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20/05/2012

La Vipère Péliade : Vipera berus

Péliade-mélanique_03-logo.jpgLa Péliade : Vipera berus

 

par Michel Cottet

herpétologue

 

La Péliade est une vipère au corps épais. Contrairement à celle de l'Aspic, la tête est moins distincte du cou et avec un museau arrondi. L’iris des yeux est orangé-rougeâtre à noirâtre et la pupille se présente en fente verticale. Les écailles dorsales sont carénées et la queue est très courte. La coloration dorsale peut être gris blanchâtre, argenté ou clair, ou encore jaunâtre, rougeâtre, cuivrée ou noire. La tête s'orne souvent d'un motif en "X" ou en "V" et d'une bande qui s'étend de chaque côté du bord externe de l'œil au cou. Toute la face dorsale porte une large bande en zigzag d'un brun très sombre ou d'un noir profond chez le mâle où elle ressort très nettement (brun plus clair ou chocolat et moins contrastée chez la femelle). De grandes taches sombres s'alignent sur les flancs. La face ventrale plus ou moins nettement finement tachetée est gris-brunâtre et l’extrémité du dessous de la queue est blanc jaunâtre à orange.

 

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La queue est très courte

 

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La couleur de la livrée est variable

Cliché F. Wendler

 

Dans les tourbières jurassiennes, la Péliade présente assez fréquemment une livrée entièrement noire en harmonie avec la couleur de la tourbe. Cette livrée mélanique apparaît avec l'âge, les jeunes à la naissance présentent la coloration et les ornementations décrites ci-dessus.

 

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Péliade de tourbière à la livrée mélanique

cliché Michel Cottet

 

Longueur totale 55-60 cm, rarement jusqu'à 70, exceptionnellement jusqu'à 80 cm.
 
La Péliade a une aire de répartition importante, d’où son nom en anglais de « common adder = vipère commune », mais, en réalité les populations sont très dispersées et elle est en régression partout. Elle n’est présente que ponctuellement dans les biotopes qui lui restent favorables. On la trouve dans toute l'Europe du Nord et du Centre (sauf l'Irlande), ainsi qu'en Asie centrale jusqu'au fleuve Amour et à l'île de Sakhaline. En France, on la rencontre dans le Nord, en Bretagne et Normandie, dans une petite partie du Haut Doubs et du Haut Jura et dans le massif Central.

 

La Péliade aime les biotopes soumis à d'importants écarts de température pourvu que le taux d'humidité du sol et de l'air soit élevé. Elle fréquente les bords de chemin ensoleillés, broussailleux et herbeux, les lisières, bois clairs ou défrichés parsemés de souches et envahis de ronces et d'orties, les marécages tourbeux, les bosquets humides, les versants d'éboulis couverts de végétation. La Péliade vit de la plaine jusqu'à 3 000 m d'altitude en montagne.

 

La Péliade sort généralement de sa cachette très tôt le matin, alors qu'il fait encore froid et sombre. Elle rampe jusqu'à un endroit déterminé que le soleil atteint bientôt et se roule en galette ou en larges méandres. Dans les tourbières, elle affectionne le sommet aplati des touradons [1]. Dès que le soleil apparaît, la Péliade étale son corps le plus possible afin de capter le maximum de chaleur. Elle reste ainsi exposée jusqu'à ce que sa température interne atteigne environ 33°C, ce qui lui permet de disposer de toutes ses facultés. Elle se retire alors dans une cachette ombragée ou se met en quête de nourriture. En fin d'après-midi, elle cherche à nouveau un endroit exposé au soleil ou ayant emmagasiné de la chaleur, afin de se réchauffer à nouveau.

 

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Péliade non mélanique (Bonnevaux, Doubs 09/06/2012)

Cliché Michel Cottet

 

La Péliade chasse le jour et au crépuscule. Elle est particulièrement active quand il fait chaud, lourd et orageux, ou après de longues périodes de mauvais temps. Par grand vent, elle demeure dans son abri.

 

Les péliades s'accouplent en avril-mai. L'accouplement peut avoir lieu à toute heure du jour, mais surtout le soir et la nuit. Une femelle est souvent courtisée par plusieurs mâles qui se livrent des combats symboliques, les "danses de vipères" : quand ils se rencontrent, ils rampent par à-coups dans la même direction se dressent côte à côte, s'enroulant souvent les uns sur les autres, Puis ils essaient de se pousser par l'avant du corps qui est dressé, glissent et retombent. Ils peuvent également se donner des coups de tête. Cette "danse" dure jusqu'à ce qu'un des mâles se sente inférieur et prenne la fuite.

 

Le mâle doit souvent faire longuement la cour à sa dame avant qu'elle accepte ses avances. Il rampe alors sur son dos, cherchant à la stimuler en lui maintenant la queue plaquée au sol et en sortant vivement la langue dans sa direction. Tout comme la parade nuptiale, l'accouplement peut durer des heures. Il ne peut pas être interrompu brusquement et deux vipères accouplées sont très embarrassées pour prendre la fuite en cas de danger. La durée de la gestation varie fortement selon la région et les conditions climatiques, elle peut excéder 5 mois. Les 10 à 14 vipéreaux, rarement jusqu'à 20, mesurent à la naissance entre 14 et 23 cm. Ils naissent enveloppés dans une membrane transparente dont ils se délivrent immédiatement ou presque. Après la parturition, la femelle est amaigrie et toute fripée.

 

La Péliade se retire en octobre sous une souche, dans un terrier ou sous des rochers à l’abri du gel pour hiverner. Les endroits confortables abritent souvent plusieurs vipères qui hivernent ensemble, ou en compagnie de lézards vivipares, d'orvets ou d'amphibiens. L'hibernation se termine en mars-avril, souvent avant que toute la neige ait totalement fondu, ce qui est le cas dans les tourbières du Haut-Doubs (altitude de 800 à 1200 m). Elle quitte alors son lieu d'hibernation pour se chauffer au soleil à l'abri du vent et capter le maximum de chaleur. Son mélanisme lui permet d'atteindre une température interne très supérieure à la température extérieure. Elle reste ainsi exposée et devient active quand sa température interne atteint environ 33°C.


 
La Péliade se nourrit essentiellement de rongeurs, mais selon les biotopes, elle peut aussi se nourrir de grenouilles rousses, ou encore de lézards vivipares ou de musaraignes. En général, elle chasse à l'affût, épiant les proies qui passent, mais elle arpente aussi les broussailles ou les terriers. Quand elle a repéré une souris, elle essaie de s'en approcher lentement. Après avoir mordu sa proie, elle la relâche généralement et attend que le venin agisse. Souvent la souris parcourt encore quelques mètres avant de mourir. La vipère reste alors un certain temps sur place, ouvre grand sa bouche pour replacer ses mâchoires qui sont très mobiles l'une par rapport à l'autre, agite vivement la langue, et se met à rechercher sa proie. Elle s'oriente pour cela exclusivement grâce à son odorat qui est très fin et par un organe particulier qui lui transmet des information olfactives captées par la langue. Une fois qu'elle a trouvé la trace, elle la suit rapidement. Elle avale généralement la proie la tête la première et la déglutition peut durer 10 à 15 minutes ou plus. Une vipère adulte peut avaler à la suite deux à trois souris. Pour faciliter la digestion, elle s'installe alors dans un endroit chaud.

 

L'un des grands ennemis de la Péliade est le Hérisson. Il n'est nullement immunisé contre le venin, mais ses aiguilles le protègent des morsures. La Péliade a bien d'autres prédateurs : putois, sangliers, ainsi que de nombreuses espèces d'oiseaux, telles que les corvidés, les rapaces nocturnes (chouettes...) et diurnes (épervier, buse, circaète...), les hérons et cigognes. Mais son pire ennemi est toujours l'Homme qui lui livre encore une chasse sans merci dans de nombreuses régions et qui détruit des biotopes en asséchant des marais ou en étendant ses cultures.

 

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Les morsures de la Péliade sont rares et exceptionnellement mortelles, mais elles peuvent avoir des conséquences graves, provoquant des douleurs intenses et occasionnant parfois des séquelles qui mettent longtemps à se résorber totalement. Les morsures de vipère sont souvent liées à un comportement imprudent. Dans les régions où vivent les péliades, il faut éviter de marcher pieds nus et faire attention où l'on pose les pieds et les mains quand on ramasse des baies ou des champignons. En général, les péliades s'enfuient bien avant que l'Homme ne les remarque. Mais si on les surprend, elles s'enroulent sur elles-mêmes et mordent immédiatement.

 

Sources :

— Diesener G. & Reichholf J. (1986). — Les batraciens et les reptiles. 287 p. Éd. Solar.

 
— Pertti Viitanen (1967). — Hibernation and seasonal movements of the viper, Vipera berus berus (L.), in southern Finland, Annales Zoologici Fennici Vol. 4, N° 4 (1967), pp. 472-546.


[1] Mottes arrondies surélevées (40 à plus de 60 cm de haut) formées dans les tourbières ou zones humides paratourbeuses par la pousse annuelle de certaines graminées comme la Molinie.

La Vipère Aspic Vipera aspis

Vipère aspic—05logo.jpgLa Vipère Aspic Vipera aspis

 

par Michel Cottet,  herpétologue

 

(dernière mise à jour : 18 août 2016)

 

L'Aspic est un serpent de taille moyenne à tête triangulaire nettement distincte du cou.

 

L’iris des yeux est généralement de couleur jaune d’or à pupille verticale noire. Le museau est légèrement retroussé, les écailles carénées et la queue courte. La coloration est très variable, allant du gris clair, brun gris, jaunâtre, brun au rouge brique. La face dorsale est généralement ornée d'un motif composé de taches foncées alignées en deux rangs décalés. Mais on observe aussi des motifs en zigzag ou en ligne ondulée, entière ou interrompue ou/et fractionnée. Les flancs portent aussi des taches foncées, plus ou moins grandes et plus ou moins mates. La coloration ventrale, uniforme, va du jaunâtre gris au mauve jusqu’à noirâtre, parfois avec des minuscules ponctuations plus ou moins distinctes, Les mâles arborent des couleurs plus vives avec des motifs noirs plus larges et nettement plus contrastés ; ils sont légèrement plus grands que les femelles. Longueur totale adulte 65-85 cm.

 

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Cliché Michel Cottet

 

Chez cette espèce,  comme chez la Péliade, les individus mélaniques sont "relativement" fréquents en montagne ; nous avions déjà fait des observations dès 1976 en Autriche dans le massif des Totesgebirge, sur des sentiers en montagne, aux environs de 2000 m d'altitude lors d'expéditions spéléo. Des observations répétées de temps en temps, toujours en montagne. Je n'en ai vu qu'une seule fois dans le Haut Jura, au hameau de La Rageat à Lavans les St-Claude, en direction du Lac d'Antre.

Ci-dessous, un morphe mélanique, l'un des deux spécimens trouvés écrasés dans un parking  au col de Pierre Carrée, (les Carroz d'Araches, Hte-Savoie) le 15 août 2016.

 

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Vipera aspis mélanique écrasée

© Michel Cottet

 

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Cliché Michel Cottet

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L'Aspic est une espèce plutôt méridionale, répandue au nord-est de l'Espagne, presque sur toute la France à l'exception du nord-ouest, en Italie, Sicile, Elbe, Montecristo, Suisse et sud de la Forêt-Noire.

 

L'Aspic aime surtout les biotopes secs et ensoleillés. On le rencontre souvent dans les bosquets envahis par les broussailles, les lisières et sur les pentes rocailleuses.

 

L'Aspic quitte son abri très tôt le matin, alors qu'il fait encore frais. Il cherche une place au soleil et s'y installe, roulé en galette ou étalé en méandres souples. Avec une température externe de + 4 °C et une température corporelle d'environ 15 °C, l'Aspic arrive à atteindre en une heure sa température optimale, soit 29 °C.  

 

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 Clichés Michel Cottet

 

L'Aspic chasse surtout des petits rongeurs, particulièrement des campagnols, et plus rarement des lézards et des oisillons.

 

L'Aspic découvre ses proies en restant posté immobile, à l’affût, ou encore en arpentant son territoire, inspectant également terriers et fentes rocheuses, Il mord une première fois, puis attend un certain temps que le venin agisse en paralysant la proie avant de se remettre à sa recherche. Il se fie pour cela à son odorat très fin. La proie est généralement avalée la tête la première.

 

Au début du printemps, à la sortie de l'hibernation et alors que l'air ne se réchauffe que lentement, les vipères passent souvent des heures étendues au soleil. Quand l'emplacement choisi devient trop chaud (l'Aspic supporte jusqu'à 37°C environ), la vipère se retire dans un lieu semi-ombragé ou dans sa cachette préférée, ou se met à parcourir son territoire. Quand la température ambiante est basse et lorsque la vipère traverse une grande zone ombragée, sa température interne baisse fortement. Elle cherche alors à s'exposer au soleil pour retrouver sa température optimale. L'été, la vipère doit souvent sortir de son trou avant le lever du soleil pour étancher sa soif. La température de son corps étant trop basse, elle rampe lentement et maladroitement dans la rosée.

 

L’Aspic est territorial, sédentaire et se déplace peu, migrant seulement de façon saisonnière au printemps en sortant d’hibernation, pour les accouplements, puis gagnant son territoire d’estive et enfin retournant à son lieu d’hivernation aux premiers froids (petite cavité naturelle, fissure abritée du gel, petite grotte, terrier abandonné…). Il est plus sensible au dérangement que la plupart des couleuvres ; il est de plus en plus rare et dans certains secteurs, menacé de disparition.

 

Les services rendus par sa consommation importante de campagnols ne sont pas assez connus des acteurs du monde rural et en particulier des agriculteurs qui souffrent des dégâts des rongeurs sur les prairies fournissant le fourrage indispensable aux élevages de bétail herbivore.

 

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Cliché Michel Cottet

 

Les mâles sortent de l'hibernation dès le début du printemps, suivis quelque 10-15 jours plus tard par les femelles. En période de reproduction, les mâles déploient une grande activité avec des préliminaires et des combats rituels avant les accouplements ; ils circulent alors beaucoup, ne prenant pas ou peu de nourriture.

 

Quelque temps avant la mue - qui survient régulièrement et s'annonce par le ternissement des couleurs et l'opacification de l'œil -, la vipère s'abstient également de s'alimenter.

 

L'accouplement a lieu parfois dès fin février et surtout en mars-avril en Franche-Comté. Le cycle reproducteur de la femelle n'est pas encore connu avec précision, mais dans la majorité des régions les vipères s'accouplent chaque année. L’Aspic est ovovivipare. Les 4 à 15 vipéraux, longs de 18 cm environ, naissent en août-septembre. Les vipères Aspics connaissent souvent en septembre ou début octobre une nouvelle période d'accouplement, avec des rituels plus courts.

 

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Cliché Michel Cottet

 

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Femelles gravides © Michel Cottet 25/08/2013 Sancey le Grand (Doubs)

 

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Femelles gravides © Michel Cottet 25/08/2013 Sancey le Grand (Doubs)

 

Source :

Diesener G. & Reichholf J. (1986) - Les batraciens et les reptiles. Ed. Solar.

Médecine et génomique à l'Institut Pasteur

médecine,génomiqueMédecine et génomique à l'Institut Pasteur

 

Nous ne sommes pas tous égaux devant les maladies

 

"Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres" écrivait Georges Orwell. Ceci est un peu vrai face à la maladie. Si certaines pathologies sont provoquées par des mutations dans un gène unique, la plupart des maladies courantes ont à la fois une composante environnementale (nutrition, activité physique, etc.) et génétique – en témoignent les questions de nos médecins sur nos antécédents familiaux. Et qu'il s'agisse de diabète, d'asthme, de maladie d'Alzheimer, de cancers ou de maladies infectieuses, de multiples variations dans de multiples gènes interviennent.

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Des facteurs génétiques de prédisposition ou de protection

 

Certaines nous rendent plus vulnérables face à une maladie donnée – elles touchent des gènes "de prédisposition" – d'autres au contraire nous en protègent. Une mutation dans les gènes BRCA1 ou BRCA2 confère par exemple aux femmes qui la portent (2 sur 1 000) un risque de 40 à 80 % selon l'âge de développer un cancer du sein. Les rares individus porteurs d'une mutation du gène CCR5 sont eux résistants à l'infection par le virus du sida. D'autres gènes conditionnent la réponse aux traitements. Ainsi, 11 % des patients réagissent mal à une molécule, la mercaptopurine, utilisée pour traiter certaines leucémies. Chez eux, une activité réduite de l'enzyme TMPT freine l'élimination du médicament, induisant des effets très toxiques. Un test génétique est donc désormais recommandé aux États-Unis afin d'éviter ce traitement ou de rappliquer à très faibles doses chez ces patients.

 

Pour appréhender l'ampleur des recherches sur ces gènes de sensibilité aux maladies ou aux traitements et les perspectives médicales qui en découlent, il faut revenir sur la fantastique épopée scientifique qui a marqué le début du XXIe siècle.

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Naissance de la génomique

 

Tout a commencé par l'aboutissement d'un projet titanesque, qui dura 13 ans : le Projet Génome Humain. Achevé en 2003, il révélait l'intégralité du texte d'un ADN humain – sa  "séquence" – soit 3 milliards de lettres[1].

 

Il ouvrait l'ère de la génomique, rendant possible l'exploration des quelque 20 500 gènes contenus dans le génome humain, facilitée d'année en année par l'automatisation des techniques de séquençage et les progrès de la bio-informatique. Il a montré qu'il y a très peu de différences génétiques entre les individus ou les populations et pas de différences majeures entre groupes ethniques, abolissant définitivement le concept de race. Les génomes de deux individus pris au hasard dans la population mondiale ont en moyenne à peine 0,1 % de différences. Mais sur les trois milliards de lettres du texte de l'ADN, ce 0,1 % correspond tout de même à 3 millions de variations... dont bon nombre expliquent nos différences de vulnérabilité face aux maladies.

 

Nos différences génétiques cartographiées

 

Comment les étudier ? Dans la foulée du projet Génome Humain, un autre grand programme international – Hap-Map –, a dressé un catalogue des différences et des similarités génétiques entre individus. À partir des génomes de 270 individus d'origines africaine, asiatique et européenne, les variations génétiques les plus fréquentes (des changements ponctuels d'une lettre dans le texte de l'ADN, présents chez plus de 5 % des individus) ont été répertoriées. Trois millions de telles variations ont été cartographiées. Ces "balises" dans l'ADN ont permis de vastes études d'association sur des génomes entiers, portant chacune sur des centaines voire des milliers d'individus : les GWAS (genome-wide association studies). Schématiquement, un panel d'individus sains est comparé à un panel d'individus touchés par une maladie donnée, sur la base du catalogue Hap-Map : si certaines variations génomiques sont beaucoup plus fréquentes chez les malades, elles sont associées à la pathologie. En janvier 2012, plus de 1000 "GWAS" avaient été publiées, mettant en évidence plusieurs centaines de nouveaux facteurs génétiques de risque pour des maladies courantes : diabète, maladies cardio-vasculaires, maladies neuro-dégénératives (Alzheimer, Parkinson), cancers, maladies mentales comme la schizophrénie ou l'autisme (voir encadré), maladies infectieuses (hépatites B, C, sida, tuberculose…).

 

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Le projet "1000 génomes"

 

Ainsi, plus d'axes de recherche totalement inattendus et de pistes thérapeutiques nouvelles ont été identifiés depuis l'an 2000 qu'au cours du XXe siècle, et révolution de la génomique ne cesse d'apporter des outils toujours plus précis pour les recherches sur notre vulnérabilité aux maladies. Le projet "1000 génomes" lancé en 2008 vise désormais à fournir un grand nombre de séquences complètes de génomes humains à partir de toutes les populations du globe. Mais aussi à répertorier dans ces génomes des millions d'autres variations, dites "rares" (présentes chez moins de 0,5 % de la population), et divers "accidents" dans l'ADN qui n'ont pas à ce jour été cartographiés, comme de petites portions manquantes (délétions) ou surnuméraires (insertions). "Les chercheurs qui ont trouvé des régions du génome assoces à une maladie pourront regarder ces données et avoir un panorama presque complet des variations génétiques dans ces régions pouvant contribuer directement à la maladie", souligne un des auteurs du projet. À ce jour, 2 500 échantillons d'ADN provenant de 27 populations à travers le monde doivent être analysés.

 

Vers une médecine prédictive et personnalisée ?

 

Côté applications, la révolution médicale annoncée au début des années 2000, qui permettrait de prédire à chacun quelles maladies il risque de développer et de proposer des traitements à la carte en fonction du profil génétique, n'en est qu'à ses prémices. Mais pour beaucoup, il ne s'agit plus de savoir si elle surviendra, mais quand. Un des freins tient au fait que l'on s'attendait à découvrir quelques gènes majeurs associés aux maladies, et qu'on en a trouvé des dizaines, voire des centaines : en août dernier, une équipe internationale annonçait avoir découvert 29 nouveaux variants génétiques associés à la sclérose en plaques, s'ajoutant à 23 variants déjà connus... soit une cinquantaine identifiés pour cette seule maladie ! Il reste par ailleurs difficile d'évaluer parmi les gènes de "prédisposition" à une maladie lesquels sont les plus "prédictifs" d'un risque. Aussi, les sociétés qui proposent aujourd'hui sur Internet des tests génétiques révélant nos risques de maladies à partir d'un échantillon de salive sont-elles montrées du doigt pour leur manque de fiabilité... Au fil des avancées, une médecine prédictive plus fiable verra cependant le jour avec à la clé des mesures de prévention mieux ciblées. L'avancée des connaissances en pharmacogénomique, l'étude des facteurs génétiques individuels en jeu dans la réponse aux traitements, en plein développement, conduira parallèlement à l'essor de la médecine personnalisée : déjà, plusieurs traitements existent accompagnés de tests génétiques "compagnons", qui conditionnent leur utilisation chez un patient selon qu'il est "bon répondeur" ou bien à risque d'effets indésirables.

