06/09/2018
La face cachée du fret
La face cachée du fret
L'insoutenable pollution de l'air du transport maritime
Le transport maritime achemine plus de 90% des marchandises dans le monde et transporte plusieurs millions de personnes chaque année. Mais derrière l’image cultivée par les armateurs d'un mode de transport propre, se cache une réalité beaucoup plus nuancée. Gourmands en énergie, chacun de ces monstres flottants génèrent autant de pollution aux particules ultra-fines qu'un million de voitures. Peu connue du grand public, cette pollution porte atteinte à la santé des habitants des villes portuaires. À Marseille, France Nature Environnement, France Nature Environnement PACA et l'ONG allemande NABU ont mené l'enquête.
En Europe, la pollution de l'air du transport maritime est responsable de 60 000 morts par an, soit l'équivalent de la totalité des habitants de Valence, Troyes ou encore de la ville de Chambéry. Une dangereuse pollution, bien loin de l'image de transport propre véhiculée par les armateurs. Seulement, en France, aucune mesure de cette pollution n'est rendue publique. Pour rendre visible cette pollution invisible, France Nature Environnement, France Nature Environnement PACA et l'ONG allemande NABU ont décidé d'effectuer des mesures dans la ville de Marseille.
Particules ultra-fines : un air jusqu'à 70 fois plus pollué sur le navire
Pour évaluer la pollution générée par le transport maritime, nos équipes se sont réunies en 2015 puis en 2016 à Marseille. Première étape : évaluer la pollution « de fond de l'air ». Dans différents lieux de la ville, nous avons observé une moyenne de 5000 particules ultra-fines par centimètre cube. Puis nous nous sommes rapprochés du port. Dans un quartier résidentiel aux abords, l'air s'est avéré être jusqu’à 20 fois plus pollué avec une moyenne de 60 000 particules ultra-fines par centimètre cube. Le pire nous a attendu à bord du navire, où une équipe de l'émission Thalassa, accompagnant notre expédition en 2016, a vu le compteur s'affoler : l'air respiré par les croisiéristes et le personnel de bord contient jusqu'à 380 000 particules ultra-fines par centimètre cube, soit 70 fois plus de pollution.
Mais que sont ces « particules ultra-fines » ? Le terme englobe l’ensemble des composants solides de taille microscopique transportés par l’air. Quand les particules fines désignent des polluants dont la taille est inférieure à 10 et 2,5 microns (soit 0.01 et 0.0025 millimètres), les particules ultra-fines mesurent moins de... 100 nanomètres soit 0,01 microns ou encore 0.0001 millimètres. C'est environ la largeur de votre cheveu découpée en mille. Et plus la taille de ces particules est petite, plus elles s’infiltrent profondément dans les organismes et s'y accumulent, générant d'importants troubles de la santé.
Arrêtons d'user de fuel lourd, carburant extrêmement polluant
La raison majeure pour laquelle les navires polluent autant est l’utilisation du fuel lourd comme carburant. Même à quai, le transport maritime brûle ce déchet non raffiné, particulièrement polluant, afin d'alimenter en énergie les navires. Pour répondre aux exigences de réduction des pollutions, le gaz naturel liquéfié, aussi appelé GNL, est une alternative intéressante. Sa combustion réduit de 100% les émissions d'oxydes de soufre et des particules fines, de 80% des oxydes d’azote et de 20% du CO2 par rapport au fuel lourd traditionnel. Aujourd'hui, c'est le carburant carboné le plus efficace d’un point de vue environnemental. Certains armateurs ont déjà équipé leurs navires, un choix qui doit être pérennisé et généralisé.
De plus, ces navires brûlent aujourd'hui du carburant alors même qu'ils sont en stationnement, polluant alors l'air des riverains du port. Les systèmes d’alimentation électrique à quai permettraient d’éteindre leurs moteurs auxiliaires et ainsi d’utiliser le réseau électrique auquel le port est raccordé. Seuls les navires adaptés peuvent utiliser un tel système, qui est actuellement très peu répandu dans le monde. Des réglementations récentes prévoient un soutien de l’État pour la mise en place de systèmes d’alimentation électrique à quai dans les ports pour les navires ainsi qu’une échéance pour l'installation de ces bornes. Mais comme trop souvent, la mise en œuvre prend des retards…
Installons des épurateurs pour réduire les pollutions
De nombreuses études suggèrent qu’une réduction de plus de 90% des émissions d’oxydes de soufre est également possible grâce à l'utilisation d'épurateurs. Ce procédé neutralise une grande part des pollutions des gaz d’échappement à l’aide d’un fluide qui absorbe des oxydes de soufre. Les déchets produits sont stockés à bord et ensuite débarqués dans une installation de réception à terre. Cette mesure permettrait ainsi de mieux préserver les poumons des croisiéristes, du personnel de bord mais aussi des riverains et travailleurs du port.
Appliquons un bonus/malus portuaire afin d'impulser le changement
Les ports peuvent également fortement contribuer à une meilleure qualité de l'air en incitant les armateurs à changer leur pratique. Comment ? En instaurant un bonus/malus dans les tarifs des droits portuaires. Ainsi, les mauvais élèves seraient encouragés à investir afin de rendre leur navire plus respectueux des poumons de chacun. Une mesure déjà prévue par l'Europe dans le cadre de la « Stratégie transport maritime d’ici 2018 ». Seulement, sa mise en place tarde à venir. Il ne reste plus qu'à l'appliquer.
Le contrôle des émissions des navires, un outil indispensable
Enfin, comment être sûr d'un meilleur respect des règles sans contrôle ? Aujourd'hui, il existe seulement 5 aires géographiques dans le monde où des contrôles sont — trop rarement — effectués : la Manche, la zone mer Baltique et mer du Nord, l’Amérique du Nord et la zone maritime Caraïbe des États-Unis. Ces zones d’émission contrôlée (ECA) ou SECA (contrôle uniquement du soufre) sont issues d'une annexe de la convention internationale MARPOL qui fixe également des limites aux émissions d’oxydes d’azote (NOx) et d’oxydes de soufre (SOx). Seulement, même dans ces aires géographiques, sur 1 000 navires en transit, un seul est en moyenne contrôlé et s'il enfreint la loi, les amendes s'avèrent peu dissuasives.
France Nature Environnement appelle donc à la création de nouvelles zones de contrôle des émissions de soufre et notamment à l’extension de ces contrôles sur l’ensemble du littoral européen. Notre fédération milite également pour une meilleure information des citoyens dans la tenue de ces contrôles et pour une règlementation européenne qui harmonise la répression avec des amendes dissuasives.
Face à la pollution de l'air, réduisons les émissions de chaque acteur
En France, la pollution de l'air tue prématurément 48 000 personnes par an et coûte plus de 101 milliards d'euros. Un véritable fléau. France Nature Environnement milite depuis de nombreuses années pour que chaque acteur réduise ses émissions. Car en matière de pollution de l'air, celle qui nous affecte le plus, c'est celle qui se trouve à côté de nous. Si la pollution liée au transport maritime dégrade avant tout la santé des habitants des villes portuaires et des personnes présentes à bord des navires, d'autres citoyens sont touchés par la pollution du transport routier, de l'agriculture, de l'industrie, du chauffage… Un cocktail de pollution qui est insoluble sans un cocktail de solutions et une mobilisation de chaque acteur.
07:47 Publié dans Actualité des Sciences, Environnement-Écologie, Pollution | Tags : pollution maritime, navires pollueurs, fuel lourd, émissions d’oxydes de soufre, convention internationale marpol, france nature environnement, france nature environnement paca, nabu, thalassa, particules ultra-fines | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |