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07/09/2013

Les pistes de dinosaures de Loulle (Jura)

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Les pistes de dinosaures

de Loulle (Jura)

 

 

par André Guyard

 

(dernière mise à jour : 3 août 2014)

 

 

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Belle empreinte de patte de sauropode

(Cliché Pierre Hantzpergue)
 
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La carrière de Loulle
(Cliché André Guyard)

 

Dimanche 22 juin 2008 : Pierre Hantzpergue accueille des membres de la Société d'Histoire Naturelle du Doubs (SHND) dans la carrière où furent découvertes en 2006 les empreintes de dinosaures, sauropodes, par Jean-François Richard, géologue amateur ayant précédemment observé ce type de traces sur le site de Coisia. [1]


La campagne de fouilles a débuté durant l’été pluvieux de 2007. 1500 empreintes furent ainsi relevées correspondant au passage de différents individus, à plusieurs reprises, il y a 155 millions d’années lors de l’Oxfordien terminal (Jurassique supérieur).

 

Voir également le reportage de France-3 Franche-Comté consacré en partie au site de Loulle.

 

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Pierre Hantzpergue, en pleine explication
(Cliché André Guyard)
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Carte géologique de la région de Loulle
Le point rouge indique l'emplacement du site
(Document BRGM)
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Légende de la carte géologique
(Document BRGM)
 
D’autres empreintes ont été relevées dans l’arc jurassien, notamment à Courtedoux (à côté de Porrentruy, canton du Jura) dans des couches du Kimméridgien (152 millions d’années) ainsi que sur le territoire de la commune de Coisia (Jura), en 2004 dans des niveaux du Tithonien inférieur (150 millions d’années). Récemment (avril 2009, d'autres pistes de dinosaures ont été découvertes également dans le Jura à Plagne (Ain). (Voir les trois articles consacrés à ces sites dans la même rubrique : paléontologie).

Ainsi, ces trois gisements d’âge différents sont l’indice d’émersions temporaires et cycliques de l’ensemble de la région jurassienne durant le Jurassique supérieur.

Hormis ces niveaux à pistes de dinosaures, il convient de mentionner la découverte en 1923 à Damparis (Jura) d’un squelette de sauropode et de fréquents ossements isolés à différents niveaux du Jurassique supérieur.

Ces témoins attestent de la proximité de terres émergées et de l’exondation épisodique de la plateforme jurassienne.

L’examen de la falaise bordant la route de Ney à Loulle permet d’analyser l’évolution des environnements aboutissant à la préservation de pistes de dinosaures.
 
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La falaise : un ancien récif corallien
(Cliché André Guyard)
 
  • À la base, un récif avec empilement de lentilles coralliennes, correspond à une mer d’une trentaine de mètres de profondeur.
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La structure corallienne est bien visible
(Cliché André Guyard)
 
  • Le toit du récif est tronqué par une surface de démantèlement. Il y a donc diminution de la tranche d’eau avec émersion progressive. On note la présence de galets, de niveaux à plantes terrestres…
  • Puis des calcaires fins en bancs réguliers (faciès séquanien) suggèrent un milieu lagunaire en arrière du récif.
  • Au sommet, ce sont des calcaires à coprolithes de crustacés et d’éléments bioclastiques, disposés en minces bancs biseautés (chenaux de marée), correspondant à des dépôts de plage. Ce faciès évolue vers des calcaires laminés, à rides de courants, fentes de dessiccation, voile micro-bactérien et pistes de sauropodes indiquant un milieu supratidal.

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Une empreinte de taille impressionnante
(Cliché André Guyard)
 
Dans ce contexte, les empreintes de pas entourées de bourrelets d’expulsion de la boue attestent d’une plasticité du sédiment favorable à la préservation des pistes de locomotion.

L’étude de ces traces fait appel à différentes techniques :

  • éclairage rasant en période nocturne,
  • biométrie des empreintes,
  • relevé lasérométrique,
  • photographie à la verticale par un drone.

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Pistes matérialisées à la peinture
(Cliché Pierre Hantzpergue)
 
Ces données permettent d’individualiser les différentes pistes, de les caractériser et d’obtenir des informations d’ordre comportemental sur les dinosaures qui ont parcouru ce secteur.
 
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L'interprétation des pistes
(Cliché Exposition Paleomania)
 
Le site de Loulle a été fréquenté à plusieurs reprises par de gigantesques sauropodes, dinosaures herbivores dont la taille varie de 10 à 30 mètres et le poids de 5 à 30 t environ. Cette fréquentation à diverses époques suggère qu’il peut s’agir d’une zone de passage vers un biotope riche en végétaux. Un sauropode devait engloutir environ 2 tonnes de végétaux par jour, essentiellement des prêles géantes, des cycas et des conifères. Les pistes de sauropodes nous indiquent qu’ils se déplaçaient seuls ou en petit groupe. La mesure des paramètres d’une piste permet de déterminer la vitesse de déplacement. Ces animaux progressaient à une allure de 3 à 4 km/h.
 
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Formule de calcul de la vitesse de déplacement
(Cliché Exposition Paleomania)
 
Comme le confirme dans le commentaire ci-dessous J.-F. Richard, l'inventeur du site,  récemment, comme à Courtedoux, on a également découvert à Loulle des traces de théropodes (dinosaures bipèdes et carnassiers), notamment une piste qui serait celle d'un Allosaure.

En conclusion, l’étude des pistes de dinosaures apporte de nombreux renseignements sur la biologie, la locomotion et le comportement de ces animaux.

L’avenir du site
: Les recherches actuelles qui reprendront durant l’été 2008 sont financées par la Région de Franche-Comté, le Département du Jura, la Communauté de communes et la Commune de Loulle, ainsi que par différents sponsors. Il est souhaité que la valorisation de ce site exceptionnel s’intègre dans un réseau jurassien géologique et paléontologique.

Les tableaux didactiques de cet article ont été empruntés à l’exposition "Paléomania" qui parcourt l’Arc jurassien, de Courtedoux à Arinthod, en passant par Pontarlier.
 
Depuis la publication de cet article, un nouveau site de pistes de dinosaures a été découvert à Plagne (Ain).
Voir l'article correspondant dans ce blog : Nouvelles pistes de dinosaures découvertes dans l'Ain.
 
Voir également le site Dino de la Société Des Naturalistes d'Oyonnax, dont les géologues sont à l'origine de la découverte en avril 2009 de ce site exceptionnel. Rappelons que la SDNO est déjà à l'origine de  la découverte du site de Coisia).
 
Ajout d'avril 2012
 
Nous sommes au printemps 2012 et cela fait quatre hivers que le site de Loulle est dégagé et se dégrade.Chaque année, attirés par ce site exceptionnel des centaines de visiteurs notent que les empreintes sont presque complètement déstructurées et finissent par s'effacer tout comme les repères en peintures, placés au moment des premières fouilles. La fossilisation exceptionnelle de la boue originelle, rarement observée et conservée, est également ce qui pourrait être la cause de sa destruction. Car la fragilité du sol calcaire, à l'air libre après les fouilles ne résiste pas aux hivers et au gel.
 