 

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1 000 dollars pour séquencer un génome

 

Un élément de taille est venu récemment conforter cette tendance à envisager une médecine du futur tenant compte du profil génétique du patient : la chute drastique des coûts du séquençage. Si en 2001 des centaines de millions de dollars étaient nécessaires pour obtenir la séquence génomique complète d'un individu, ce prix tombait à 50 000 dollars en 2009. En février 2011, une société américaine annonçait dans la revue scientifique Nature réduire ce coût à 1000 dollars. Le séquençage d'un génome serait bientôt à un prix si abordable qu'il pourrait être généralisé à tout un chacun. À quand notre séquence génomique dans notre carte Vitale ? Les questions éthiques et sociétales soulevées par cette perspective – la protection des données génétiques vis-à-vis des assurances ou des employeurs par exemple – deviennent urgentes à résoudre...

 

En attendant, chaque variation génétique associée à une maladie est une piste nouvelle pour les chercheurs. Il faut alors comprendre le mécanisme biologique dans lequel le gène impliqué intervient, trouver le moyen d'agir en conséquence pour traiter la maladie... La décennie précédente a fourni une avalanche de données génétiques associées aux maladies : seul le sommet de cet iceberg d'informations a été exploré. Son exploitation fournira sans doute bien des solutions inédites face aux maladies qui nous menacent.

 

Génomique et paludisme : vers de nouvelles pistes de recherche

 

Près d'un million de morts et 500 millions de cas par an, des traitements de moins en moins efficaces : le paludisme, un des premiers fléaux sanitaires de la planète, est une véritable urgence pour la recherche et l'étude des facteurs de sensibilité à cette infection apporte l'espoir de nouvelles voies d'investigation.

 

À l'Institut Pasteur, l'unité de Génétique fonctionnelle des maladies infectieuses, dirigée par Anavaj Sakuntabhai, avait déjà contribué à la découverte d'une mutation génétique conférant une résistance au paludisme chez 18 à 25 % des individus en Asie du Sud-Est, après une étude sur 3 500 personnes en Thaïlande. "Cette mutation est située dans un gène impliqué dans le stress oxydatif : ce phénomène intervient dans le vieillissement et la destruction des globules rouges, lieux de multiplication des parasites", explique Jean-François Bureau, un des chercheurs de l'unité.

 

Aujourd'hui, l'équipe pasteurienne lance une vaste étude de recherche de gènes associés à l'infection (GWAS[2]). Sa source : les échantillons d'ADN de plus d'un millier d'habitants des villages de Dieimo et de Ndiop au Sénégal – suivis depuis 1990 par l'Institut Pasteur de Dakar et l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) –, et de 600 personnes au Pérou. "Nous allons cibler nos recherches en définissant des sous-groupes dans ces populations exposées au paludisme : en fonction du nombre d'accès palustres, de leur sévérité, de l'âge – tes enfants étant les plus touchés , etc." précise Richard Paul, autre chercheur de l'équipe. "Grâce au suivi de ces habitants depuis 20 ans, nous disposons de quantité de données, parfois depuis la naissance. À chaque fois que nous découvrirons une mutation dans un gène, nous saurons ainsi à quel type de cas clinique elle est associée." Les premiers résultats devraient être disponibles dans un an.

 

Autisme : la part des gènes

 

Dès les années 70, des études chez les jumeaux mettaient en évidence une composante génétique dans l'autisme, trouble envahissant du développement qui touche un enfant sur 100. En 2003, les premiers gènes associés à des cas d'autisme et de syndrome d'Asperger (autisme avec langage et sans retard mental) étaient découverts à l'Institut Pasteur dans l'unité de Génétique humaine et Fonctions cognitives dirigée par Thomas Bourgeron. Aujourd'hui, plus de cent gènes sont associés à la maladie. Quelle part jouent-ils ?

 

"C'est très complexe", explique Thomas Bourgeron. "D'abord, il n'y a pas "un" autisme, mais un spectre de troubles autistiques, donc quantité de patients différents et autant de cas particuliers. Ensuite, l'impact de chaque gène diffère. Par exemple, la présence de mutations dans le gène SHANK3 que nous avons découvert signe quasiment toujours un autisme.

 

Ces cas-là sont "très génétiques". Chez d'autres patients, les mutations identifiées sur d'autres gènes n'expliquent pas à elles seules la maladie, qui relève probablement d'autres facteurs génétiques non identifiés et peut-être aussi de facteurs épigénétiques et environnementaux. Quoiqu'il en soit, ces gènes de vulnérabilité sont autant de pistes de recherche pour mieux comprendre les autismes." Dans le laboratoire de l'Institut Pasteur, généticiens côtoient neurobiologistes et psychiatres. Il ne s'agit pas seulement d'isoler des gènes associés à l'autisme mais de comprendre à quoi ils servent. "Pour définir la fonction de gènes récemment Impliqués, nous cultivons actuellement des neurones avec des cellules exprimant ces gènes mutés" explique Thomas Bourgeron. "Nos résultats préliminaires montrent des différences dans la taille des neurites, ces prolongements neuronaux pouvant donner de nouvelles connexions".

 

D'autres gènes impliqués interviennent dans le fonctionnement des points de communication entre les neurones, les synapses. Des images en 3D de cerveaux d'enfants autistes, reconstituées à partir d'IRM, sont aussi analysées en vue de relier d'éventuelles modifications aux mutations génétiques trouvées chez ces patients. C'est donc une cascade d'études qui découle des découvertes de gènes de vulnérabilité, avec à la clé l'espoir d'améliorer la prise en charge des enfants touchés.

 

Source : La lettre de l'Institut Pasteur, mai 2012.



[1] Le "texte génétique est un enchaînement de quatre "lettres – A, T, C, G – qui correspondent à l'enchaînement de quatre molécules dites bases ou nucléotides (Adénine, Thymine, Guanine, Cytosine) dans l'ADN

[2] Avec le Génopole d'Évry et le CEPH (Centre d'étude du polymorphisme humain).

Pacifique : un continent de déchets fait plus de six fois la France

7e continent_3Associated press.jpgPacifique : un continent de déchets fait plus de six fois la France

par Cécile Cassier

Journaliste Univers-nature

(dernier ajout le 2 septembre 2015)

 

Découvert en 1999 par le navigateur américain Charles Moore, ce qu’on appelle le « 7e continent » est un gigantesque amas de déchets, situé entre les côtes de Hawaï et l’Amérique du Nord. Ces millions de tonnes de plastiques s’amassent sur une superficie estimée à 3,4 millions de km² selon le Cniid (1), équivalant à plus de six fois la France. Ce "continent" s’est progressivement formé dans l’océan Pacifique Nord, récoltant et concentrant via les courants marins des déchets provenant d’Asie du sud-est et d’Amérique de l’Ouest. La catastrophe de Fukushima aurait contribué, à elle seule, à l’ajout de trois millions de tonnes de déchets.

 

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De par sa position dans les eaux internationales, lesquelles appartiennent à tous ou à personne au gré des nécessités, chacun se dédouane de ce problème qui ne cesse de grossir. Pourtant, l’impact sur l’environnement, et notamment la faune marine, est réel (contamination de la chaîne alimentaire etc.). Aussi, l’association OSL (Ocean Scientific Logistic) a mis sur pied une expédition, visant à évaluer l’impact de ce condensé de pollution. Afin de le sensibiliser, elle tiendra le public informé de ses recherches via un blog dédié (2). Seules deux expéditions scientifiques américaines se sont déjà rendues sur place, respectivement en 2006 et en 2009. Selon OSL, si rien n’est fait, dans 20 ans, ce continent sera aussi grand que l’Europe.

1- Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets.
2- Le blog est accessible à l’adresse suivante : www.septiemecontinent.com

Ajout du 3 mai 2014

 

On pourra également se reporter à l'article Les gyres, vortex de pollution dans les océans

par Frédérique Harrus publié le 02/05/2014 qui actualise l'information (vidéo)

 

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Ajout du 25 août 2014

 

Bien sûr, la situation n'est pas meilleure sinon pire pour la pollution chimique des océans depuis la révolution industrielle. Témoin cet article récent qui fait le point sur la pollution de la mer par le mercure.

 

Ajout du 25 août 2014 : Même l'Arctique est gagné par le plastique (Science & Vie  n° 1164, septembre 2014, p. 24)

 

En fondant, la banquise arctique pourrait libérer de leur prison de glace des quantités insoupçonnées de particules de plastique. C'est ce que craignent des chercheurs américains et anglais qui ont découvert pour la première fois la présence de microplastiques (moins de 5 mm de diamètre) dans des carottes de glaces prélevées en quatre points reculés de la région en 2005 et 2010. Les scientifiques ont inventorié entre 38 et 264 débris de polyéthylène, polypropylène, Nylon, etc., par mètre cube... soit près de 1 000 fois plus que dans la tristement célèbre "soupe de plastique" du Pacifique Nord.

 

Ajout du 2 septembre 2015 : Ces déchets de plastique qui envahissent les océans

Article de Sylvie Rouat (Sciences et Avenir, n° 823 septembre 2015, pp. 66-69)

 

Par milliards, des débris se concentrent dans les mers au gré des courants, formant une "plastisphère" polluante très intégrée à l'écosystème. L'éliminer est un casse-tête pour les spécialistes.

 

"Ce qui m'a surpris, c'est qu'on ne voyait rien. La soupe de plastique, brassée en profondeur était invisible. Comment montrer une catastrophe qui ne se voit pas", s'interroge Patrick Deixonne, navigateur-explorateur, au retour de la troisième expédition 7e Continent qu'il a menée du 15 mai au 15 juin 2015 dans le "gyre" de l'Atlantique Nord. Là, dans ce gigantesque tourbillon de la mer des Sargasses, se concentrent des milliards de débris de plastique. Sous l'effet de la force de Coriolis, trois courants y font converger les objets flottants. Jadis, les voiliers s'y retrouvaient entravés dans des agglomérats d'algues. Aujourd'hui, ce sont les déchets de plastique. Ce matériau chimique, peu biodégradable, se fragmente en infimes particules pour créer une "soupe", capable de résister à l'eau de mer et aux UV jusqu'à 1000 ans, et improprement baptisée le "7e continent". Le phénomène, connu depuis moins de quinze ans, se retrouve dans les cinq grands bassins océaniques du monde (Atlantique Nord et Sud, océan Indien, Pacifique Nord et Sud), les courants y emprisonnant les débris de plastique flottants de toutes tailles, depuis la microbille cosmétique jusqu'au bidon. L'étendue de ces gyres est immense : celui du Pacifique Nord couvre une superficie estimée à six fois celle de la France.

"En 2050, si rien ne change, la masse de plastiques dans l'océan sera supérieure à celle des poissons." Une phrase tirée du Rapport de la Fondation Ellen MacArthur, une association britannique caritative, présenté durant le forum économique mondial de Davos.

 

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Pour zoomer, cliquez sur la carte

 

Venus du continent grâce aux vents et cours d'eau

D'où viennent ces déchets ? À 80 % des continents : en 2015, 9,1 millions de tonnes de plastique devraient se retrouver dans la mer, drainés par les pluies et les vents, acheminés par les cours d'eau. En fonction de leur densité, certains coulent, d'autres flottent et sont entraînés par les vents et courants marins. "Aujourd'hui, on estime à 300 millions de tonnes la quantité de plastique dans les océans. Si l'on ne fait rien, il y en aura 155 millions de tonnes supplémentaires en 2025", alerte Patrick Deixonne.

 

Ce printemps 2015, le catamaran de 18 mètres de l'expédition 7e Continent a parcouru quelque 2 500 kilomètres dans le gyre de l'Atlantique Nord pour y faire des prélèvements. "C'était une mission risquée, raconte Patrick Deixonne. Nous étions dix, cantonnés dans un habitacle de 20 mètres carrés, à plus de 2000 kilomètres de toute côte, dans une mer houleuse avec des creux de5 mètres."

 

 

Les déchets intègrent peu à peu la chaîne alimentaire

Sur place, il s'agissait de quantifier et caractériser les macro-, micro- et nanodébris. Chaque trait de filet d'une demi-heure remontait en moyenne 250 pièces de plastique. Ce qui permet d'estimer "à environ 200 000 le nombre de débris par kilomètre carré, pour l'essentiel des particules de 2 millimètres de diamètre", explique Patrick Deixonne. Or ces dernières. brassées par les vagues et la houle échappent pour une grande part aux filets échantillonneurs, qui ne prélèvent que la couche supérieure de la colonne d'eau. "Nos estimations ne sont qu'une fourchette basse", constate le navigateur.

 

À bord du bateau et en laboratoire, les échantillons ont été soumis à l'étude au microscope infrarouge et par spectroscopie "pour savoir s'il existe une signature spécifique des plastiques invisibles", indique Alexandra Ter-Halle, chimiste à l'université de Toulouse. Cette nouvelle méthodologie sera appliquée aux autres gyres, qui seront étudiés dans les prochaines années. La route du bateau a aussi régulièrement croisé de gros déchets flottants. Les membres de l'équipage remontaient chaque jour qui une boîte de Nesquik, qui un bidon, etc. Un observateur posté sur le pont était chargé de les compter, deux heures durant. Soit, selon les premières extrapolations... quelques millions de tonnes ! Problème : ces macrodéchets interagissent avec le milieu marin. Ils fonctionnent en effet comme des DCP (dispositifs de concentration de poissons) — un système utilisé par les pêcheurs —, sous lesquels les poissons ont tendance à s'agglutiner. Quant aux micro- et nanoplastiques, ils s'intègrent peu à peu à la chaîne alimentaire : d'abord colonisés par des micro-organismes, ils sont ensuite assimilés au plancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine. L'ensemble finit par former la "plastisphère", un écosystème marin organisé avec et autour du plastique.

 

300 millions de tonnes : la quantité de plastique dans les océans, 455 millions de tonnes estimés en 2025

A priori, ce "plastiplancton" n'est pas dangereux pour les organismes qui l'ingèrent : "Leur système digestif évacue les constituants du plastique, qui sont des matières inertes, inassimilables", explique François Calgani, spécialiste des plastiques à l'Ifremer de Bastia. Cependant, une étude publiée dans la revue Environmental Toxicology and Chemistry (2012) montrait que des moules mises en présence de nanobilles en polystyrène manquaient d'appétit. L'impact n'est pas nul, donc, sur les organismes filtreurs. Il l'est encore moins quand il est dû à des micro- ou macrodéchets. D'abord parce que ceux-ci servent de véhicules pour 1a dissémination des espèces dans les océans. Ainsi, le tsunami de 2011, qui a lessivé des milliards de tonnes de déchets vers la mer, a entraîné la migration de quelque 120 espèces du Japon au Canada. Et avec elles, un grand nombre d'agents pathogènes pour les populations locales.

 

La plastisphère change les règles du jeu entre les différents organismes. Ainsi en va-t-il des Halobates sericeus, insectes marins qui marchent sur l'eau et pondent sur des objets flottants... a fortiori sur les débris de plastique. Dans un milieu où les ressources sont rares, la multiplication des lieux de ponte favorise leur développement, au détriment d'autres espèces. Et notamment des poissons, qui eux aussi déposent sur les plastiques leurs œufs, un mets de choix pour les halobates. Il y a trois ans, une étude menée par des chercheurs de l'université de Californie (États-Unis) avait établi que ces insectes proliféraient dans le gyre du Pacifique Nord. En 2015, la mission 7e Continent en a prélevé également de grandes quantités dans l'Atlantique Nord. Autres habitants privilégiés du septième continent, les méduses dont les jeunes polypes (premier stade de développement) colonisent volontiers les morceaux de plastique. Peut-être est-ce là la clé de leur prolifération ? "Ce qui est certain, c'est que les méduses mangent des poissons. Donc plusil y a de méduses, moins il y a de poissons", remarque Patrick Deixonne.

 

Enfin, les déchets qui contiennent du polyéthylène, soit la plupart des plasstiques deviennent poreux en se dégradant et absorbent les polluants persistants. Ils se muent ainsi en véritables "éponges" à métaux lourds. Que deviennent ces polluants ? Sont-ils rejetés dans l'environnement ? Sont-ils transférés aux algues, au plancton ? L'étude de la plastisphère ne fait que commencer. Et face à l'étendue du désastre, "il est urgent de comprendre avant d'envisager de nettoyer les mers", avertit Alexandra Ter-Halle. Car sous les plastiques, il y a la vie, une vie foisonnante à préserver.

 

 Les solutions pour s'en débarrasser

Parmi les actions envisageables, certaines relèvent de la fausse bonne idée, mais d'autres auraient une réelle efficacité.

Selon une étude publiée dans Science en 2015, les 192 pays côtiers de la planète ont produit 275 millions de tonnes de déchois plastique en 2010, dont 8 millions de tonnes ont été déversés dans les océans. Face à ce constat, que faire ?

 

Réduire la pollution à la source ?

Bannir tous les plastiques ? La solution est irréaliste. Sans film alimentaire, par exempmle, une grande quantité de nourriture serait jetée. Cependant, des mesures de restriction sont prises. En France, les sacs de caisse seront interdits en 2016 : un sac qui sert 20 minutes pollue en effet 450 ans...

 

Rendre le plastique biodégradable ?

Les plastiques biodégradables sont conçus pour se déliter dans des conditions spécifiques d'humidité, de chaleur et de microbiologie rarement atteintes dans la nature. Il existe un plastique dit oxofragmentable :un additif permet sa fragmentation. Fausse bonne idée, car il rend la pollution invisible. Les emballages compostables sont. eux, issus de produits naturels : pommes de terre, algues, maïs, déchets agroalimentaires. C'est l'option choisie par le Laboratoire d'ingénierie des matériaux de Bretagne (Limat B), qui utilise des déchets locaux associés à des bactéries marines pour produire des emballages à usage local. Une économie circulaire vertueuse.

 

Empêcher l'arrivée à la mer ?

Cela nécessite l'immobilisation générale à l'échelle d'un bassin versant, impliquant le nettoyage régulier des cours d'eau. L'équipe de l'ONG 7e Continent mène ainsi chaque année des opérations de nettoyage, la dernière ayant eu lieu dans la Seine, où ont été enlevés en moyenne 100 kilos de déchets tous les 100 mètres. "En France, les agences de l'eau financent des grilles de captation, mais c'est encore anecdotique", souligne Patrick Deixonne, de 7e Continent. Une application participative sera inaugurée en septembre ("Stop le plastique") pour permettre de photographier et localiser par GPS les lieux contaminés. Ces informations seront transmises aux services de collecte des déchets.

 

Ramasser les déchets ?

 Simple et efficace à court terme. Cette solution a été expérimentée à l'échelle d'un pays, le Liban, où, au lendemain de la guerre civile, les fonds marins étaient recouverts de plus d'un mètre de déchets. En août 1997, l'association Opération Big Blue lançait la première campagne de ramassage qui a réuni 40 000 personnes sur tout le littoral. Depuis, ce nettoyage est devenu annuel. Problème : tant que des plastiques seront relâchés dans la nature, il faudra les ramasser. Le cycle est sans fin, donc.

 

Piéger les déchets en mer ?

C'est le pari du Néerlandais Boyan Slat qui a imaginé une barrière souple de deux kilomètres de long, attachée aux fonds marins, qui arrête les déchets poussés par les courants. Ceux-ci se concentrent au milieu du dispositif, d'où ils sont extraits à partir d'une plate-forme. L'association The Ocean Cleanup a annoncé la mise en place d'un prototype en 2016 au large du Japon. Problème : ce système ne tient pas compte de la plastisphère et de la vie qui lui est associée. Et ne résout pas le problème des nanoparticules.

 

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 `voir aussi :

 

En 2050, il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans (Sciences et Avenir)
http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/pollution/20160122.OBS3208/en-2050-il-y-aura-plus-de-plastique-que-de-poissons-dans-les-oceans.html

Voilà comment des plaques de déchets se forment dans les océans (Maxisciences)
http://www.maxisciences.com/ocean/voila-comment-des-plaques-de-dechets-se-forment-dans-les-oceans_art35772.html

Le 7e continent de plastique: ces tourbillons de déchets dans les océans (Le Monde)
http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/09/le-7e-continent-de-plastique-ces-tourbillons-de-dechets-dans-les-oceans_1696072_3244.html

Bluebirds Marine Systems (le fabricant de SeaWax)
http://www.bluebird-electric.net/

L'Europe et la France vont-elles enfin interdire les sacs plastique? (Notre Planète)
http://www.notre-planete.info/actualites/3868-sacs-plasti...