20/05/2012
La Vipère Péliade : Vipera berus
La Péliade : Vipera berus
par Michel Cottet
herpétologue
La Péliade est une vipère au corps épais. Contrairement à celle de l'Aspic, la tête est moins distincte du cou et avec un museau arrondi. L’iris des yeux est orangé-rougeâtre à noirâtre et la pupille se présente en fente verticale. Les écailles dorsales sont carénées et la queue est très courte. La coloration dorsale peut être gris blanchâtre, argenté ou clair, ou encore jaunâtre, rougeâtre, cuivrée ou noire. La tête s'orne souvent d'un motif en "X" ou en "V" et d'une bande qui s'étend de chaque côté du bord externe de l'œil au cou. Toute la face dorsale porte une large bande en zigzag d'un brun très sombre ou d'un noir profond chez le mâle où elle ressort très nettement (brun plus clair ou chocolat et moins contrastée chez la femelle). De grandes taches sombres s'alignent sur les flancs. La face ventrale plus ou moins nettement finement tachetée est gris-brunâtre et l’extrémité du dessous de la queue est blanc jaunâtre à orange.
La queue est très courte
La couleur de la livrée est variable
Cliché F. Wendler
Dans les tourbières jurassiennes, la Péliade présente assez fréquemment une livrée entièrement noire en harmonie avec la couleur de la tourbe. Cette livrée mélanique apparaît avec l'âge, les jeunes à la naissance présentent la coloration et les ornementations décrites ci-dessus.
Péliade de tourbière à la livrée mélanique
cliché Michel Cottet
Longueur totale 55-60 cm, rarement jusqu'à 70, exceptionnellement jusqu'à 80 cm.
La Péliade a une aire de répartition importante, d’où son nom en anglais de « common adder = vipère commune », mais, en réalité les populations sont très dispersées et elle est en régression partout. Elle n’est présente que ponctuellement dans les biotopes qui lui restent favorables. On la trouve dans toute l'Europe du Nord et du Centre (sauf l'Irlande), ainsi qu'en Asie centrale jusqu'au fleuve Amour et à l'île de Sakhaline. En France, on la rencontre dans le Nord, en Bretagne et Normandie, dans une petite partie du Haut Doubs et du Haut Jura et dans le massif Central.
La Péliade aime les biotopes soumis à d'importants écarts de température pourvu que le taux d'humidité du sol et de l'air soit élevé. Elle fréquente les bords de chemin ensoleillés, broussailleux et herbeux, les lisières, bois clairs ou défrichés parsemés de souches et envahis de ronces et d'orties, les marécages tourbeux, les bosquets humides, les versants d'éboulis couverts de végétation. La Péliade vit de la plaine jusqu'à 3 000 m d'altitude en montagne.
La Péliade sort généralement de sa cachette très tôt le matin, alors qu'il fait encore froid et sombre. Elle rampe jusqu'à un endroit déterminé que le soleil atteint bientôt et se roule en galette ou en larges méandres. Dans les tourbières, elle affectionne le sommet aplati des touradons [1]. Dès que le soleil apparaît, la Péliade étale son corps le plus possible afin de capter le maximum de chaleur. Elle reste ainsi exposée jusqu'à ce que sa température interne atteigne environ 33°C, ce qui lui permet de disposer de toutes ses facultés. Elle se retire alors dans une cachette ombragée ou se met en quête de nourriture. En fin d'après-midi, elle cherche à nouveau un endroit exposé au soleil ou ayant emmagasiné de la chaleur, afin de se réchauffer à nouveau.
Péliade non mélanique (Bonnevaux, Doubs 09/06/2012)
Cliché Michel Cottet
La Péliade chasse le jour et au crépuscule. Elle est particulièrement active quand il fait chaud, lourd et orageux, ou après de longues périodes de mauvais temps. Par grand vent, elle demeure dans son abri.
Les péliades s'accouplent en avril-mai. L'accouplement peut avoir lieu à toute heure du jour, mais surtout le soir et la nuit. Une femelle est souvent courtisée par plusieurs mâles qui se livrent des combats symboliques, les "danses de vipères" : quand ils se rencontrent, ils rampent par à-coups dans la même direction se dressent côte à côte, s'enroulant souvent les uns sur les autres, Puis ils essaient de se pousser par l'avant du corps qui est dressé, glissent et retombent. Ils peuvent également se donner des coups de tête. Cette "danse" dure jusqu'à ce qu'un des mâles se sente inférieur et prenne la fuite.
Le mâle doit souvent faire longuement la cour à sa dame avant qu'elle accepte ses avances. Il rampe alors sur son dos, cherchant à la stimuler en lui maintenant la queue plaquée au sol et en sortant vivement la langue dans sa direction. Tout comme la parade nuptiale, l'accouplement peut durer des heures. Il ne peut pas être interrompu brusquement et deux vipères accouplées sont très embarrassées pour prendre la fuite en cas de danger. La durée de la gestation varie fortement selon la région et les conditions climatiques, elle peut excéder 5 mois. Les 10 à 14 vipéreaux, rarement jusqu'à 20, mesurent à la naissance entre 14 et 23 cm. Ils naissent enveloppés dans une membrane transparente dont ils se délivrent immédiatement ou presque. Après la parturition, la femelle est amaigrie et toute fripée.
