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10/12/2013

La Soufrière de Guadeloupe sondée par rayons cosmiques

soufriere_guadeloupe_juin 2008_logo.jpgLa Soufrière de Guadeloupe sondée par rayons cosmiques


par Nolwenn Lesparre[1], Dominique Gibert[2]

et Jacques Marteau[3]

(Pour la Science n° 434, décembre 2013 pp. 44-51)


Prévoir les éruptions volcaniques reste un défi pour les scientifiques. Une nouvelle méthode appliquée à la surveillance de la Soufrière de Guadeloupe : la radiographie par les muons cosmiques une solution qui permet de radiographier l'intérieur des volcans ?

 

(Pour la présentation de la Soufrière voir les articles La Soufrière de Guadeloupe et La Soufrière de Guadeloupe et ses séismes dans ce même blog)


 

Parmi les différents scénarios d'éruptions envisageables pour la Soufrière, on peut craindre un effondrement du dôme, une éruption phréatique ou une remontée de magma. Risque-t-on une explosion du type de celle de 1980 au Mont Saint-Helens, comme cela s'est déjà produit il y a quelque 3 000 ans ? Pour prévoir ces événements de façon fiable et suffisamment à l'avance pour évacuer les populations concernées, les volcanologues disposent de diverses méthodes pour ausculter le volcan et essayer de prévoir quand surviendra un tel événement et quelle en sera la violence. Une nouvelle méthode a été expérimentée à la Soufrière : la radiographie par les muons cosmiques.

 

Soufrière-450.jpg

La Soufrière de Guadeloupe

 

En quoi consiste la méthode ?


Elle n'est pas sans rappeler la radiographie aux rayons x. Ces derniers traversent l'organisme, sont plus ou moins absorbés par les tissus et les os qu'ils rencontrent sur leur passage, et nous donnent des images de l'intérieur du corps humain, liées à cette absorption variable. De même, les rayons cosmiques traversent la matière. Serait-il possible d'observer les entrailles des volcans au moyen de ces rayons cosmiques, plus ou moins absorbés par la matière qu'ils traversent ? L'idée fut proposée au milieu des années 1960 par l'équipe de Luis Alvarez (1911-1988), lauréat du prix Nobel de physique en 1968 : il suggéra d'utiliser les rayons cosmiques pour ausculter la grande pyramide de Khéphren et y rechercher la chambre de la Reine.

 

Découverts en 1912 par le physicien américain d'origine autrichienne Victor Hess, les rayons cosmiques arrivant sur Terre sont constitués d'une « pluie » de particules produites par les rayons cosmiques primaires qui bombardent l'atmosphère terrestre. Les particules produites dans ces «cascades» sont de natures variées : électrons et photons, entre autres, mais aussi muons. Le muon est une particule élémentaire qui a les mêmes propriétés que l'électron, si ce n'est qu'il est instable (sa durée de vie est égale à 2,2 microsecondes) et que sa masse est environ 200 fois supérieure (206,8 fois précisément). Les muons sont parfois surnommés électrons lourds. Ce sont ces muons qu'utilisa l'équipe d'Alvarez pour « voir » à travers les épaisses parois de la pyramide.

 

C'est au milieu des années 1990 que l'équipe japonaise de Kanetada Nagamine eut l'idée d'utiliser les muons cosmiques pour ausculter les volcans. Depuis, les détecteurs de particules ont été notablement améliorés, ce qui a conduit plusieurs équipes à s'intéresser à la radiographie des volcans à l'aide des muons. Avoir accès à de telles images permettrait de suivre l'évolution des entrailles des volcans et, par exemple, de détecter une remontée de magma ou l'apparition de poches de vapeur avant toute manifestation visible.

 

Parmi ces équipes, le groupe Diaphane réunit des géophysiciens et des physiciens des particules de l'Institut de physique du Globe de Paris, de l'Institut de physique nucléaire de Lyon et du laboratoire Géosciences Rennes. Cette équipe mène des expériences sur plusieurs volcans aux Philippines, sur l'Etna et aux Antilles, où elle s'intéresse surtout à la Soufrière, surveillée en permanence par l'équipe de l'Observatoire volcanologique de Guadeloupe.

 

Rappelons que ce volcan subit des éruptions phréatiques, c'est-à-dire l'expulsion violente de grands volumes d'eau sous forme de panaches de vapeur. L'accès du volcan est difficile car le sommet (1 467 mètres) est entouré d'une forêt tropicale dense jusqu'à 1 100 mètres d'altitude dans un relief abrupt. Les pluies tropicales abondantes sont accompagnées de fortes rafales, toutes conditions qui rendent la surveillance difficile. Dès lors, la tomographie par rayons cosmiques présente l'intérêt théorique de suivre les entrailles du volcan sans avoir à l'escalader. Restait à démontrer la faisabilité de la méthode et sa fiabilité.