Membres du conseil scientifique régional de protection de la nature, Michel Campy, professeur émérite à l'Université de Bourgogne et Vincent Bichet, maître de conférence en géologie à l'université de Franche-Comté sont chargés par le ministère de l'Environnement et de la Dreal de Franche-Comté de dresser l'inventaire des sites géologiques à préserver dans la région. Les deux experts se mobilisent pour éviter la disparition de ce site de dimension internationale qu'ils ont classé en dixième position et lancent un cri d'alarme (Le Progrès du 28/04/2012, article repris par l'Est Républicain  du 29/04/2012).

 

« Il faut désormais agir à très court terme, avant le prochain hiver. Sinon, ce ne sera même plus la peine de chercher à le valoriser, nous en aurons perdu la moitié ».

 

Pour éviter une catastrophe irréparable, les deux géologues préconisent deux alternatives.

 

  • La première : la fermeture du site et la mise en place d'une couverture synthétique de géotextile qui protégerait des agressions du climat ou des visiteurs.

  • La seconde : le remblayage du site. « Cela peut ressembler à une provocation que de dire qu'il faut le recouvrir. Mais cela laissera le temps de la réflexion. Ce n'est pas irréversible. Il sera inaccessible momentanément. Les Suisses l'ont fait lors de la construction de leur autoroute. »

En 2009, après la découverte du site de Plagne, dans l'Ain, les scientifiques ont quitté Loulle pour se consacrer à l'étude de ce nouveau site. De sorte que le projet de valorisation de Loulle était en cours, il souffre désormais d'une certaine concurrence. Et Loulle est, dans les faits, quasiment abandonné. »

 

Des études menées, entre autres par les services de l'État et le conseil général du Jura sont en cours pour réaliser un aménagement. Une réflexion menée depuis 2008. « Mais, concrètement, il ne se passe rien. Il y a juste un panneau pour expliquer aux gens ce qu'ils voient et leur dire de faire attention. Le site n'a ni protection physique ni juridique. Si la réflexion sur l'aménagement touristique doit prendre des années, il faut agir. Les collectivités ont engagé des fouilles, maintenant, il est de leur responsabilité de le protéger. »

 

Sources : exposé de Pierre Hantzpergue lors de la visite du site, le 22 juin 2008.

[1] Pierre Hantzpergue, Professeur à l’Université Claude Bernard (Lyon 1) est chargé, avec Jean-Michel Mazin (Directeur de recherche, UMR 5125 CNRS) de l’étude des traces de dinosaures des différents sites du Jura.
 

L'avenir incertain des empreintes de dinosaures de Loulle (ajout de septembre 2013)

 

Dix ans après leur découverte, que deviennent ces 1500 empreintes ? Le site est ouvert aux quatre vents. Les empreintes ne sont pas encore protégées. Et Jean-François Richard, le découvreur se désole. "Devant nous, des traces qui ont 155 millions d'années. Livrées à elles-mêmes et dégradées par les visiteurs et les intempéries, les empreintes s'abîment. Rien n'est fait pour les protéger." Seuls les travaux des scientifiques ont permis d'édifier des reconstitutions en 3D.

 

Des solutions existent mais elles ont un coût. Michel Campy, professeur émérite à l'université de Bourgogne suggère l'édification d'un toit de protection, un simple hangar, pour stopper l'effet de l'érosion pluviale et les phénomènes de gel-dégel et permettre alors une mise en valeur du site, une construction dont le coût est estimé à un million et demi d'euros.

 

D'après le maire de Loulle, les finances de la petite commune et de ses 170 habitants sont nettement insuffisantes pour envisager une telle proposition.

 

Le Conseil général du Jura devrait trancher d'ici l'automne. Le site serait alors recouvert de sable pour masquer les empreintes, ne laissant qu'une zone libre d'accès : une option à 150 000 euros qui ne satisfait pas le découvreur, comme si les dinosaures allaient disparaître une seconde fois.

 

Le site enfin protégé. Voir l'article de France 3 Franche-Comté.

 

Est Républicain du 4 août 2014 — Menace sur le « Jurassique Parc : le site des empreintes de dinosaures de Loulle, près de Champagnole, se dégrade dangereusement.

 

Lons-le-Saunier. Les travaux d'enfouissement d'une partie du site ouvert de Loulle, au sud-est de Champagnole,  ont été réalisés au printemps. Le but de cet investissement du conseil général du Jura est de préserver des empreintes de dinosaures découvertes il y a dix ans par Jean-François Richard. Or, depuis plusieurs jours, le découvreur a pu constater des coulées d'un jus noirâtre et particulièrement nauséabond. « II s'agit d'un jus issu de la fermentation des écorces de pin, utilisées dans le procédé de protection des traces », explique-t-il, inquiet. Trois zones d'écoulement ont été repérées. « Elles correspondent aux trois échancrures qui ont été réalisées pour évacuer l'eau, à l'époque des fouilles en 2004 », précise-t-il.

 

Un site unique

Il y a un an, la décision était prise par le conseil général de préserver une partie du site. Les échanges avaient été assez vifs entre les paléontologues et les élus. Les scientifiques se prononçaient pour un enfouissement total du site, « afin que les futures générations profitent de ce patrimoine ». Les élus, plus pragmatiques, souhaitaient que, justement, ce patrimoine soit visible par leurs contemporains. Ils argumentaient en rappelant que « bien d'autres empreintes se trouvent sur le site, encore protégées par les strates de calcaire et de roches ».

 

Une petite voix se faisait entendre proposant une alternative. « Je pensais qu'il était plus intéressant de construire un bâtiment qui aurait l'avantage de protéger les empreintes tout en permettant aux visiteurs d'en profiter », prêche Jean-François Richard. Jugé trop coûteux, surtout en termes de fonctionnement, ce projet ne devait pas voir le jour.

 

En arbitre à l'écoute des uns et des autres, sans doute aussi sans perdre de vue l'atout touristique que représente ce site unique, « le plus ancien au monde », le département engageait des travaux d'enfouissement partiel, Les espaces retenus étaient recouverts d'un textile, de 70 cm d'écorce de pin et de 30 centimètres de sable concassé. Bon an, mal an, les parties acceptaient le compromis.

 

« Jus infâme »

Seulementvoilà, deuxmois après la fin des travaux, des effets de nuisance apparaissent. « Ce jus est infâme. Outre son odeur insupportable, il produit aussi des sels lorsqu'il sèche. Ces sels attaquent la couche et donc menacent les empreintes », insiste le découvreur. Un passionné qui verrait d'un mauvais œil cette nouvelle et dramatique fin des dinosaures, du moins de leurs inestimables traces.

 

Danièle Brulebois, conseillère générale, suit le dossier depuis le début : « Concernant les piétinements, nous mettrons en place un cheminement pour éviter que les visiteurs marchent sur les empreintes. Elles seront également repeintes avec une peinture protectrice. Pour ce qui est des panneaux d'explication, ils sont  en voie de réalisation. » Quant aux jus nauséabonds, le Département se penche actuellement sur le problème.

Philippe GALLAND

07/10/2009

Nouvelles pistes de dinosaures découvertes dans l'Ain

Plagne_sauropode.jpgNouvelles pistes de dinosaures

découvertes dans l'Ain

 

par André Guyard

(Dernière mise à jour : 02/02/2018)

 

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Carte géologique de la région de Plagne

(Document BRGM)

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Légendes de la carte géologique de la région de Plagne
(Document BRGM)

 

Après Coisia, Loulle et Courtedoux, de nouvelles pistes de dinosaures ont été découvertes dans le massif jurassien, sur le plateau de Plagne dans l'Ain, à près de 800 m d'altitude. Ce sont les plus grandes empreintes jamais mises à jour : certaines atteignent 1,50 m de diamètre. Cette trouvaille a été réalisée en avril 2009 par deux naturalistes amateurs : Marie-Hélène Marcaud et Patrice Landry qui font partie de la Société des Naturalistes d'Oyonnax. Rappelons que les géologues de la SDNO sont déjà à l'origine de la découverte du site de Coisia. Alertés, les paléontologues, Pierre Hantzpergue du laboratoire Paléoenvironnements et paléobiosphères de l'Université de Lyon-1 et Jean-Michel Mazin du CNRS ont expertisé le site.

 

À Plagne, ce sauropode de 40 t a laissé une suite de pas de 155 m. Après deux ans d'analyses, l'animal du jurassique vient de livrer son identité.

 

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La piste d'empreintes de sauropode de Plagne

© P. Dumas

 

Depuis 150 millions d'années, ces empreintes ont été conservées dans une strate calcaire, représentant un sédiment lagunaire pétrifié. Sur le cliché ci-dessous apparaît magnifiquement dessinée, l'empreinte d'un pied dans le sédiment, bordée d'un bourrelet de boue pétrifiée. Le témoin de 50 cm indique que la taille de l'empreinte mesure approximativement 150 cm.

 

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Un beau coup de patte !

(Cliché Pierre Hantzpergue)

 

Comment se forment les empreintes

 

Pour que des empreintes laissées au bord de l'eau se conservent des millions d'années, les conditions de sédimentation doivent être idéales. « Le sol doit être compose de sédiments très fins, qu'il s'agisse de vase argileuse ou de calcaire », explique Pierre Hantzpergue (CNRS-université de Lyon-1) qui a étudié différents sites du Jura comme Plagne ou encore Loulle 1500 empreintes ont aussi été retrouvées. «Il faut un compromis entre la finesse, qui permet le détail, et une consistance pas trop boueuse pour que l'animal ne dérape pas », précise Nicolas Olivier (université Clermont-Auvergne-CNRS). Cette vase à la plasticité d'une pâte à modeler, doit ensuite sécher rapidement, ce qui suppose un climat chaud. Aussi le scénario est-il souvent le suivant : à marée basse, des dinosaures se promenant sur l'étendue boueuse du rivage laissent leurs empreintes... que la mer vient recouvrir, déposant une microfiche de sédiments.

 

La sédimentation marine a ensuite accumulé des centaines de mètres de sédiments protégeant ainsi ces strates pendant des millions d'années. Le Jura ayant émergé, l'érosion s'est chargée du déblaiement des couches supérieures. C'est ainsi que les traces de ces sauropodes ont été mises à jour par le passage d'engins forestiers qui ont décapé la mince couche de terre végétale qui dissimulait la dalle.

 

Comme à Loulle ou à Coisia (voir articles correspondants à ces deux localités jurassiennes) il s'agit de sauropodes, des dinosaures herbivores au long cou. D'après Pierre Hantzpergue, on ne trouve pas de traces de pas de cette taille nulle part ailleurs. Elles correspondent à des animaux de 25 m de long pesant 30 à 40 tonnes.

 

Certes, il ne s'agit pas d'Amphicoelias fragillimus, le plus grand de tous les dinosaures trouvés jusqu'à présent qui atteint une longueur de 40 à 50 m pour un poids estimé à 120 tonnes et qui vivait en Amérique du Nord également au jurassique (du Kimméridgien au Tithonien entre 155 et 154 millions d'années), mais les empreintes laissées par ces mastodontes sont les plus grandes jamais observées en France.

 

Il y a 150 millions d'années, le Jura ressemblait davantage aux Bahamas qu'à la région montagneuse d'aujourd'hui. Grâce à ce lointain passé, Plagne, village peu connu du grand public situé au sud de la chaîne du Jura, près d'Oyonnax (Ain), abrite des témoignages parmi les plus fascinants de l'univers disparu du jurassique. Et les vestiges préservés dans le sol, miraculeusement exhumés, pourraient relancer la « dinomania » des années 1990.

 

Découverte la plus spectaculaire :

 

Cette suite de pas de 155 mètres, record du monde de la plus longue piste d'empreintes de sauropodes les plus imposants des dinosaures. Après trois campagnes de fouilles entre 2010 et 2012, le paléontologue Jean-Michel Mazin et le spécialiste de paléoenvironnement Pierre Hantzpergue, du Laboratoire de géologie de Lyon, et Nicolas Olivier du Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand, ont publié leurs résultats en novembre 2017 dans Geobios. Ils dressent le portrait d'un animal pesant au moins 40 tonnes pour 35 à 40 mètres de long se promenant au milieu des fougères, des mousses et des conifères. Dans cette immense lagune — une plateforme carbonatée qui se soulèvera bien plus tard lors de la formation des Alpes —, des îles émergeaient d'une mer chaude et peu profonde. C'estque s'ébattait le reptile géant.

 

 

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Une longue piste apparaît dégagée de la terre végétale
(Cliché Pierre Hantzpergue)

 

"Une piste de 155 mètres a été dégagée" précise Pierre Hantzpergue qui a commencé les fouilles. Une perspective prometteuse qui pourrait faire de Plagne le plus grand site de pistes de dinosaures du monde. Les résultats des fouilles qui dureront au moins trois ans seront comparés avec ceux issus des sites de Coisia, Loulle et Courtedoux, ce dernier site situé dans le Jura suisse et permettront de reconstituer l'histoire de la région au jurassique, car ces pistes sont inscrites dans des terrains d'âge différant de plusieurs millions d'années, entre -155 et -150 millions d'années.

 

 

L'identité du monstre enfin révélée

 

 

Après deux ans d'analyses, l'animal vient de trouver une identité : Brontopodus plagnensis, une ichno-espèce (décrite uniquement par son empreinte) appartenant au groupe des titanosaures, les plus lourds ayant jamais existé, et ne possédant pas de correspondant connu chez les fossiles. Ses empreintes prennent la forme de dépressions rondes ou ovales, entourées d'un bourrelet de sédiments calcaires expulsés par le poids de l'animal en mouvement. « Plus une piste est longue et plus elle raconte une histoire, se réjouit Jean-Michel Mazin. Ainsi, 155 mètres c'est 3 minutes et demie dans la vie de l'animal. Nous avons dégagé 115 pas environ. On le voit ainsi changer de direction, accélérer en passant de 3,5 à 4,5 km/h. Au début de son cheminement, ses mains — comme on appelle ses petites pattes de devant — et ses pieds — ses pattes arrièresont bien séparées. Puis il allonge le pas et le pied écrase l'empreinte de la main ! » Avec des enjambées pouvant atteindre 2,80 m... Non content de battre le record de longueur de piste, auparavant détenu par le site de Galinha au Portugal (147 mètres), Brontopodus plagnensis grimpe aussi vers les sommets de l'échelle des pointures : selon la nature du sol et les bourrelets formés, ses traces mesurent de 96 à 112 cm. Ces marques de pied découvertes à Plagne (Ain) sont celles d'un « Brontopodus plagnensis » pesant au moins 40 tonnes. Elles mesurent de 96 à 103 cm. Insuffisant cependant pour battre le record détenu par un sauropode australien doté d'un pied de 170 cm.

 

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Sauropode de Plagne marchant sur ses empreintes ;

© dessin : A. Bénéteau ; photographie : Dinojura

(Cliquer sur le cliché pour l'agrandir)

 

BIOMÉCANiQUE

 

4 km/h, la vitesse moyenne des dinosaures

 

Retrouver la vitesse de déplacement d'un animal à partir de ses enjambées est possible grâce à une formule mathématique mise au point en 1975 par Robert McNeill Alexander, zoologiste britannique spécialisé dans la biomécanique et la locomotion terrestre des mammifères :

v= 0,25g-0,5S1,67H-1,17,

g étant l'accélération de la pesanteur au sol exprimée en mètres par seconde au carré (9,81 m/s2), S la longueur de l'enjambée (distance entre deux empreintes de pied du même côté) et h la hauteur à la hanche de l'animal.

 

« Cette dernière n'est pas mesurable sur une piste, mais à partir de squelettes fossiles, explique le paléontologue Jean-Michel Mazin. Nous avons établi une relation entre longueur du pied et hauteur à la hanche des différents types de dinosaures. La hauteur varie de 4,5 à 5,9 fois la longueur du pied.» Un calcul a montré que les grands sauropodes ne se déplaçaient pas à plus de 4 km/h. Le chercheur et ses collègues expérimentent régulièrement cette formule avec les enfants venus visiter Crayssac. Ils les font marcher sur un sol qui imprime leurs empreintes, prennent leur hauteur de hanche et les résultats correspondent à la formule !

 

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Autre empreinte tout aussi volumineuse
(Cliché Pierre Hantzpergue)


Le site ne recèle "pas d'ossements et on n'en trouvera pas parce que ces empreintes de pas se conservent dans des environnements qui ne permettent pas la conservation des squelettes. Pour qu'il y ait préservation d'un squelette, il faut que ce soit dans l'eau rapidement recouverte par des sédiments", précise M. Hantzpergue.


Les fouilles à venir dégageront une piste le plus loin possible, ainsi qu'un carré d'un demi-hectare à un hectare, pour déterminer la densité des traces.


Ces travaux "pourraient révéler que le site de Plagne est l'un des plus vastes connus au monde", estime le CNRS. Ainsi le département de l'Ain détient donc aujourd'hui un record du monde, celui de la piste d'empreintes la plus longue,  un chemin de dinosaures plus long que la plus grande piste connue aujour'hui qui fait 147 mètres au Portugal, près de Fatima.

 

Sources :

Merci au professeur Pierre Hantzpergue qui nous a fourni les clichés qui illustrent cet article.

Science et Vie, n° 1106, novembre 2009, p. 17.

Voir également le site de la SDNO dédié à la découverte de Plagne.

Sciences et Avenir, n° 852, février 2018, pp. 56-58.

Futura Planète : Empreintes de dinosaures : la plus longue piste de sauropode est en France !

06/10/2009

Les sauropodes : des géants agiles ?

sauropodes_shnd_logo.jpgLes sauropodes : des géants agiles ?

 

Malgré leur taille gigantesque, les plus grands de tous les animaux ayant existé sur terre étaient capables d’une grande motilité.

 


par André Guyard

(Mise à jour 05/03/2013)

 

Parmi les sites dont l’exploitation a donné lieu à l’exposition itinérante Paléomania qui a circulé en 2008 dans l’arc jurassien, nous avons visité Loulle et Coisia dans le Jura français (voir articles consacrés à chacun de ces sites). Il restait à découvrir Courtedoux. [1]

Or les inventeurs du site de Courtedoux, près de Porrentruy dans le Jura suisse, sont à l’initiative de Paléomania et ils ont publié un article dans la revue "Pour la Science" de décembre 2008 concernant les sauropodes de l’arc jurassien.

S’inspirant largement de cet article, la présente note complète les données recueillies lors des visites des sites de pistes de sauropodes de Loulle et de Coisia (Jura français) et montre que, malgré leur taille gigantesque, les sauropodes étaient capables d’une grande motilité.

 

Le cliché ci-dessous montre des traces de dinosaures imprimé sur le rivage d'une plaine côtière insulaire, il y a 152 millions d’années, à Courtedoux (Jura suisse). La plupart de ces traces rondes (pattes arrière) ou en demi-lune (pattes avant),signent le passage de sauropodes de type Diplodocus,se déplaçant à la recherche de nourriture. Ils étaient suivis de près par de petits théropodes de type Compsognathus (à gauche) et par un grand théropode type Allosaurus, à l’affût peut-être d’un bébé sauropode isolé.


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Pistes de dinosaures à Courtedoux
(Document : J.-P. Billon-Bruyat)

Alain Bénéteau, l’auteur de la vue d’artiste ci-dessous qui représente les dinosaures responsables des pistes imprimées dans la boue à Courtedoux, a ajouté dans les airs un ptérosaure du genre Rhamphorhynchus qui survole les déplacements des dinosauriens.
 
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Représentation des dinosaures ayant laissé leurs empreintes à Courtedoux
© Alain Bénéteau 2009/http://www.paleospot.com.
(Illustration aimablement communiquée par Alain Bénéteau,
paléontographiste http://www.paleospot.com)
 
 
Les sauropodes

Les sauropodes ont été les plus grands animaux terrestres de l’histoire de la vie.

Argentinosaurus, titanosaure sud-américain du Crétacé supérieur est le plus massif animal terrestre connu. Il mesurait près de 30 mètres de long et pesait près de 90 tonnes. Brachiosaurus, un dinosaure du Jurassique supérieur, qui vivait en Amérique du Nord et en Afrique, observait le monde du haut de ses 12 mètres.
 
Brachiosaurus brancai est un exemple de grand sauropode au long cou trouvé dans les roches du Jurassique supérieur de Tanzanie. Sa tête était à 12 mètres de haut, de sorte qu’il pouvait atteindre la cime des conifère inaccessibles aux autres dinosaures herbivores et arracher des branchages à l’aide de ses dents spatulées. Par ailleurs, la différence très importante de hauteur entre sa tête et son cœur (jusqu’à huit mètres) indique que la pression artérielle de Brachiosaurus était très élevée, afin d’irriguer son cerveau malgré les contraintes de la gravité.
 
 
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Crâne de Brachysaurus brancai
(Document : musée d’histoire naturelle de Berlin).
 
 
Ces deux dinosaures ont en commun d’être des Sauropodes, c’est-à-dire des représentants d’un groupe de gigantesques dinosaures quadrupèdes et herbivores.
 
 
La masse des Dinosaures revue à la baisse
 
 
En utilisant une technologie laser, l'équipe de Bill Sellers de l’Université de Manchester a étudié la quantité de peau nécessaire pour couvrir et envelopper les squelettes des mammifères comme le bison, le taureau, le chameau, l'éléphant, la girafe, le cheval, le rhinocéros ou encore l'ours polaire. Les chercheurs ont ainsi pu établir un rapport entre le volume d'enveloppement (peau et os) et la masse corporelle de l'animal, qui serait de 21%.
 

Une fois ces premières étapes complétées, ils ont appliqué leur modèle mathématique au plus grand squelette de dinosaure au monde, le Brachiosaurus brancai du Musée d'histoire naturelle de Berlin. C'est cette étude qui leur a permis de conclure à un poids bien "moindre" que ce qui avait été évalué jusqu'ici. Cette nouvelle méthode est complètement objective, a assuré à l'AFP Bill Sellers soulignant que la masse corporelle est un paramètre très important pour les biologistes. Le pois du Brachiosaurus brancai a été déterminé par les scientifiques à 23 tonnes, alors qu'il était estimé à 80 tonnes depuis les années 1960. Le détail des travaux complets a été publié dans les Biology Letters de la Royal Society.


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Brachiosaurus brancai du Musée de Berlin


« Notre méthode fournit une mesure beaucoup plus précise et montre que les dinosaures sont moins massifs qu'on ne le pensait » a déclaré Bill Sellers à The Telegraph. « L’une des choses les plus importantes pour les paléobiologistes est de connaître la masse des animaux fossilisés. C’est étonnamment difficile » ajoute-t-il.

Mais le brachiosaure n'est pas le seul dinosaure qui pourrait voir son poids diminuer avec cette nouvelle méthode "robuste". "Nos résultats suggèrent que de nombreuses estimations précédentes (pour tous les dinosaures) sont vraiment trop lourdes", a ainsi déclaré le Pr Sellers. Pour de nombreux dinosaures, l'écart ne serait pas aussi important que pour le brachiosaure, mais ce sont vraisemblablement "les estimations les plus légères" qui sont correctes, a t-il souligné.

Heinrich Mallison, paléontologue au Musée de Berlin, a salué ces travaux qui sont selon lui révolutionnaires : c'est une « excellente approche » a t-il déclaré. « Non pas l’estimation des tissus mous, mais d’avoir trouvé combien un modèle osseux peut sous-estimer la masse de l'animal tout entier ».



Comment des géants à petit crâne, au long cou, aux membres massifs et à longue queue, embarrassés par leur poids pouvaient-ils être terrestres ? On les supposait même obligés, la plupart du temps, de vivre dans l’eau pour le supporter.
 
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Europasaurus holgeri : un sauropode « nain »
Europasaurus holgeri est un sauropode « nain » de six mètres
de long découvert dans le Jurassique supérieur de Oker,
en Basse-Saxe (Allemagne). La reconstitution de son crâne
tient dans les mains, ce qui est rare chez les sauropodes.
(Document Dinopark Münchehagen).

Des géants terrestres
Parmi les vertébrés actuels, seule la Baleine peut être comparée par son poids aux plus grands Sauropodes. Toutefois, elle vit dans l’eau, et la poussée d’Archimède réduit les contraintes que supporte son squelette.

Sur terre, les plus grands mammifères sont l’éléphant (cinq à sept tonnes) et le rhinocéros blanc (2,5 tonnes). Un Argentinosaurus pesait donc une quinzaine d’éléphants et quelque 35 rhinocéros.

Les découvertes des plus anciens spécimens en Thaïlande par Eric Buffetaut du CNRS et ses collègues montrent que le gigantisme, véritable « marque de fabrique » des sauropodes, s’est mis en place très tôt dans l’histoire du groupe.

Ces colosses étaient-ils condamnés à vivre dans l’eau, incapables de se déplacer sur la terre ferme sans être écrasés sous leur poids ? Un faisceau d’indices montre au contraire qu’ils étaient bien adaptés au milieu terrestre. Il a fallu attendre les années 1970 et les travaux du paléontologue américain Robert Bakker pour que la biologie comparée révèle leurs aptitudes réelles.
Le schéma ci-dessous représente la reconstitution de Camasaurus, un sauropode typique du Jurassique supérieur des États-Unis, illustre la façon dont a évolué la perception des sauropodes. Alors qu’avant les années 1970, on représentait toujours ces animaux dans une attitude apathique, le montage de ce squelette suggère au contraire beaucoup de dynamisme : le cou redressé, les membres verticaux et la queue bien au-dessus du sol sont ceux d’un animal en mouvement. Ce squelette de Camarasaurus, de près de dix mètres de long a été découvert dans le Wyoming par l’équipe de Hans-Jakob Siber du Musée des sauriens d’Aathal, en Suisse.

 
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Camasaurus, un sauropode typique du Jurassique supérieur des États-Unis
(Document : Sauriermuseum Aatal).

Manifestement aptes à exploiter les niches écologiques des mégaherbivores de leur temps, les sauropodes étaient construits pour s’y déplacer activement, et non pour s’y traîner péniblement. Leurs énormes pattes verticales soutenaient leur corps nettement au-dessus du sol. Robustes et larges, leurs humérus et fémurs pouvaient supporter des efforts autrement plus importants que le simple poids de leur propriétaire.

C’est donc plutôt à la locomotion efficace des éléphants qu’à celle, difficile, des crocodiles à terre qu’il faut comparer la locomotion des sauropodes. Comme ces anciens herbivores géants, les éléphants ont des membres verticaux, qui supportent un poids de plusieurs tonnes. Cela n’empêche nullement les éléphants de se déplacer assez vite (25 kilomètres par heure), même s’ils ne galopent pas, et de se dresser sur leurs pattes arrière pour atteindre un rameau tendre ou pour s’accoupler... Les sauropodes faisaient-ils de même ?

Les nombreuses pistes de sauropodes découvertes sont des indices précieux sur leur locomotion. Au sein d’un même gisement du Jurassique moyen de l’Oxfordshire, en Grande-Bretagne, on a relevé des pistes à voie étroite où les traces de « pieds » et de « mains » sont proches de l’axe du corps, et, à l’inverse, des pistes à voie large. Ces pistes révèlent une différence de posture au sein des sauropodes, entre les diplodocidés (famille du Jurassique supérieur d’Amérique du Nord et d’Afrique), par exemple, et des formes plus évoluées comme les titanosaures (un groupe cosmopolite au Crétacé) dont les pattes étaient plus écartées.

Les pistes montrent aussi que les sauropodes ne laissaient pas traîner leur longue queue (comptant parfois plus de 80 vertèbres), ce qui contredit les anciennes reconstitutions. Le célèbre squelette de Diplodocus qui trône depuis 1908 dans la galerie de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle à Paris a par exemple été monté avec la queue par terre...

En fait, l’articulation des vertèbres caudales indique que les sauropodes maintenaient leur queue à l’horizontale, pour contrebalancer le cou. Cette posture érigée et la queue à l’horizontale impliquent une locomotion plus consommatrice d’énergie que celle des crocodiles, lézards et autres reptiles, dont les membres restent en position latérale et qui traînent leur queue. Pourquoi l’adopter, sinon pour rendre possibles agilité, vitesse et endurance ?

Une grande taille constituait-elle une meilleure défense face aux prédateurs ?

Il existe un autre argument en faveur de l’efficacité de la locomotion des sauropodes : ces géants pouvaient progresser sur des sols mous. L’équipe de Jean-Paul Billon-Bruyat a découvert des empreintes de pieds de plus de un mètre de diamètre à Courtedoux, dans un environnement proche de celui des Bahamas, mais daté du Jurassique supérieur.
 
Le cliché ci-dessous montre une empreinte de pied de sauropode découverte par l’équipe de Jean-Paul Billon-Bruyat à Courtedoux, dans les couches géologiques du Jurassique supérieur du Jura suisse. Avec plus de six mètres de hauteur à la hanche, ces très grands sauropodes n’hésitaient pas à s’aventurer sur les « plages ». La trace du « pied » est de forme circulaire, ce qui montre que ce très grand sauropode était plantigrade pour les pattes postérieures. En revanche, la trace de la « main » (au premier plan) est en forme de demi-lune, ce qui indique que l’animal était davantage digitigrade pour les pattes antérieures. À l’avant des empreintes, des bourrelets se sont formés par expulsion de la boue carbonatée de l’époque qui s’est transformée en calcaire.
 
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Mesure d’une empreinte de pied de sauropode
de plus d’un mètre
(Document : Patrick Dumas/Look at Science)
 
Ces empreintes illustrent que des sauropodes gigantesques (avec plus de six mètres de hauteur à la hanche) s’aventuraient sur des plaines côtières. Il s’agissait donc d’animaux disposant d’une locomotion efficace, condition indispensable pour se déplacer à la recherche de nourriture, comme tant d’herbivores. Force est donc de constater que les sauropodes ont été de très grands herbivores assez mobiles et habiles pour exploiter divers biotopes terrestres.

Quels avantages sélectifs ont-ils favorisé, dans les environnements jurassiques et crétacés, les lignées de sauropodes de grande taille ? Une grande taille constituait-elle une meilleure défense face aux prédateurs, comme chez les éléphants actuels ?

On peut le penser, mais il n’existait pas a priori de prédateurs capables de s’attaquer à un sauropode adulte. En outre, les pistes de sauropodes montrent qu’ils pouvaient se déplacer en troupeaux, composés de différentes classes d’âge. Comme chez les éléphants, ce comportement grégaire devait protéger les plus jeunes contre les carnivores.

Enfin, l’extrémité de la longue queue de certains sauropodes, tel Diplodocus, servait peut-être de fouet.

Plus convaincante est l’affirmation selon laquelle un sauropode gagnait à être géant pour exploiter les ressources végétales des parties hautes des arbres, inaccessibles aux autres dinosaures herbivores (comme les stégosaures et les ornithopodes). Les sauropodes du Jurassique se nourrissaient dans des environnements dominés par des conifères et devaient avoir un régime alimentaire sélectif. Ils favorisaient la consommation de certains conifères (Araucaria), de ginkgoales (tel le Ginkgo), de certaines fougères (telle Angiopteris) et de prêles (Equisetum), dont les valeurs énergétiques étaient supérieures à celles des cycadales (de type Cycas), des fougères arborescentes et d’autres conifères.

Au Crétacé, les sauropodes ont pu encore diversifier leur nourriture avec l’apparition des plantes à fleurs, tels les magnolias, et goûter aux fruits. Si une partie considérable de la biomasse disponible pour les herbivores se trouvait en hauteur, la grande taille des sauropodes était un avantage crucial.

Comme c’est le cas à Loulle, de très nombreuses pistes de sauropodes ont été retrouvées à proximité d’anciens rivages marins. Se nourrissaient-ils de plantes situées près du rivage, voire d’algues, qui poussaient sur les parties plus élevées des terres émergées ? La question reste ouverte, mais la présence de très grands sauropodes dans ces milieux côtiers montre que les ressources végétales y étaient plus importantes que ne le suggèrent les rares fossiles de flore qui y ont été mis au jour. Pour se sustenter, un sauropode devait sélectionner, ingurgiter et broyer une quantité considérable de végétaux. Un éléphant passe l’essentiel de son temps à chercher sa nourriture ; chaque jour, il consomme environ 200 kilogrammes de végétaux, soit quatre pour cent de son poids, et boit environ 100 litres d’eau. Ces végétaux transitent le long de 40 mètres d’intestins où seulement la moitié de la nourriture est assimilée, un système bien moins efficace que celui des ruminants actuels (telle la vache).


Des pierres pour digérer
 
Que devait donc consommer un sauropode pesant dix éléphants : deux tonnes de végétaux, un mètre cube d’eau ? Nous l’ignorons, mais parmi les inconvénients apparents du gigantisme, l’augmentation des besoins en nourriture et en eau est de règle.

Les mâchoires des sauropodes leur servaient avant tout à saisir et à arracher des branchages et des feuillages. Leurs dents pouvaient être spatulées (en forme de cuiller), comme chez les camarasauridés et les brachiosauridés ou encore cylindriques, comme chez les diplodocidés et les titanosaures, mais il est évident qu’elles ne servaient pas à mâcher, contrairement aux dents des grands mammifères herbivores.

Comment digéraient-ils ? Les tissus mous n’étant pratiquement jamais fossilisés, nous ne connaissons pas le système digestif des sauropodes. Toutefois, des gastrolithes (pierres polies) trouvées au sein de la cage thoracique de certains squelettes (240 sur un Seismosaurus de la fin du Jurassique), suggèrent que les sauropodes avalaient des pierres pour faciliter leur digestion comme les pierres de gésier des oiseaux herbivores et granivores actuels.
 
