14/06/2010
Classification trophique des lacs
Classification trophique des lacs. Le réseau alimentaire. Eutrophisation et pollution
Classification trophique des lacs (2)
par André Guyard
Un lac est un écosystème qui reçoit des apports nutritifs minéraux et organiques (trophiques) de l'extérieur (apports allochtones) : apports des affluents, lessivage des sols du bassin versant, chutes de feuilles mortes, apports animaux : insectes et autres, etc. Se nourrissant de ces nutriments, des communautés (biocénoses) vont se développer : bactéries, algues, végétaux supérieurs (macrophytes), plancton, larves d'insectes, vers, mollusques, crustacés, etc. (production autochtone). Au sommet de la chaîne alimentaire se trouvent les poissons. Autrement dit, une entrée de nutriments aboutit finalement à produire du poisson. Un lac dont le fonctionnement n'est pas perturbé est un système en équilibre qui fabrique du poisson.
Parmi les différentes biocénoses, on distinguera :
- le plancton avec le phytoplancton (plancton végétal) et le zooplancton (plancton animal) composé d'organismes qui vivent entre deux eaux et qui sont soumis au mouvement des eaux.
- le necton composé d'organismes animaux qui vivent en pleine eau et sont capables de mouvements natatoires qui les affranchissent du mouvement des eaux. Ex : poissons.
- le benthon ou benthos : communauté des organismes qui vivent sur le fond. Ex : vers, larves d'insectes, crustacés constituent le macrobenthos alors que les bactéries, les cyanobactéries et les algues unicellulaires constituent le microbenthos.
À la base du réseau alimentaire se développe le département constitué par les végétaux chlorophylliens , en particulier par le phytoplancton va se développer. L'augmentation de la biomasse de phytoplancton entraîne une augmentation de la production photosynthétique et une diminution de la profondeur de la couche euphotique. Ces effets combinés génèrent des profils représentés par la figure ci-dessous qui ont également une valeur indicatrice de l'état trophique des lacs. La profondeur de compensation Zi correspond au niveau d'équilibre entre la production (zone trophogène) par la photosynthèse de matière organique (anabolisme) et la consommation (zone tropholytique) de cette énergie par la respiration (catabolisme) (voir également l'article précédent).
On peut classer les lacs sur cette notion de trophie. L'étude de la densité et de la composition du plancton correspond également à cette classification. On distingue :
1. Lacs oligotrophes
- Ce sont des lacs profonds, aux eaux limpides, pauvres en azote et en phosphore minéraux, mais riches en oxygène jusque dans la zone profonde.
- Des Salmonidés (Omble-Chevalier) et des Corégonidés affectionnent leurs eaux profondes. L'Omble-chevalier vit dans le lac Pavin (40-80 m de profondeur) à une température de 4°C, dans des eaux bien oxygénées. On le rencontre également dans le lac Chauvet. et dans le Léman.
- Ceinture végétale réduite.
- Plancton rare, à métabolisme réduit. Dominance de Diatomées et de Chrysophycées mais couche euphotique plus épaisse et productivité parfois égale à celle d'un lac eutrophe. Jamais de fleurs d'eau.
- Sédiments (vases) pauvres en matière organique. Benthon avec dominance de larves de chironomes appartenant aux Orthocladiinae avec Lauterbornia coracina, de Tanypodinae, Tanytarsini et de Chaoborus.
- Faune ichtyologique à dominance Omble Chevalier, Corégones et Truites (Lacs ultraoligotrophes : Pavin, Chauvet) ou à Corégones et Truites (Lacs oligotrophes).
Les lacs oligotrophes s'enrichissent naturellement en matière organique et minérale et évoluent progressivement vers la mésotrophie. On rencontre ce type de lacs dans les systèmes montagnards où les apports organiques sont limités et où le climat limite le rendement du phytoplancton et des macrophytes.
Exemples : Pavin, Montcineyre, Chauvet.
2. Lacs mésotrophes
- Lacs intermédiaires entre oligotrophes et eutrophes.
- Ceinture végétale développée.
- Plancton à dominance Diatomées et Chrysophycées. Présence de Cyanobactéries.
- Benthon à Strictochironomus et Sergentia.
- Faune ichtyologique à dominance Truite et Cyprinidés + Perche et Brochet.
Exemples : lacs de Chalain, Clairvaux, Etival, Remoray, Saint-Point, Rousses, Ilay, Petit-Maclu, Grand Maclu, Abbaye.
3. Lacs eutrophes
- Lacs peu profonds. Eaux peu transparentes, colorées de nuances allant du vert au brun, contenant beaucoup de nutriments. Teneur en oxygène pouvant être élevée dans la couche superficielle mais décroissant très vite avec la profondeur.
- Ceinture végétale bien marquée.
- Phytoplancton à Cyanobactéries dominantes. En été, possibilité de fleurs d'eau à Cyanobactéries (Bothryococcus, Oscillatoria, Microcystis flos aquae, Aphamizomenon) : production massive de phytoplancton qui monte à la surface.
- Benthon à dominance Chironomus anthracinus et C. plumosus.
- Faune ichtyologique avec Cyprinidés dominants + Perche et éventuellement Brochet.
Exemples : lacs de Nantua, Chambon, Aydat, des Esclauzes, Bourdouze.
La figure ci-dessous représent le réseau trophique dans la zone pélagique d'un lac. Les communautés d'organismes sont figurées sur une échelle de taille et l'échelle correspondante du temps de renouvellement. L'importance de la boucle microbienne (bactéries, picophytoplancton, flagellés hétérotrophes, ciliés) dans l'absorption et le recyclage des éléments nutritifs résulte des liens multiples qui s'établissent entre ces communautés à renouvellement rapide et la chaîne trophique conventionnelle (phytoplancton mixotrophe et photoautotrophe, zooplancton, poissons).
Réseau trophique dans la zone pélagique d'un lac (d'après Capblancq 1991)
4. Lacs dystrophes
- Se caractérisent par l'abondance d'acides humiques qui colorent en brun les eaux. Ces lacs peu profonds, contiennent des eaux légèrement acides qui favorisent le développement de tourbières.
Exemple : lac de Gérardmer, étang de Frasne.
5. Lacs sapropélotrophes
- Lacs peu profonds, bordés de forêts, pauvres en calcium, mais autres cations abondants.
- Plancton riche en Phytoflagellés. Fleurs d'eau à Cyanobactéries. Vase de feuilles mortes.
Exemple : lac de Bonlieu.
Dystrophie et sapropélotrophie sont des accidents naturels sur la voie de l'eutrophisation. Souvent se développent en substrat acide avec matières humiques, sels ferriques, peu d'eau et climat froid : aboutissent à tourbières.
Incidences principales de la présence des macrophytes dans la zone littorale d'un lac tempéré.
MO : matière organique ; MOD : matière organique dissoute ; MOP : matière organique particulaire (d'après J. Capblancq)
Évolution théorique d'un écosystème aquatique
L'évolution physiographique d'un écosystème est un phénomène lent par rapport à l'évolution climatique ou biologique.
Dans les cours d'eau, cette évolution se manifeste surtout au niveau du biotope avec la puissance érosive et de sédimentation de la masse d'eau sur le lit. De sorte que la mise en évidence de relations entre évolution de la rivière et biocénoses est délicate. Sous nos climats dont les conditions sont favorables aux phénomènes de succession d'espèces, la prédominance revient aux phénomènes de sédimentation, à la végétation et à la pollution qui perturbe l'évolution écologique normale.
Le phénomène de vieillissement est plus facile à montrer au niveau des lacs, systèmes clos, autonomes où les phénomènes de sédimentation montrent des caractères d'irréversibilité. Sous nos climats, le schéma de Lindemann (1942) représente les variations de productivité d'un écosystème lacustre montrant deux maxima : climax climatique (lac eutrophe) et climax vrai (forêt).
Au vieillissement du milieu correspond une évolution des peuplements qui passent par une série d'états.
On appelle série une communauté biologique ou biocénose représentative d'une étape dans l'évolution d'un écosystème à l'échelle géologique. Nous verrons ainsi l'évolution des lacs du stade oligotrophe vers le stade eutrophe, l'évolution de la faune ayant pour effet, par suite des mortalités, un enrichissement des eaux et des sédiments en sels minéraux (nitrates et phosphates), un plancton plus riche, une faune benthique plus abondante et plus variée, des eaux moins limpides, moins d'oxygène dissous au fond car apparition de sédiments plus réducteurs. Le stade eutrophe, au sens propre, est un stade optimal au niveau production et diversité : il correspond à la diversité la plus grande pour une productivité la plus forte.
Ainsi, un écosystème est comparable à un organisme vivant : il naît, croît, vieillit et meurt. Si en plus, une pollution chimique se manifeste, un état pathologique peut se manifester.
Une parenthèse : qu'est-ce que l'eutrophisation ?
Le terme d'eutrophisation, évolution normale d'un lac, est galvaudé actuellement et est devenu synonyme de pollution organique.
Lorsque un lac, une rivière ou finalement la mer reçoivent une eau chargée de nutriments, des organismes opportunistes vont profiter de cet apport pour proliférer : c'est ce qu'on appelle le phénomène de fleur d'eau ou d'efflorescence. Au premier rang de ces organismes, les algues vertes et les cyanobactéries.
Nombre de chlorophycées (les algues vertes en général) sont des algues nitrophiles demandeuses de beaucoup d'azote et d'un peu de phosphore. Le phosphore est un facteur limitant, mais il se trouve que cet élément s'accumule dans les sédiments qui peuvent le relarguer.
Les fleurs d'eau en rivière ou en lac tout comme les marées vertes en mer apparaissent au printemps quand la présence de nitrate dans l'eau (le nitrate étant la forme sous laquelle l'azote atmosphérique est assimilable par les êtres vivants) se conjugue à la hausse de la température de l'eau et à l'allongement de la durée du jour, deux critères favorables à la photosynthèse. Le nitrate devient alors le facteur limitant de croissance des algues car il reste dissous dans l'eau et peut ainsi être évacué par les courants, à la différence du phosphate (forme d'assimilation du phosphore) qui, lui, s'accumule dans les sédiments. Les algues sont des organismes simples qui n'ont qu'un seul type de cellule assurant à la fois la photosynthèse et l'assimilation de la matière organique. Dès lors, plus rien, sinon la réduction drastique des apports en nitrate, ne peut arrêter une machine devenue folle.
Le nitrate est issu des engrais chimiques et de l'urine des animaux (lisiers, purins). Les lacs, les rivières sont pollués, et tout finit à la mer. les matières organiques sont d'abord absorbées par les algues, situées tout en bas de la chaîne alimentaire et qui profitent de cet afflux de nourriture. La nuite, la consommation d'oxygène par les algues entraîne l'asphyxie de la faune aquatique. et le colmatage des fonds. Cette prolifération algale va s'achever par un pourrissement avec formation de matières putrides et toxiques entraînant ainsi une pollution différée, voire un dégagement de gaz toxiques. comme l'hydrogène sulfuré (H2S) et l'ammoniac (NH3), comme on l'a rencontré lors des marées vertes bretonnes à Saint-Michel-en-Grève. Dans ce cas, les dégagements dans l'air d'H2S et de NH3 ont dépassé très largement les teneurs mortelles. En août 2009, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) a ainsi mesuré sur la plage de Saint Michel-en-Grève des teneurs de 1000 ppmv (parties par million en volume) de H2S, des concentrations provoquant la mort en quelques minutes.
Le mécanisme de formation du gaz est simple. Lorsqu'elles sont délaissées sur la plage, les algues de surface sèchent et forment une croûte blanchâtre. Sous cette croûte étanche, la décomposition bactérienne se fait en anaérobie, c'est-à-dire sans oxygène. Les bactéries capables de vivre dans cette atmosphère produisent de l'hydrogène sulfuré. Si la croûte est crevée, le gaz se dégage par bouffées mortelles.
Dans ce même blog, le sujet de l'eutrophisation est abordé dans le cas de la Loue.
Sources :
Cours d'hydrobiologie de André Guyard (DESS Eaux continentales, pollutions et aménagements).
Limnologie générale sous la direction de R. Pourriot et M. Meybeck (1995). Ed. Masson collection d'écologie 25. 956 p.
Effets du réchauffement climatique sur les hydrosystèmes continentaux : un article de Pour la Science
Préserver la richesse des milieux aquatiques
par M-É. Perga, É. Prévost, J.-L. Baglinière
Pour la Science n° 437 mars 2014 pp. 82-85
L'eau est une ressource vitale. Mais soumise aux conséquences du changement climatique, à la pollution, à une surexploitation, elle est fragile. Des modèles permettent d'étudier les conséquences des mesures prises pour la préserver.
Les rivières, lacs et zones humides, encore nommés hydrosystèmes d'eau douce ne représentent que 0,6 pour cent de l'eau mondiale, mais contiennent 6 pour cent de la totalité des espèces animales et végétales. Ils représentent donc une réserve importante de biodiversité et jouent un rôle clé dans divers cycles biologiques, mais ils sont tout aussi sensibles au changement climatique que les environnements terrestres auxquels ils sont connectés. Ils sont vulnérables, parce que le changement climatique agit à l'échelle globale et qu'ils sont sensibles à l'impact des activités humaines à l'échelle locale.
