températures minimales ont été inférieures à -10°C (18 hivers sur la période 18851947 et huit hivers sur la période 1947-2008). Depuis 1945, l'hiver le plus rigoureux fut sans contestation l'hiver 1962-1963 avec de fréquentes périodes glaciales entre la mi-novembre et la mi-mars. Il devance nettement l'hiver 1955-1956 qui a été marqué par une période glaciale intense qui s'est calée sur le mois de février. Durant ce mois, l'absence quasi générale de neige avait permis au gel de pénétrer dans le sol à des profondeurs jusqu'alors inconnues et qui n'ont depuis lors jamais été atteintes.

 

Sur la période 1975-1990, quatre hivers ont été plus froids que ceux cités ci-dessus, plus particulièrement l'hiver 1980-1981 avec beaucoup de neige en montagne et l'hiver 1984-1985 avec une première quinzaine de janvier extrêmement glaciale sans dégel à Besançon entre le 31 décembre 1984 et 18 janvier 1985.

 

Mouthe souvent la plus froide


Forts de ce constat, nous avons voulu en savoir plus sur l'extension spatiale de ce phénomène et vérifier si Mouthe est toujours la station la plus froide comme on le croit généralement. Pour cela, nous avons sélectionné tous les jours où la température moyenne des 74 stations franc-comtoises prises en compte fut inférieure à -10°C. Au total, entre décembre 1992 et janvier 2007 inclus, 99 situations ont été isolées, ce qui représente, en gros, sept jours de froid vif par hiver.

 

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La figure 1 montre que Mouthe est bien la station où le minimum franc-comtois est le plus fréquemment observé : 35 fois au total (sur 99). C'est aussi la station où la moyenne des gels est la plus basse : -21 °C. Mouthe accapare à elle seule les trois minimums enregistrés au cours de la période d'observation : -28,1°C le 12 février 1999, -27,6°C le 1er février 2003 et -27°C le 24 décembre 2001. On est bien sûr encore loin du mythique minimum absolu de -36,7°C le 13 janvier 1968, mais la répétition de ces occurrences de froid s'explique par une altitude assez élevée (936 m) et une situation encaissée : l'air froid, généré au contact de la neige, glisse le long des versants qui encadrent le val et vient s'accumuler au fond de la cuvette où il peut stagner plusieurs semaines de suite.

 

Saint-Laurent-en-Grandvaux, avec 19 occurrences et une moyenne de -20,8°C arrive juste après Mouthe. La topographie est analogue à la précédente avec cependant, une altitude un peu inférieure (880 m). Le secteur de Morteau-Maîche cumule 18 occurrences de minimums francs-comtois. Les vals au fond desquels Le Russey et Morteau s'étendent expliquent leur moyenne plus faible (-19,6°C, -18,3°C) par rapport à Maîche (-17,6°C) et Charquemont (-15,4°C), stations de plateau. Enfin, notons Levier qui, situé en situation intermédiaire entre Mouthe et Morteau-Maîche, a été sept fois le plus froid, avec une moyenne de -20,1 °C.

 

Les autres stations, présentes sur la figure avec un cercle coloré, ont toutes été à une, ou au plus deux occasions, les plus froides de Franche-Comté. Les conditions climatiques favorables au développement et à la répétition d'un froid vif n'y sont pas réalisées. Certaines sont situées en altitude mais sur des sites de versant (Longevilles-Mont d'Or, Les Rousses), ou, à l'inverse, en fond de vallée à moins de 600 m (St-Claude). Signalons les trois stations du nord-ouest de la Haute-Saône qui, tout en étant situées à faible altitude (entre 200 et 250 m) ont été, à au moins une occasion, les plus froides de Franche-Comté. Le plateau de Haute-Saône et son prolongement vers Langres est renommé pour ses températures glaciales.

 

Un réseau trop lâche pour observer les variations les plus fines de la température


Ces informations sont intéressantes mais, pour autant, elles ne nous renseignent que sur un nombre limité de sites : ceux qui bénéficient d'un poste météorologique. Bien sûr, on peut s'attendre à ce que les quelques décamètres situés à proximité de la station de Mouthe présentent des températures analogues à celles qui y sont enregistrées. Toutefois, la comparaison avec les stations qui l'entourent montre que les températures ne sont pas identiques d'un lieu à l'autre, parfois loin s'en faut. La raison de ces variations a été esquissée : l'altitude et le contexte topographique jouent assurément un rôle majeur.

 

Le val de Mouthe est presque toujours plus froid que le sommet du Risoux lors des situations anticycloniques stables dont il est ici question. Il n'est lui-même sans doute pas homogène et, si des mesures à haute densité étaient effectuées, il est probable que de menues différences apparaîtraient d'un secteur à l'autre : telle croupe sera moins froide de deux ou trois degrés que le fond du vallon situé quelques hectomètres plus loin. Ainsi, des gradients, plus ou moins élevés se mettent en place au gré des contraintes exercées par la topographie. Et dans ces conditions, il se pourrait bien que la station de Mouthe ne soit pas localisée au mieux pour enregistrer les minimums les plus bas.