Le cliché ci-dessous montre des gastrolithes découverts dans le squelette d’un Seismosaurus dans le Jurassique supérieur des États-Unis. Ces pierres étaient ingurgitées par les sauropodes afin de faciliter le broyage des végétaux dans leur estomac et par là leur digestion.
 
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Ensemble de gastrolithes ou "pierres de gésier"
(Document : Columbia University Press)

Ainsi broyés, les végétaux fermentaient à l’intérieur de très longs intestins, à l’aide d’un cocktail de bactéries et de sucs gastriques. Le bol alimentaire fermentait donc lentement dans l’abdomen des sauropodes, dégageant de la chaleur et une grande quantité de gaz intestinaux. Or la fermentation est favorisée par la chaleur, et plus la masse qui fermente est importante, plus la chaleur produite est intense...

À ce propos, le grand corps massif des sauropodes les faisait bénéficier de l’homéothermie de masse, une déperdition de chaleur moins importante due au faible rapport entre la surface du corps et son volume. Pour le diplodocidé Apatosaurus (jusqu’à 30 tonnes), on a pu montrer que la température passe de 25 °C pour un bébé de 12 kilogrammes à environ 41°C pour un adulte de 13 000 kilogrammes.

Avec leur aptitude à conserver la chaleur corporelle, les sauropodes devaient être insensibles aux variations de la température journalière, voire en surchauffe. Ainsi se dégage l’impression que, pour exploiter au mieux les ressources végétales de leur environnement, les sauropodes sont devenus de grandes « cuves à fermentation » sur pattes, alimentées en permanence par un « robot maniable » (leur long cou) portant un  "outil de découpe" (leurs mâchoires aux dents coupantes), un système qui gagnait en efficacité en grossissant.

Les tailles gigantesques des sauropodes posent des problèmes biologiques et biomécaniques ardus.

Quel était leur mode de croissance ? Comment supportaient-ils leur poids ? Il apparaît que les dinosaures et les ptérosaures (leurs cousins volants) formaient principalement de l’os de type "fibrolamellaire" le type de tissu osseux que développent les mammifères et les oiseaux, reflet d’une vitesse de croissance élevée. Comme le montre la coupe ci-dessous, le tissu osseux est très riche en canaux vasculaires et présente des cernesde croissance (flèches), indiquant une croissance rapide.
 
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Vue microscopique d’une coupe
de tibia de Europasaurus holgeri
(Document Dinopark Münchehagen)

Le sauropode Apatosaurus aurait atteint sa taille adulte en huit à dix ans, ce qui correspond à une prise de masse d’environ 5,5 tonnes par an ! Toutefois, une croissance et une prise de poids rapides posent le problème de la résistance des os, qui soutiennent le corps. Le volume et donc son poids d’un corps en croissance augmentent comme le cube de sa taille. En théorie, le poids d’un sauropode atteignant cinq mètres de haut était 1000 fois plus important que celui du même animal quand il ne mesurait que 50 centimètres. Et chaque centimètre carré de section du fémur d’un sauropode de cinq mètres de haut devait supporter dix fois plus de pression qu’un centimètre carré du même fémur quand l’animal mesurait seulement 0,5 mètre de haut.

Le squelette des sauropodes, bien ancré sur des membres massifs et des ceintures scapulaires (les épaules) et pelvienne (le bassin) robustes, présentait-il des allégements ? Un exemple est donné par leur long cou, constitué de vertèbres pourvues d’un système complexe de cavités. Dès les premières découvertes de squelettes de sauropodes, les paléontologues ont pensé qu’elles avaient évolué pour alléger la longue colonne vertébrale. Bien que les vertèbres des sauropodes soient massives, leurs structures sont comparables à celles des oiseaux en ceci qu’elles sont pleines d’air en connexion avec les sacs aériens et les poumons.
 
Le cliché ci-dessous montre deux coupes transversales d’une vertèbre cervicale (en haut) de Brachiosaurus broncai, du Jurassique supérieur de Tanzanie, ont été obtenues par tomographie informatisée. Grâce à cette technique non destructive, on parvient à quantifier les cavités de la vertèbre. Les trous et des indentations présentes dans sa structure interne l’allègent sans pour autant trop compromettre sa solidité, même si elle réduit l’os à de fines cloisons par endroits. Le « canal neural » indique le passage de la moelle épinière.

 
 
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Vertèbre cervicale de Brachiosaurus broncai montrant
les cavités aériennes dans la structure osseuse
(Cliché : D. Schwartz. Muséum d’histoire naturelle de Berlin)

Pour autant, l’allégement de la colonne vertébrale et ce système respiratoire de type avien étaient-ils propres aux sauropodes ? Non, on les rencontre aussi chez les prosauropodes (dinosaures herbivores du Trias et du Jurassique inférieur, apparentés aux sauropodes), les théropodes et les ptérosaures ; mais ils sont absents chez les autres reptiles.

Le long cou des sauropodes

Le cou des sauropodes avait donc des vertèbres allégées, mais il était aussi démesuré, si long qu’il en paraît aberrant, jusqu’à quatre fois la longueur du tronc.

Comment les sauropodes ont-ils développé de si longs cous ? Comment la circulation du sang contrait les effets de la gravité pour irriguer le cerveau ? Ce cou était-il flexible ?

Nous avons vu que ce long cou leur était nécessaire pour « ratisser » efficacement leur environnement. Étant donné la longueur, la posture et la souplesse de leurs cous, on déduit les caractéristiques principales des niches écologiques qu’occupaient les sauropodes. On a pu démontrer que le cou de Brachiosaurus aurait été quasiment à l’horizontale. La grande taille de Brachiosaurus et ses membres antérieurs, plus longs que les postérieurs, lui permettaient de saisir des branches situées à plus de six mètres de haut. L’articulation des vertèbres cervicales de Diplodocus montre que son très long cou était peu flexible vers le haut ; en revanche, il pouvait aisément le baisser pour manger à même le sol. Ainsi, Diplodocus pouvait saisir des feuillages à quatre mètres de haut, mais aussi brouter des fougères et des prêles, avec l’élégance d’un bovin.

Le cou des sauropodes s’est allongé au fil du temps en empruntant deux voies : un allongement de la longueur des vertèbres cervicales (atteignant parfois plus d’un mètre) ou une augmentation de leur nombre (jusqu’à 19) par conversion de vertèbres dorsales en cervicales, voire les deux simultanément. Le très long cou de Brachiosaurus, par exemple, résulte d’un allongement de ses cervicales (13 vertèbres dont certaines atteignent 75 centimètres).

À l’extrémité du cou des sauropodes se trouvait un crâne minuscule, en proportion avec le corps : 70 centimètres de long pour un Diplodocus de 26 mètres ! Les mâchoires des sauropodes ne servant pas à mastiquer, mais seulement à la prise de nourriture, leur crâne a pu rester petit, prérequis nécessaire au développement d’un long cou. De fait, les sauropodes avaient le plus faible quotient d’encéphalisation de tous les dinosaures, c’est-à-dire le plus faible rapport masse cérébrale/masse corporelle.