La Péliade se retire en octobre sous une souche, dans un terrier ou sous des rochers à l’abri du gel pour hiverner. Les endroits confortables abritent souvent plusieurs vipères qui hivernent ensemble, ou en compagnie de lézards vivipares, d'orvets ou d'amphibiens. L'hibernation se termine en mars-avril, souvent avant que toute la neige ait totalement fondu, ce qui est le cas dans les tourbières du Haut-Doubs (altitude de 800 à 1200 m). Elle quitte alors son lieu d'hibernation pour se chauffer au soleil à l'abri du vent et capter le maximum de chaleur. Son mélanisme lui permet d'atteindre une température interne très supérieure à la température extérieure. Elle reste ainsi exposée et devient active quand sa température interne atteint environ 33°C.
La Péliade se nourrit essentiellement de rongeurs, mais selon les biotopes, elle peut aussi se nourrir de grenouilles rousses, ou encore de lézards vivipares ou de musaraignes. En général, elle chasse à l'affût, épiant les proies qui passent, mais elle arpente aussi les broussailles ou les terriers. Quand elle a repéré une souris, elle essaie de s'en approcher lentement. Après avoir mordu sa proie, elle la relâche généralement et attend que le venin agisse. Souvent la souris parcourt encore quelques mètres avant de mourir. La vipère reste alors un certain temps sur place, ouvre grand sa bouche pour replacer ses mâchoires qui sont très mobiles l'une par rapport à l'autre, agite vivement la langue, et se met à rechercher sa proie. Elle s'oriente pour cela exclusivement grâce à son odorat qui est très fin et par un organe particulier qui lui transmet des information olfactives captées par la langue. Une fois qu'elle a trouvé la trace, elle la suit rapidement. Elle avale généralement la proie la tête la première et la déglutition peut durer 10 à 15 minutes ou plus. Une vipère adulte peut avaler à la suite deux à trois souris. Pour faciliter la digestion, elle s'installe alors dans un endroit chaud.
L'un des grands ennemis de la Péliade est le Hérisson. Il n'est nullement immunisé contre le venin, mais ses aiguilles le protègent des morsures. La Péliade a bien d'autres prédateurs : putois, sangliers, ainsi que de nombreuses espèces d'oiseaux, telles que les corvidés, les rapaces nocturnes (chouettes...) et diurnes (épervier, buse, circaète...), les hérons et cigognes. Mais son pire ennemi est toujours l'Homme qui lui livre encore une chasse sans merci dans de nombreuses régions et qui détruit des biotopes en asséchant des marais ou en étendant ses cultures.
Les morsures de la Péliade sont rares et exceptionnellement mortelles, mais elles peuvent avoir des conséquences graves, provoquant des douleurs intenses et occasionnant parfois des séquelles qui mettent longtemps à se résorber totalement. Les morsures de vipère sont souvent liées à un comportement imprudent. Dans les régions où vivent les péliades, il faut éviter de marcher pieds nus et faire attention où l'on pose les pieds et les mains quand on ramasse des baies ou des champignons. En général, les péliades s'enfuient bien avant que l'Homme ne les remarque. Mais si on les surprend, elles s'enroulent sur elles-mêmes et mordent immédiatement.
Sources :
— Diesener G. & Reichholf J. (1986). — Les batraciens et les reptiles. 287 p. Éd. Solar.
[1] Mottes arrondies surélevées (40 à plus de 60 cm de haut) formées dans les tourbières ou zones humides paratourbeuses par la pousse annuelle de certaines graminées comme la Molinie.
15:06 Publié dans Herpétologie | Tags : vipère péliade, vipera berus, ophidiens de france, serpents, serpents venimeux | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
La Vipère Aspic Vipera aspis
La Vipère Aspic Vipera aspis
par Michel Cottet, herpétologue
(dernière mise à jour : 18 août 2016)
L'Aspic est un serpent de taille moyenne à tête triangulaire nettement distincte du cou.
L’iris des yeux est généralement de couleur jaune d’or à pupille verticale noire. Le museau est légèrement retroussé, les écailles carénées et la queue courte. La coloration est très variable, allant du gris clair, brun gris, jaunâtre, brun au rouge brique. La face dorsale est généralement ornée d'un motif composé de taches foncées alignées en deux rangs décalés. Mais on observe aussi des motifs en zigzag ou en ligne ondulée, entière ou interrompue ou/et fractionnée. Les flancs portent aussi des taches foncées, plus ou moins grandes et plus ou moins mates. La coloration ventrale, uniforme, va du jaunâtre gris au mauve jusqu’à noirâtre, parfois avec des minuscules ponctuations plus ou moins distinctes, Les mâles arborent des couleurs plus vives avec des motifs noirs plus larges et nettement plus contrastés ; ils sont légèrement plus grands que les femelles. Longueur totale adulte 65-85 cm.
Cliché Michel Cottet
Chez cette espèce, comme chez la Péliade, les individus mélaniques sont "relativement" fréquents en montagne ; nous avions déjà fait des observations dès 1976 en Autriche dans le massif des Totesgebirge, sur des sentiers en montagne, aux environs de 2000 m d'altitude lors d'expéditions spéléo. Des observations répétées de temps en temps, toujours en montagne. Je n'en ai vu qu'une seule fois dans le Haut Jura, au hameau de La Rageat à Lavans les St-Claude, en direction du Lac d'Antre.
Ci-dessous, un morphe mélanique, l'un des deux spécimens trouvés écrasés dans un parking au col de Pierre Carrée, (les Carroz d'Araches, Hte-Savoie) le 15 août 2016.
Vipera aspis mélanique écrasée
© Michel Cottet
Cliché Michel Cottet
L'Aspic est une espèce plutôt méridionale, répandue au nord-est de l'Espagne, presque sur toute la France à l'exception du nord-ouest, en Italie, Sicile, Elbe, Montecristo, Suisse et sud de la Forêt-Noire.
L'Aspic aime surtout les biotopes secs et ensoleillés. On le rencontre souvent dans les bosquets envahis par les broussailles, les lisières et sur les pentes rocailleuses.
L'Aspic quitte son abri très tôt le matin, alors qu'il fait encore frais. Il cherche une place au soleil et s'y installe, roulé en galette ou étalé en méandres souples. Avec une température externe de + 4 °C et une température corporelle d'environ 15 °C, l'Aspic arrive à atteindre en une heure sa température optimale, soit 29 °C.
Clichés Michel Cottet
L'Aspic chasse surtout des petits rongeurs, particulièrement des campagnols, et plus rarement des lézards et des oisillons.
L'Aspic découvre ses proies en restant posté immobile, à l’affût, ou encore en arpentant son territoire, inspectant également terriers et fentes rocheuses, Il mord une première fois, puis attend un certain temps que le venin agisse en paralysant la proie avant de se remettre à sa recherche. Il se fie pour cela à son odorat très fin. La proie est généralement avalée la tête la première.
Au début du printemps, à la sortie de l'hibernation et alors que l'air ne se réchauffe que lentement, les vipères passent souvent des heures étendues au soleil. Quand l'emplacement choisi devient trop chaud (l'Aspic supporte jusqu'à 37°C environ), la vipère se retire dans un lieu semi-ombragé ou dans sa cachette préférée, ou se met à parcourir son territoire. Quand la température ambiante est basse et lorsque la vipère traverse une grande zone ombragée, sa température interne baisse fortement. Elle cherche alors à s'exposer au soleil pour retrouver sa température optimale. L'été, la vipère doit souvent sortir de son trou avant le lever du soleil pour étancher sa soif. La température de son corps étant trop basse, elle rampe lentement et maladroitement dans la rosée.
L’Aspic est territorial, sédentaire et se déplace peu, migrant seulement de façon saisonnière au printemps en sortant d’hibernation, pour les accouplements, puis gagnant son territoire d’estive et enfin retournant à son lieu d’hivernation aux premiers froids (petite cavité naturelle, fissure abritée du gel, petite grotte, terrier abandonné…). Il est plus sensible au dérangement que la plupart des couleuvres ; il est de plus en plus rare et dans certains secteurs, menacé de disparition.
Les services rendus par sa consommation importante de campagnols ne sont pas assez connus des acteurs du monde rural et en particulier des agriculteurs qui souffrent des dégâts des rongeurs sur les prairies fournissant le fourrage indispensable aux élevages de bétail herbivore.
Cliché Michel Cottet
Les mâles sortent de l'hibernation dès le début du printemps, suivis quelque 10-15 jours plus tard par les femelles. En période de reproduction, les mâles déploient une grande activité avec des préliminaires et des combats rituels avant les accouplements ; ils circulent alors beaucoup, ne prenant pas ou peu de nourriture.
Quelque temps avant la mue - qui survient régulièrement et s'annonce par le ternissement des couleurs et l'opacification de l'œil -, la vipère s'abstient également de s'alimenter.
L'accouplement a lieu parfois dès fin février et surtout en mars-avril en Franche-Comté. Le cycle reproducteur de la femelle n'est pas encore connu avec précision, mais dans la majorité des régions les vipères s'accouplent chaque année. L’Aspic est ovovivipare. Les 4 à 15 vipéraux, longs de 18 cm environ, naissent en août-septembre. Les vipères Aspics connaissent souvent en septembre ou début octobre une nouvelle période d'accouplement, avec des rituels plus courts.
Cliché Michel Cottet
Femelles gravides © Michel Cottet 25/08/2013 Sancey le Grand (Doubs)
Femelles gravides © Michel Cottet 25/08/2013 Sancey le Grand (Doubs)
Source :
Diesener G. & Reichholf J. (1986) - Les batraciens et les reptiles. Ed. Solar.
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