 

La figure 2, qui représente la variation des températures par rapport à l'altitude, donne un bon exemple de ce mécanisme. La plupart des postes sont alignés le long de la « droite de régression », accréditant là l'hypothèse d'une forte dépendance des températures à l'altitude. En effet, ce facteur explique près de 40 % de la variation de la température. Toutefois, une petite dizaine de stations échappent, au moins partiellement à cette influence : Longevilles-Mont d'Or, Lamoura, Les Rousses et les autres postes rejetés en haut du graphe présentent une température (entre -16 et -13°C) beaucoup trop élevée compte tenu de leur altitude : si elles se comportaient ainsi que Mouthe, Maîche ou Besançon, toutes localisées à proximité de la droite, leur température devrait se situer en dessous de -30°C ! D'autres « variables » que la température existent qui expliquent ces écarts : on pense bien sûr au contexte topographique déjà évoqué à plusieurs reprises.

 

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Connaître la répartition des températures sur l'ensemble du territoire


Tout le problème est d'avoir une connaissance sur « ce qui se passe » entre les postes d'observation : la technique nous fournit les moyens de le résoudre.

 

Premier temps : puisque les minimums les plus accusés semblent se localiser de manière répétitive au fond des vals d'altitude, il « suffit » de chercher cette information dans un système d'information géographique (SIG). L'institut géographique national (IGN) commercialise des modèles numériques de terrain (MNT) à pas de 50 m de grande qualité : cette donnée fournit quatre cotes d'altitude pour chacun des 1 620 200 hectares que compte la Franche-Comté. Ensuite, par calculs appropriés, on dérive, du MNT les autres informations utiles : degré d'encaissement (un fond de val est très « encaissé » par rapport aux versants qui le dominent, une crête est peu encaissée, dominant l'ensemble des points voisins), distance au creux le plus proche (minimale au plus près de l'axe des vals), distance à la crête la plus proche, etc.

 

Second temps : on apparie les températures enregistrées en chacun des postes climatiques aux données de la topographie que l'on corrèle les unes aux autres par calcul statistique. Des coefficients permettent alors d'évaluer la dépendance des premières aux secondes. In fine, on obtient une carte sur l'ensemble de la Franche-Comté en croisant, dans une « régression multiple » l'ensemble des variables qui expliquent significativement la température. Ce processus de calcul, appelé « interpolation » a déjà été présenté pour représenter le champ spatial continu de l'ozone en Franche-Comté (IFC n°27, 2003).

 

Ainsi, la carte des températures minimales du 26 février 1993 (figure 3) superpose les températures observées en 74 postes et interpolées sur l'ensemble de la Franche-Comté. En règle générale, le calcul renvoie une valeur conforme à la réalité : les stations les plus froides (cercles bleu nuit) sont bien localisées sur des aires de la même couleur ; les stations où la température est supérieure à -8°C sont noyées au sein de taches rouges. Mais des écarts apparaissent : par exemple, certains cercles bleu clair des plateaux du Jura (Saône, -13,6°C) se trouvent au sein d'aires où la statistique a calculé une température supérieure à -8°C. Inversement, à Amancey, la température est de -10°C et la valeur calculée est de -14,6°C. Ces écarts, parfois importants, montrent bien la difficulté à reproduire une réalité infiniment complexe.

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Fréquence des températures inférieures à -25°C


En répétant les interpolations autant de fois que nous avons de jours de froid, on obtient 99 cartes d'où il est possible de tirer de nombreux enseignements. Nous en présenterons un : celui de la fréquence des gels inférieurs à -25°C. Ces occurrences de froid intense sont rares : elles ont été enregistrées neuf jours depuis 1992 et ont concerné 24 stations au total. Un rapide tri effectué parmi les 99 situations interpolées nous dit que 12 jours ont présenté un gel inférieur à -25°C. Il y a ainsi au moins trois jours au cours desquels un ou plusieurs points en Franche-Comté ont observé une température aussi basse sans que le réseau des stations n'en fasse état. La station de Mouthe n'est donc pas toujours localisée au point le plus froid.

 

La carte de la fréquence des jours où la température a été inférieure à -25°C localise les « pièges à froid », ces fameux sites où la température est glaciale à répétition et durant de longues périodes. On les trouve dans le val de Mouthe, bien évidemment, mais aussi en de multiples points dispersés dans la montagne jurassienne, entre Lamoura et Maîche en passant par Levier. Ce que la figure 4 nous montre, c'est la localisation des sites où la probabilité de faire froid est forte. Maintenant, pour nous en assurer, il faudrait y installer des capteurs pour, peut-être découvrir de nouveaux pôles du froid détrônant Mouthe...

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Mais il convient d'être prudent. On a vu que le calcul ne fournit pas nécessairement une température juste. Des erreurs élevées surviennent même de temps à autre. Par ailleurs, le modèle reproduit des tendances et des régularités tirées d'une information climatique et géographique ajustée à un niveau d'échelle local : les stations climatiques sont positionnées de manière telle que les influences microlocales sont minimisées ; les données spatiales introduites dans le SIG (résolution de 50 m) ne sont pas forcément les plus adaptées pour prendre en compte les plus fines variations de la température. Ainsi, les données, imparfaitement adaptées au problème posé, sont incapables de fournir la moindre information concernant la température de quantité de micro-sites extrêmement propices à rétablissement de températures glaciales. On se heurte là à un problème d'échelle rédhibitoire qui explique les erreurs d'estimation parfois élevées qui apparaissent ici ou là.

 

Source :

Images de Franche-Comté, n° 38, décembre 2008 pp. 6-9.