Le quotient d’encéphalisation et l’anatomie des sauropodes posent la question de l’irrigation d’un cerveau situé à l’extrémité d’un si long cou. Afin de contrer les effets de la gravité étant donné leur anatomie, les sauropodes ont dû, comme la girafe, développer une pompe cardiaque puissante et des vaisseaux sanguins renforcés et équipés de valves de sécurité. La pression artérielle de Brachiosaurus, dont la tête s’élevait jusqu’à 12 mètres au-dessus du sol et à huit mètres au-dessus de son cœur, devait ainsi être très élevée. On a estimé la différence de pression entre sa tête et son cœur à 600 millimètres de mercure !

Des quadrupèdes herbivores gigantesques plus proches des oiseaux que des reptiles

Les puissants muscles nécessaires pour animer un énorme corps suggèrent que le métabolisme des sauropodes était élevé, pareil à celui des animaux homéothermes (à température constante) et endothermes (production de chaleur interne), que l’on rencontre chez les mammifères et les oiseaux. Une étude géochimique a pu établir que les dinosaures avaient une physiologie thermique plus proche de celle des mammifères que de celle des reptiles contemporains.

Ainsi, les plus grands vertébrés terrestres ayant jamais vécu, les sauropodes, étaient des quadrupèdes herbivores dynamiques, construits pour optimiser leur quête de nourriture et leur digestion. Leur biologie, caractérisée par un métabolisme élevé, était bien plus proche de celle des oiseaux et des mammifères que de celle des autres reptiles. Ce résultat est conforté par la classification des espèces puisque, sur la branche des dinosaures, les sauropodes sont proches des théropodes, dont descendent les oiseaux.
 


dinosaures,sauropodes,fossiles,pistes,jurassique

Succès évolutif des Sauropodes

(Pour la Science mars 2013)

Pour zoomer, cliquer sur le cliché

 

• BIBLIOGRAPHIE

J.-P. Billon-Bruyat, D. Marty et D. Becker, Les sauropodes, géants agiles, Pour la Science, n° 374, décembre 2008.

J. Horner, K. Padian et A. de Ricqlès, Dinosaures : les secrets de leur taille, Pour la Science, n° 334, août 2005.

J. Hummel et ., In vitro digestibility of fern and gymnosperm foliage : implications for sauropod feeding ecology and diet sélection, Proceedings of the Royal Society B, vol.275, pp. 1015-1021, 2008.

D. Marty et al., Late Jurassic dinosaur tracksites of the Transjurane highway (Canton Jura, Switzerland) : overview and measures for their protection and valorisation, Bulletin for Applied Geology, vol. 12, pp. 75-89. 2007.

D. Schwarz et G. Fritsch, Pneumatic structures in the cervical vertebrae of the Late Jurassic Tendaguru sauropods Brachiosaurus brancai and Dicraeosaurus , Ecologae Geologicae Helvetiae, vol. 99, pp.65-78, 2006.

A. Bénéteau : http://www.paleospot.com

http://www.lejurassique.com/lejurassique/fr/paleomania.html

Vifs remerciements à Jean-Paul BILLON-BRUYAT, Daniel MARTY et Damien BECKER qui m’ont autorisé à reproduire de longs passages du texte de leur article dans "Pour la Science" de décembre 2008.

Jean-Paul BILLON-BRUYAT, Daniel MARTY et Damien BECKER sont paléontologues à la Section d’archéologie et paléontologie du Canton du Jura, en Suisse.
 
[1] Après Coisia, Loulle et Courtedoux, de nouvelles pistes de dinosaures ont été découvertes en avril 2009 dans le massif jurassien, sur le plateau de Plagne dans l'Ain, à près de 800 m d'altitude. Ce sont les plus grandes empreintes jamais mises à jour : certaines atteignent 1,5 m de diamètre. (Voir l'article concernant cette nouvelle trouvaille).

05/10/2009

Les pistes de dinosaures de Coisia (Jura)

Coisia_08_06_22_08_logo1.jpgLes pistes de dinosaures
de Coisia (Jura)
 
par André Guyard

 

Suite à l’élargissement de la départementale qui conduit au village de Coisia, une dalle au pendage prononcée est apparue en bordure de route. En 2004, un géologue amateur éclairé appartenant à la Société Des Naturalistes d'Oyonnax (SDNO) eut son attention attirée par des empreintes de pas gigantesques.

 

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La falaise s'élève au bord de la route
(Cliché André Guyard)
 
De l’avis des spécialistes, il s’agit de pistes de Sauropodes. Les Sauropodes étaient des dinosaures herbivores au long cou tout comme les Diplodocus. Ce gisement date du Jurassique supérieur, plus précisément du Tithonien, (-150 millions d’années), une période où le Jura se trouvait sous climat tropical. Rappelons que depuis 1990, le Tithonien remplace le Kimméridgien supérieur (sensu anglico) et le Portlandien. Comme dans le cas de Loulle, les traces de sauropodes ont été faites dans un substrat émergé de type lagunaire.
 
Voir également le reportage de France-3 Franche-Comté consacré en partie au site de Coisia.
 
Coisia_Carte-géol.jpg
Carte géologique de la région de Coisia
Le point rouge indique l'emplacement du site
(Document BRGM)
 
Légende1.jpg
Légende de la carte géologique
 
Coisia_08_06_22_06site1.jpg
La tectonique a complètement redressé le gisement
(Cliché André Guyard)
 
Attention, le gisement se trouve en bordure de route et présente un danger pour les piétons, étant donné l’étroitesse de la chaussée.
 
 
Coisia_08_06_22_01_site1.jpg
Autre aspect de la falaise
(Cliché André Guyard)
 
La présence de dinosaures dans le jurassique est attestée par la découverte de fossiles dans la région de Poligny (Jura) depuis 1862.
 

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Document tiré de Jura… Jurassique, Hantzpergue et al. 2010

 
En 2006, un site semblable a été découvert dans une carrière abandonnée à Loulle près de Champagnole (Jura). Beaucoup plus accessible, il fera l’objet d’aménagements destinés à la visite (voir dans la même rubrique l’article concernant ce gisement).
 
Après Coisia, Loulle et Courtedoux, de nouvelles pistes de dinosaures ont été découvertes en avril 2009 dans le massif jurassien, sur le plateau de Plagne dans l'Ain, à près de 800 m d'altitude. Ce sont les plus grandes empreintes jamais mises à jour : certaines atteignent 1,5 m de diamètre. (Voir l'article concernant cette nouvelle trouvaille).
 
Voir également le site internet de la SDNO dédié à cette trouvaille.
 
Source :
 
Informations fournies par Pierre Hantzpergue, Professeur à l’Université Claude Bernard (Lyon 1) chargé avec Jean-Michel Mazin (Directeur de recherche, UMR 5125 CNRS) de l’étude des traces de dinosaures des site  de Loulle (Jura) et de Plagne (Ain).