L'augmentation des températures de l'air contribue au réchauffement des eaux et perturbe les transferts hydriques, par exemple la date de la fonte des neiges. Or ces transferts contrôlent à la fois la quantité de l'eau en transit, mais aussi les éléments organiques et minéraux qu'elle véhicule. Cela modifie la composition des sols et de la végétation des bassins versants des cours d'eau (les environnements terrestres auxquels l'hydrosystème est connecté). Suite aux modifications de volume, de nature et d'intensité des précipitations, la quantité et la disponibilité de l'eau parvenant aux hydrosystèmes changeront. Les organismes aquatiques seront alors confrontés à diverses modifications des conditions physico-chimiques de leur environnement, par exemple la baisse de la concentration de l'oxygène dissous dans l'eau.
Pour limiter les conséquences du changement climatique sur les hydrosystèmes, il faut les étudier. Toutefois, le nombre et la complexité de ces impacts limitent notre capacité à les recenser et à les prévoir. Faisons le point sur les recherches concernant l'adaptation de ces milieux au changement climatique, même si elles sont moins avancées que pour les écosystèmes terrestres.
L'impact du changement climatique sur la quantité d'eau
Le changement climatique a une conséquence immédiate : la réduction de la disponibilité de l'eau douce. Dans de nombreuses régions, les ressources d'eau sont déjà insuffisantes, voire utilisées de façon trop intense pour que les réserves aient le temps de se reconstituer. À l'avenir, l'agriculture aura besoin de plus d'eau pour satisfaire une population humaine en augmentation (19 pour cent d'ici 2050). On peut prévoir un renforcement de la compétition pour l'accès aux ressources en eau destinée à l'agriculture, l'industrie, la consommation domestique et la conservation des écosystèmes.
L'augmentation des températures stimule à la fois l'évaporation et l'évapotranspiration (la perte d'eau par les feuilles), ce qui, combiné à la diminution des précipitations, menace d'assèchement certains hydrosystèmes dans les zones tempérées européennes, par exemple les marais de l'Ouest de la France. On estime que la baisse des débits des cours d'eau sera de l'ordre de 20 à 25 pour cent d'ici la fin du siècle, ce qui devrait s'accompagner d'un allongement des périodes d'étiage.
Les événements de pluviométrie extrêmes devraient multiplier les crues ou les périodes de hautes eaux. En réduisant les quantités d'eau circulant dans les hydrosystèmes, le changement climatique conduirait aussi à diminuer la connexion hydrologique entre les différentes parties d'un fleuve (amont, aval, estuaire et affluents). L'habitat aquatique en serait d'autant plus fragmenté.
Les adaptations écologiques suite au changement climatique
Par ailleurs, l'augmentation des températures moyennes de l'air provoque un réchauffement des eaux, dont l'amplitude varie selon l'altitude du bassin versant et son type d'alimentation. Entre 1977 et 2006, la température moyenne annuelle de l'eau du Rhône a augmenté de 1,5°C, et les températures estivales du cours moyen de la Loire de 1,5 à 2°C. Dans le lac Léman, comme dans une dizaine de lacs suisses, les eaux profondes se sont réchauffées de 1°C en 40 ans ; la température hivernale de la masse d'eau totale du lac est passée de 4,5°C en 1963 à 5,15°C en 2006.
Les hydrosystèmes hébergent de nombreuses espèces animales à sang froid, notamment les poissons, dont la physiologie dépend directement de la température. Ainsi, le réchauffement des eaux a des répercussions sur la composition des populations. Le maintien des populations de poissons face à ces changements environnementaux dépend de la capacité d'adaptation des espèces, qui peut s'exprimer par leur plasticité phénotypique (avec, par exemple, une modification de la forme ou de la taille, sans que les caractéristiques génétiques ne changent), ou bien être influencée par des mécanismes de sélection, avec, éventuellement, des modifications du génome (à condition qu'il existe une certaine richesse génétique et que la population soit de taille suffisante).
Ainsi, pour les ombles, le déclenchement de la reproduction, le développement des œufs et la survie des alevins nécessitent des températures comprises entre 3 et 7°C. Des eaux plus chaudes en hiver compromettraient la reproduction et le maintien de ces populations dans les grands lacs alpins français, zone la plus méridionale de leur habitat en Europe. En revanche, quand, en décembre, dans ces mêmes lacs, la reproduction du corégone est retardée de deux semaines environ, la durée de son développement embryonnaire est raccourcie, avec des conséquences plutôt favorables pour ces populations.
Chez le saumon, on observe une diminution de la taille, qui semble liée aux modifications des milieux marins (élévation de la température et acidification) et d'eau douce (élévation de la température et modification du débit). Dans les grands hydrosystèmes, les espèces s'adaptent en modifiant leur répartition spatiale. Sur le Rhône, à hauteur du Bugey, les espèces thermophiles, telles que le barbeau et la vandoise, remplacent progressivement les espèces d'eau plus froide, tel le chevesne, situées en amont. Nous avons donné quelques exemples des impacts du changement climatique, mais, au-delà de ces quelques effets, la prévision de ses conséquences sur les populations de poissons vivant en eau douce reste un champ de recherche très ouvert.
Les modifications des hydrosystèmes dues au changement climatique
En raison des effets de la température sur la densité de l'eau (elle passe par un maximum à 4°C, puis diminue quand la température augmente), le changement climatique influe aussi sur la dynamique des lacs. Habituellement, des périodes de stratification, au cours desquelles une couche d'eau chaude flotte sur une couche d'eau froide, et des périodes de brassage du lac alternent, mais cette alternance est aujourd'hui modifiée. Le printemps plus précoce conduit à une mise en place de la stratification un mois plus tôt qu'il y a 30 ans, de sorte que la durée de stratification a été allongée.
Dès lors, la succession des espèces planctoniques en fonction des saisons a été modifiée. Il y a 30 ans, les espèces d'algues ou de cyanobactéries adaptées à une croissance en profondeur et qui luttaient contre la sédimentation proliféraient surtout en automne. Aujourd'hui, elles apparaissent dès la fin de l'été et persistent plus longtemps. Mais il s'agit d'espèces filamenteuses, voire toxiques, qui tendent à s'accumuler au fond des lacs et perturbent l'approvisionnement en eau potable. Par ailleurs, la modification du régime des vents et la diminution des débits des affluents sont autant de processus limitant le brassage efficace de la masse d'eau en hiver, et l'oxygénation des eaux profondes. Ainsi, les couches d'eau appauvries en oxygène sont de plus en plus importantes dans les grands lacs alpins depuis 20 ans, menaçant la vie profonde.
Les modifications de la pluviométrie sur les bassins versants altèrent la quantité et la nature des matières organiques ou des nutriments transportés. En Europe du Nord et en Grande-Bretagne, les eaux des ruisseaux sont devenues de plus en plus brunes en 20 ans, en raison des étés plus chauds et plus secs, et des orages violents qui contribuent à augmenter la quantité de matières solubles issues des sols et transportées par les fleuves. La sensibilité des sols à l'érosion augmentera d'ici la fin de XXIe siècle, se traduisant par une augmentation des sédiments charriés par les eaux sur les bassins versants. Combinée à la diminution des débits, l'augmentation du flux des particules solubles est susceptible de diminuer la transparence et la qualité de l'eau, ainsi que la diversité des habitats pour les poissons et les invertébrés. De surcroît, la solubilité des gaz, notamment du dioxyde de carbone et de l'oxygène, décroît quand la température augmente, ce qui renforce le risque que les eaux soient insuffisamment oxygénées et que du dioxyde de carbone supplémentaire soit émis dans l'atmosphère.
Enfin, l'élévation du niveau des océans a pour conséquence que les zones côtières risquent d'être plus ou moins recouvertes par de l'eau salée. Si les estuaires et les aquifères côtiers sont envahis par l'eau de mer, ils cesseront de jouer leur rôle essentiel de nurseries des poissons marins, car une partie des espèces végétales et animales qu'ils hébergent disparaîtra.
Le changement climatique perturbe déjà les hydrosystèmes, mais les réarrangements observés n'aboutissent pas toujours à une perte de la biodiversité ou de la qualité du milieu. Au cours des 15 à 25 dernières années, la richesse des communautés de poissons des grands fleuves a augmenté, car on y trouve davantage de poissons méridionaux. Certaines de ces espèces sont invasives, c'est-à-dire qu'elles se multiplient au détriment des populations locales. Cela modifie la biodiversité, mais ces nouvelles espèces pourraient constituer un atout dans le futur, car elles seraient mieux adaptées aux milieux changeants.
À l'accélération climatique enregistrée depuis plus de 50 ans, s'ajoutent les pressions humaines locales. Il est donc nécessaire d'évaluer la part respective du changement climatique et des pressions humaines dans les changements des écosystèmes, afin de choisir les actions les plus efficaces.
Des stratégies pour l'adaptation au changement climatique
Les hydrosystèmes d'eau douce et les espèces qui les peuplent ont des capacités naturelles d'adaptation aux évolutions climatiques, notamment leur adaptabilité et la migration des populations. Néanmoins, de trop fortes pressions humaines locales (agricoles, industrielles et urbaines) sur le milieu réduisent ce potentiel adaptatif, les milieux se dégradant trop vite pour laisser le temps aux espèces de s'adapter, et rendant les hydrosystèmes vulnérables.
Les stratégies d'adaptation ont pour enjeu de restaurer la résistance des hydrosystèmes face aux contraintes climatiques, en privilégiant une gestion de la disponibilité en eau et de la biodiversité qui soit économiquement viable et fondée sur le partage des ressources et l'optimisation des usages. Il s'agit de réaliser des économies via des actions techniques (réduction des fuites, recyclage), financières (tarification progressive encourageant les économies d'eau), un changement des pratiques (agricoles, industrielles ou domestiques) et une répartition plus équitable et responsable des ressources. Par ailleurs, l'aménagement du territoire doit être repensé pour éviter de concentrer les prélèvements dans les mêmes zones ou pour favoriser la rétention naturelle de l'eau.
Pour préserver la continuité du cycle de l'eau et répondre aux besoins de l'agriculture, il est nécessaire de veiller au maintien du bilan hydrique des sols, c'est-à-dire au bilan entre les entrées (précipitations, ruissellement, remontée capillaire à partir des nappes phréatiques) et les pertes (ruissellement, évaporation au niveau du sol et par évapotranspiration, drainage). On pourrait ralentir la vitesse des écoulements et favoriser l'infiltration par la création d'ouvrages spécifiques, la limitation des zones imperméabilisées, ainsi que le maintien des dépressions du sol et du tracé naturel des cours d'eau, des plaines inondables et des zones humides.
En ce qui concerne la biodiversité, il convient de favoriser les mécanismes naturels d'adaptation. Dans un premier temps, il apparaît essentiel de maintenir une taille et une diversité génétique suffisantes, maintien qui peut être assuré de différentes façons :
– limiter l'exploitation des composantes les plus vulnérables,
– contrôler les facteurs de stress (pollution, destruction des habitats, introduction d'espèces invasives),
– renforcer les échanges des populations et des individus via l'entretien ou le rétablissement des voies de migration (aménagements de passes à poissons, suppressions d'obstacles, par exemple).
On peut conforter les mécanismes naturels d'adaptation par des interventions directes, par exemple aider à la migration des espèces les plus vulnérables. Soulignons que la stratégie d'adaptation la plus efficace consiste toujours à préserver les milieux de bonne qualité et à restaurer ceux qui ont été dégradés.
Comment préserver une ressource vitale face au changement climatique
L'adaptation des hydrosystèmes d'eau douce au changement climatique est un enjeu crucial dont la réussite nécessite rengagement tant des usagers que des gestionnaires. En raison des nombreuses voies par lesquelles le climat perturbe les hydrosystèmes, il est nécessaire de combiner diverses méthodes dans le temps et dans l'espace (restriction saisonnière de l'utilisation de l'eau, gestion des épisodes pluvieux au quotidien, gestion raisonnée des fertilisants et des produits phytosanitaires), tant au niveau local (la parcelle cultivée) que plus global (le bassin versant).
Face à des intérêts parfois contradictoires, il est nécessaire de continuer à développer des modèles permettant de simuler le comportement des hydrosystèmes et celui des populations des espèces qu'ils hébergent, mais aussi l'effet des mesures de gestion prises pour favoriser leur adaptation. Ces modèles permettent également de comparer l'impact des mesures préconisées, qu'il s'agisse de protéger ou de restaurer les milieux, ou encore d'améliorer la connectivité et les interactions de tous les acteurs pour qui l'eau est simplement... vitale.
Bibliographie
C. Piou et E. Prévost, Contrasting effects of climate change in continental vs. oceanic environments on population persistence and microevolution of Atlantic salmon, Global Change Biology, vol. 19, pp. 711-723, 2013.
J.-P. Amigues et B. Chevassus-au-Louis, Evaluer les services écologiques des milieux aquatiques : enjeux scientifiques, politiques et opérationnels, coll. Comprendre pour agir, ONEMA, 2011. Téléchargeable sur : http://www.onema.fr/Evaluer-les-services-ecologiques
Le suivi des populations de saumon
Le suivi depuis une quarantaine d'années de la population des saumons d'un petit fleuve breton a révélé une forte croissance. Elle a d'abord été attribuée à l'élévation de la température de l'eau suite au changement climatique, mais on a finalement montré qu'elle résultait de l'augmentation de la productivité du fleuve liée aux apports de nitrates. D'autres observations faites depuis 20 ans indiquent que le premier facteur agissant sur la croissance des salmonidés en Bretagne n'est effectivement pas le réchauffement des eaux.
Comment explorer de façon fiable les effets du changement climatique sur les populations de poissons ? L'expérimentation virtuelle par simulation informatique apporte des informations intéressantes. L'INRA développe un simulateur des populations de saumon atlantique, espèce menacée dans les cours d'eau français. Le simulateur intègre les diverses modalités d'action du changement climatique, les facteurs environnementaux et les phases du cycle biologique de cette espèce. Il permet de modéliser l'adaptation des populations sans modification du génome, et les conséquences d'une évolution du génome.
Les premières simulations montrent que, dans un premier temps, l'augmentation de la température de l'eau en rivière favorisera la survie des individus, mais aussi qu'elle aboutira à une maturation sexuelle plus précoce, tendant à diminuer la survie. L'expérimentation virtuelle permet aussi de hiérarchiser les composantes du changement climatique en fonction de leurs effets. Ainsi, pour les 30 prochaines années, la modification du régime hydraulique (notamment le débit) des rivières serait plus préoccupante pour la pérennité des populations de saumon que l'élévation de la température.
11:23 Publié dans Géologie-hydrogéologie-Climatologie, Limnologie-hydrobiologie | Tags : lacs, limnologie, chaine alimentaire, plancton, matière organique, lacs oligotrophes, lacs mésotrophes, lacs eutrophes, lacs dystrophes, lacs sapropélotrophes | Lien permanent | Commentaires (13) | Facebook | | |
Commentaires
voila je voudrais une aide concernant un barrage que je suis entrain de suivre actuellement qui presente un taux elevé en sulfate due au sol mais ne souffre pas d'eutrophisation seulement a son niveau y'a presence de H2S et en cette periode de brassage on note que seul les couche superficielle et profonde sont exempte d'H2S. dans les couche intermediaire (entre 20 et 25m) il y'a poresence d'H2S
ma question est comment expliquer ce phenomene de presence d'H2S seulement au milieu de la colonne du barrage et merci
Écrit par : Ratiba | 10/01/2011
Bonjour,
Il serait souhaitable d'indiquer dans votre question de quel genre de retenue il s'agit.
Je suppose que la composition de chaque strate a été définie.
Je suppose que les teneurs en H2S relevées se rapportent à l'analyse des sédiments.
Il faudrait alors se renseigner sur les dates de vidange de la retenue et de comparer l'âge des strates avec les dates de vidange.
Ainsi, les dates de dépôts des sédiments seront définies. Il faudra les relier avec les épisodes climatiques qui auront déterminé la nature de ces sédiments. Il est possible qu'un épisode ancien responsable du dépôt de sulfates voie, par réduction de ces sulfates, un dégagement de H2S piégé plus haut par une couche intermédiaire.
Écrit par : Guyard | 14/01/2011
Monsieur,
Nous sommes étudiantes en DUT génie de l'environnement et dans le cadre de nos études, nous devons effectuer une étude de cas montrant les effets des phosphates et nitrates en milieu lacustre. Nous voulions donc savoir si une telle étude avait déjà été réalisée. Si oui, pourriez vous nous donner des renseignements?
Nous vous remercions à l'avance de l'attention que vous porterez à notre message. Cordialement
Écrit par : Rêve Gruit | 16/02/2011
Bonjour,
Je vous conseille de vous adresser à Daniel Gerdeaux qui est particulièrement au fait de ce genre de recherches.
Daniel Gerdeaux (daniel.gerdeaux@thonon.inra.fr) est directeur de recherches à l'INRA de Thonon et il anime l'équipe Ritoxe (http://www.dijon.inra.fr/thonon/la_recherche/equipe_ritoxe) dont les recherches portent sur l'écotoxicologie des systèmes lacustres.
Mais une recherche bibliographique vous permettrait d'établir des contacts avex d'autres équipes travaillant sur ces problèmes.
Écrit par : Guyard | 16/02/2011
suite a une etude prealable a un projet pisciculture peche loisirs base loisirs sur d'anciens lacs miniers j'ai releve (plongeurs)sur tous les lacs h2s et methane
si certains sites ont plus de 30 ans de mise en eau
j'ai de gros doutes sur une origine biologique pour les sites de moins de10 ans
sur unsite on observe quasiment que de la reproduction de perches carpes et brochet néant
et sur un autre en 2 ans d'observation 1 poisson chat
on observe dans le lac aux perches une barre noire qui remonte progressivement (colonne de winogradsky?
on a selon les analyses bcp de sulfates et de mn
est ce lie
cordialement
M barbier
Écrit par : barbier | 07/04/2011
Bonjour,
Le profil de vos lacs miniers mériterait l'étude de la stratification chimique pour observer où se situe la séparation entre compartiment oxique et compartiment anoxique. Apparemment, le dégagement de H2S et de CH4 montre que le sédiment est totalement anoxique. Mais il faudrait savoir où se situe l'oxycline en été et si elle se déplace en fonction des retournements dus à la stratification thermique.
La présence de sulfates montre que la colonne d'eau est oxique au niveau de l'épilimnion. La présence de manganèse doit être due au passé minier des lacs.
Quant à la reproduction des poissons, elle est possible en fonction des possibilités de frayères offertes aux différentes espèces. En ce qui concerne le Brochet, il fraye dans des eaux peu profondes et, en rivière, profite souvent des crues pour frayer dans les prairies inondées. Il faudrait donc aménager une zone de frayères pour le Brochet.
Écrit par : Guyard | 09/04/2011
Salut,
Toujours actif, je vois.
A un de ces jours.
Christian
Écrit par : martin christian | 16/11/2011
Merci Professeur, est-ce que vous avez des articles, publications, livres où je peux trouver des généralités sur les classifications, ou me guider et me désigner quelques-un. Merci beaucoup.
Écrit par : ADALLAL | 27/02/2013
Salut, je suis étudiant en Master Eau et Environnement, actuellement, je suis entrain d'étudier le fonctionnement d'un lac dans le Moyen Atlas marocain, c'est la raison pour laquelle je cherche des généralités sur les systèmes lacustres, j'ai trouvé votre classification qui très intéressante pour moi, mais j'ai rencontré un problème au niveau de la bibliographie, j'ai cherché les articles, publications de André Guyard, mais malheureusement j'ai rien trouvé et quant même je trouve un truc, il me demande le Login, s'il vous plait, je vous demande de me guider dans ce cadre là et me désigner la bibliographie de ces informations là, est-ce qu'elles sont inspirées de " Limnologie générale sous la direction de R. Pourriot et M. Meybeck (1995). Ed. Masson collection d'écologie 25. 956 p.", le problème c'est que je ne trouve pas ce dernier, merci beaucoup et je m'excuse pour le dérrangement.
Rachid ADALLAL
Bonne réception.
Écrit par : ADALLAL | 27/02/2013
Bonjour,
Mes cours de limnologie n'ont fait à l'époque où j'enseignais encore qu'une diffusion au niveau d'une quinzaine de cohortes d'étudiants du DESS "Eaux continentales, pollutions et aménagements", diplôme qui existait alors au sein de l'Université de Franche-Comté.
Pas étonnant que vous ne trouviez rien dans la biblio puisqu'il ne s'agissait que de cours magistraux à diffusion restreinte sous forme de polycopiés.
Effectivement, l'ouvrage de Pourriot et Meybeck constitue une bible pour les limnologues. Je pense que vous devriez le trouver quelque part.
Bonne chance
A. Guyard
Écrit par : Guyard | 27/02/2013
Par exemple le schéma la dessus de J. Capblancq, c'est très intéressant et facilite la compréhension, mais je n'ai pas d'articles ou thèses contenant ce schéma, et par conséquent je rate ce genre de schéma suite à l'absence d'articles et les moyens financiers qui sont très limités chez nous pour pouvoir acheter un livre sur Internet. Merci, je m'excuse pour le dérangement et je suis, sincèrement, ravi et fier de discuter avec vous.
Écrit par : ADALLAL | 27/02/2013
Je veux avoir avec vous de temps en temps des échanges d'activités et de travail car je travail sur les mécanismes hydroclimatiques qui influencent la production primaire et par conséquent la richesse d'un cours d'eau en poisson etand donné que tous les endroits d'un plan d'eau n'est pas forcement producteur de poissons
Écrit par : kone kanakounou jean marie | 27/02/2013
Bonjour,
Cela fait 15 ans que je suis en retraite et par conséquent, je ne suis plus en phase avec la limnologie actuelle.
Je vous conseille de vous adresser à Daniel Gerdeaux qui est particulièrement au fait de ce genre de recherches.
Daniel Gerdeaux (daniel.gerdeaux@thonon.inra.fr) est directeur de recherches à l'INRA de Thonon et il anime l'équipe Ritoxe (http://www.dijon.inra.fr/thonon/la_recherche/equipe_ritoxe) dont les recherches portent sur l'écotoxicologie des systèmes lacustres.
Vous pouvez aussi rechercher sur internet les coordonnées de François Degiorgi, un universitaire de l'université de Franche-Comté qui est toujours actif dans ce domaine.
Il y a également de très bonnes équipes au Québec.
Bon courage.
Écrit par : Guyard | 27/02/2013
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