 

Les muons, que nous avons déjà mentionnés, sont produits à une quinzaine de kilomètres d'altitude lors des collisions entre les rayons cosmiques primaires et les atomes de l'atmosphère. Les particules primaires résultent de phénomènes astrophysiques violents, telles les explosions d'étoiles en supernovae, au cours desquelles elles sont accélérées. Les plus énergétiques détectées à ce jour ont une énergie d'environ 3,2 x 1020 électronvolts, c'est-à-dire plus que les plombs d'une carabine à air comprimé !

 

Lorsqu'elles pénètrent dans l'atmosphère, ces particules heurtent les molécules d'air. Sous le choc, de nouvelles particules sont libérées et se désintègrent à leur tour. Une cascade de désintégrations conduit à une averse de particules, nommée gerbe atmosphérique. Certains observatoires – HESS2, en Namibie, ou l'Observatoire Pierre Auger, en Argentine – sont consacrés à l'étude de ces phénomènes.

 

Les muons représentent cinq pour cent des milliards de particules qui constituent une gerbe atmosphérique. Leur énergie est comprise entre quelques dizaines et quelques milliers de gigaélectronvolts. Ils se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière dans le vide, ce qui allonge considérablement leur durée de vie apparente grâce à des effets relativistes. Cela leur permet de traverser l'atmosphère et d'atteindre le sol. Aux énergies considérées, les muons interagissent essentiellement par ionisation des atomes de la matière qu'ils traversent.

 

Les muons que... presque rien n'arrête

 

La perte d'énergie est approximativement constante et d'environ deux mégaélectronvolts par centimètre d'eau traversée. L'atmosphère ayant une épaisseur équivalant à dix mètres d'eau, les muons perdent deux gigaélectronvolts pour parvenir jusqu'au sol.

 

Les muons ne s'arrêtent pas en touchant le sol. Ils traversent la matière, où ils perdent de l'énergie plus rapidement que dans l'air. Si leur énergie est suffisamment grande et l'obstacle pas trop dense, ils peuvent le traverser de part en part. Si la densité de l'obstacle est trop élevée, ils sont arrêtés. On retrouve ici le principe de la radiographie aux rayons x, et on peut l'appliquer à la radiographie (ou tomographie) de l'intérieur d'un volcan. On mesure l'atténuation du flux de muons cosmiques produite par le volcan. L'atténuation augmente avec la quantité de matière traversée ou plus précisément l'opacité, c'est-à-dire le produit de la densité moyenne par la longueur du trajet dans le volcan.

 

Radiographie-du-volcan-par-muons-450.jpg

Principe de la radiographie des montagnes par les muons

(Pour zoomer, cliquer sur l'image)

 

Le principe décrit, comment procède-t-on en pratique ? On dispose d'un détecteur de particules – également nommé télescope, car on observe des rayons cosmiques – placé au pied du volcan et qui enregistre un flux de muons. Le télescope utilisé à la Soufrière est robuste, résistant aux variations de température, insensible aux pluies tropicales et aux ouragans. Il est également léger et maniable, transportable par hélicoptère et déposé sur des pentes escarpées. Deux ou trois personnes peuvent l'installer. Un vérin hydraulique et une base rotative permettent de modifier l'orientation du télescope et de l'ajuster avec précision. Il est alimenté par des panneaux solaires, une éolienne ou une pile à combustion.

 

Détecteurs-du-télescope-450.jpg

Le détecteur de particules ou télescope

 

 Le télescope est équipé de barreaux scintillants arrangés en deux séries perpendiculaires, de façon à former un damier constituant une matrice. Un télescope comporte au minimum trois matrices de 256 pixels de 25 centimètres carrés permettant de détecter les muons provenant de 961 directions différentes. La résolution angulaire est adaptée en ajustant la distance entre les matrices.

 

Lorsqu'une particule chargée traverse un barreau, la matière est ionisée et émet des photons avant de revenir à son état initial. L'énergie perdue par l'ionisation d'un muon produit entre 15 000 et 20 000 photons ultraviolets. Une fibre optique, collée au cœur du scintillateur, capture une partie de ces photons et les guide vers un photomultiplicateur qui produit une impulsion électrique. Ainsi, les muons produisent des photons que le photomultiplicateur convertit en électrons, signal électrique amplifié et mis en forme par un système électronique adapté de l'expérience OPERA (dédiée à l'étude des particules élémentaires nommées neutrinos). Les horloges utilisées pour repérer le passage de chaque muon ont une précision de quelques dizaines de picosecondes. Un ordinateur central collecte les informations provenant des différentes matrices et, dans le cas de la Soufrière, les transmet à l'observatoire volcanologique situé à une dizaine de kilomètres du volcan. Cela permet de mesurer un flux de muons en temps réel et de détecter d'éventuelles variations dues à des changements de conditions à l'intérieur du massif.

 

Le flux de muons décroît quand l'opacité augmente, et la mesure de son atténuation reflète les variations de densité à l'intérieur de l'objet sondé. Pour modéliser les variations de densité dans le volcan, nous résolvons ce que l'on nomme un problème inverse, méthode qui nous permet de déduire l'opacité du volcan du flux de muons l'ayant traversé. La tomographie par analyse du flux de muons nous donne des images de densité avec une résolution d'une vingtaine de mètres.

 

Comment calibrer le détecteur

 

Toutefois, restent encore plusieurs difficultés à résoudre : comment calibrer le détecteur pour obtenir une image de résolution optimale ? Comment évaluer la durée minimale d'enregistrement des données? Et comment déduire du flux de muons enregistré les variations d'opacité du volcan ? D'abord, il est important d'estimer le flux de muons observables, afin d'ajuster la configuration du détecteur.

 

Mais le calcul du flux de muons traversant une montagne nécessite de connaître approximativement la répartition des densités dans cet objet. Pour ce faire, on utilise les connaissances accumulées au fil du temps par les géologues. Bien sûr, on ignore les détails de l'anatomie du volcan, mais l'activité de la Soufrière est suivie depuis longtemps, ses failles et sa cheminée ont été explorées par divers moyens, de sorte que l'on a une idée de la répartition des masses en son sein.

 

Partant de ces données obtenues par d'autres méthodes, on estime le flux en fonction de la position du télescope par rapport à l'objet, de son orientation et de sa configuration. On peut alors évaluer les épaisseurs de roche traversées par les muons pour chacun des angles de vue du télescope. Ces épaisseurs sont ensuite converties en opacité, caractéristique qui détermine le seuil d'énergie minimale nécessaire aux muons pour traverser l'objet sans être absorbés. Le flux de muons détectables correspond alors au flux de muons arrivant à la surface du volcan et dont l'énergie est suffisante pour qu'ils puissent en ressortir.

 

Les radiographies de la Soufrière

 

Qu'avons-nous observé ? De nombreux signes témoignent de l'activité actuelle du volcan : des fractures, des fumerolles, le lac d'acide du gouffre Tarissan et des zones altérées par le système hydrothermal. Nous avons installé notre télescope successivement en trois endroits à l'Est, au Sud et à l'Ouest du volcan. Le fait d'avoir plusieurs points de vue permet de valider l'analyse des données.

 

Les radiographies montrent des zones de très faible densité dans la partie supérieure du volcan ; elles sont associées à la zone active du cratère Sud (nommées rf2 et rs4) et indiquent la présence d'un réseau de cavités (voir le schéma ci-dessous). Elles révèlent aussi une région peu dense (rf4) à la base du dôme, pouvant correspondre à la présence de roches altérées par les fluides hydrothermaux. Les régions de densité plus élevées (par exemple rf1 et rf5) révèlent l'existence de roches non altérées, en particulier de l'andésite mise en place lors de la formation du dôme. Des régions de densités intermédiaires (rf3) correspondraient à des barrières rocheuses localisées entre les réservoirs hydrothermaux.

Densité-moyenne-de-la-Soufrière-450.jpg

 

Nos radiographies présentent une bonne résolution spatiale. Elles ont été comparées à des images obtenues à l'aide d'autres méthodes géophysiques : les différentes images révèlent des structures similaires à l'intérieur du volcan. Par exemple, une tomographie électrique avait été effectuée à travers le dôme, apportant des informations sur les structures superficielles. Ce type d'images est sensible à la présence de fluides conducteurs et révèle les passages où les fluides du système hydrothermal circulent. Cependant, la résolution spatiale de la méthode n'atteint pas celle de la tomographie par analyse du flux de muons.

 

Radiographie-de-la-Soufrière-par-muons-450.jpg

 

Après la réalisation de ces deux radiographies, le télescope est resté installé pendant plusieurs mois sur le même site. Durant ce suivi, nous avons enregistré une augmentation du flux de muons à travers certaines zones du volcan, où l'écran rocheux est tel que seuls les muons de haute énergie le traversent. Or, quand on fait la moyenne du flux de ces muons sur quelques jours, on constate qu'il est constant. Si l'on observe une augmentation du flux, c'est nécessairement que la densité du milieu a diminué.

 

En effet, la région concernée correspond à un site où des fumerolles présentent un regain d'activité. Par conséquent, il est possible qu'à la suite d'une réorganisation de la circulation des fluides à l'intérieur de l'édifice, les roches de la région étudiée se soient appauvries en eau. Cette observation, qui doit être confirmée par des mesures indépendantes, montre l'intérêt de la tomographie par muons pour la surveillance des volcans en continu.

 

Une surveillance en continu

 

Ainsi, l'installation d'un télescope sur les flancs de la Soufrière de Guadeloupe a permis de montrer qu'un détecteur adapté au milieu tropical fournit des radiographies intéressantes des entrailles du volcan. La méthode permet de distinguer les hétérogénéités à l'intérieur de l'édifice. Les nouvelles données accumulées devraient permettre de concevoir des modèles plus précis de l'évolution du volcan. Un suivi régulier de cette évolution devrait révéler les changements internes d'opacité. Géophysiciens et volcanologues pourront-ils alors prévoir d'éventuelles éruptions ? C'est bien sûr ce que nous espérons.

 

Cette expérience a été réalisée sur un volcan de type explosif, mais elle est aussi applicable à des volcans de type effusif, tel l'Etna. Quel que soit le type éruptif d'un volcan, il présente des structures internes plus ou moins denses liées à la présence de cavités, d'une colonne éruptive, de roches massives ou de cendres et de ponces... Nous l'avons souligné, le télescope utilisé à la Soufrière offre de nombreux avantages (résistant, manipulable, précis, etc.), et la méthode permet de tomographier à distance des volcans dangereux, par exemple la Soufrière Hills de Montserrat. Toutefois, la tomographie par muons présente un inconvénient : elle n'est pas applicable partout.

 

Cette technique est bien adaptée au dôme de la Soufrière, qui a un diamètre de l'ordre du kilomètre et dont les pentes sont abruptes. Le flux de muons est suffisant pour obtenir en un mois une série de données exploitables. En revanche, un volcan de type bouclier comme le Piton de la Fournaise, à la Réunion, est moins adapté, car sa base est large de plusieurs kilomètres et ses pentes sont plus douces.

 

Dès lors, le flux de muons est fortement atténué par l'épaisseur de la roche, et il faudrait recueillir les données durant plusieurs mois, voire quelques années, pour commencer à distinguer les structures internes. Lors de l'expérience que nous avons réalisée sur l'Etna, volcan culminant à 3 300 mètres d'altitude, nous avons dû limiter notre étude à l'un des cratères sommitaux, le cratère Sud-Est, dont les dimensions sont comparables à celles de la Soufrière de Guadeloupe.

 

La tomographie par muons serait-elle applicable à d'autres objets que les volcans ? Oui, à condition de pouvoir aligner le flux de muons cosmiques, l'objet et le détecteur. D'autres applications sont envisageables, et un télescope a récemment été installé dans le laboratoire souterrain de l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire, IRSN, à Tournemire, pour caractériser les roches présentes au-dessus des galeries.

 

De la Soufrière au suivi des nappes phréatiques

 

La méthode pourrait servir à caractériser le milieu recouvrant des sites de stockage géologique ou à évaluer des ressources minières. Les mesures effectuées en continu sur la Soufrière ont également montré la possibilité d'observer des variations de densité. La méthode permettrait aussi d'évaluer les dimensions de nappes phréatiques et de suivre leurs fluctuations, ou encore de surveiller les sites de stockage de dioxyde de carbone. Cette toute jeune méthode devrait trouver de nombreuses applications !

 

La Soufrière de Guadeloupe est un volcan actif, qui est déjà entré en éruption à diverses reprises. En radiographiant ses entrailles à l'aide de muons, pourrait-on mieux prévoir les risques potentiels ?

 

Pour en savoir plus :


N. Lesparre et al., Density muon radiography of La Soufrière of Guadeloupe : First results and comparison with other tomography methods, Geophys. J. Int., vol. 190, pp. 1008-1019, 2012.

J. Marteau et al., Muons tomography applied to geosciences and volcanology, Nucl. Instrum. Methods A, vol. 695, pp. 23-28, 2011.

N. Lesparre et al., Geophysical muon imaging : feasibility and limits, Geophys. J. Int., vol. 183, pp. 1348-1361, 2010.

J. Paul et J.-L. Robert-Ésil, Le roman des rayons cosmiques, Ellipses, 2009.

P. De Wever et al., Le volcanisme cause de mort et source de vie, Vuibert, 2003.

 

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Ouvrage de 248 pages aux Éditions universitaires européennes (9 novembre 2011)

ISBN-10: 3841780857 ISBN-13: 978-3841780850



[1] Nolwenn LESPARRE est géophysicienne à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, à Fontenay aux Roses. Elle a été lauréate du Prix Le Monde de la recherche universitaire 2012.

[2] Dominique GIBERT est géophysicien à l'Institut de physique du Globe de Paris et professeur à l'Université de Rennes 1. Il coordonne le projet DIAPHANE.

[3] Jacques MARTEAU est physicien des particules à l'Institut de Physique nucléaire de Lyon. Il a travaillé sur les expériences neutrinos OPÉRA et t2k.

03/07/2010

La Soufrière de Guadeloupe

La Soufrière de Guadeloupe avant, pendant et après l'éruption phréatique de 1976

 

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La Soufrière de Guadeloupe : séismes 1975-1977

Séismes associés à l'éruption phréatique de la Soufrière de Guadeloupe de 1976

 

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25/06/2010

La Soufrière de Montserrat

La Soufrière de Monserrat et les éruptions successives de 1995 à 2010

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23/06/2010

Éruption du volcan islandais Eyjafjöll

Islande_6689-logo.jpgÉruption du volcan islandais Eyjafjöll

 

par André Guyard

(dernière mise à jour 23/08/2014)

 

L'Islande est située au milieu de l'Atlantique sur la dorsale médio-océanique, à la divergence des plaques tectoniques  océaniques eurasiatique et américaine. Cette situation exceptionnelle en fait l'une des régions tectoniques les plus actives du monde avec  130 volcans et 600 sources d'eaux chaudes ! L'île se situe aussi au niveau d'un point chaud qui émerge entre deux plaques tectoniques. Ainsi, elle se trouve soumise à deux influences volcaniques superposées. (voir dans ce même blog : Islande, geysers et autres manifestations volcaniques.)

 

Qu'est-ce qu'un point chaud ? Il s'agit d'une anomalie thermique située dans les profondeurs du manteau terrestre, qui fait remonter du magma en surface. C'est ce qu'on appelle le panache profond dans le cas de l'Islande de 2900 km et qui remonte en surface déchirant la croûte terrestre. L'originalité du cas islandais, c'est que cette déchirure se produit justement là où les deux plaques nord-américaine et eurasiatique s'écartent au niveau de la dorsale médio-atlantique.

 

En juillet 2008, j'ai eu l'occasion d'arpenter ce beau pays avec les randonneurs de l'US Novillars : voir Islande, geysers et autres manifestations volcaniques dans ce même blog.

 

Profitant de la présence de ce chauffage central naturel, l'Islande exploite ses ressources géothermiques pour produire son électricité et alimenter son réseau de chaleur. Mais le volcanisme a souvent un revers : une nouvelle éruption fissurale à proximité du glacier Eyjafjallajökull inquiète les volcanologues.

 

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Situation du volcan Eyjafjöll

(cliché Google Earth)

 

Le volcan islandais Eyjafjöll (ou Eyafjalla) situé dans le sud de l'île, à seulement 160 km au sud-est de la capitale Reykjavik est un strato-volcan composé d'un empilement d'une alternance de couches de cendres, de lave et de roches éjectées par les éruptions antérieures. Il est entré en éruption dans la nuit du samedi 20 mars 2010. Recouvert par une calotte glaciaire : l'Eyjafjallajökull, ce volcan culmine à 1 666 mètres d'altitude.  Au cours des 1100 dernières années, le volcan ne s'est réveillé que trois fois, la dernière éruption de l'Eyjafjöll remontant à 1821. Elle avait alors duré plus d'un an.

 

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Cliché satellite. On voit l'émission du panache de fumée au sud de l'Islande

 

Précédée par toute une série de secousses sismiques sous le glacier Eyjafjallajökull, (près de 3000 entre le 3 et le 5 mars), la première phase éruptive fut effusive avec une lave de basalte à olivine d'origine profonde (25 km). Après un arrêt temporaire de la migration du magma vers 6 à 8 km de profondeur, le magma a émergé par une dizaine de fontaines de lave de style hawaïen, d'une hauteur d'une centaine de mètres, le long d'une fissure latérale au col de Fimmvördu.

 

Islande2.jpg
Connexions possibles entre Eyjafjöll et Katla
(document "Pour la Science - juin 2010)
 

Le volcan est entré le 14 avril dans une deuxième phase explosive caractérisée cette fois par un magma acide, de type trachyandésitique résultant d'un mélange de basalte à olivine et de dacites plus superficielles. Ce mélange serait ensuite remonté dans le cratère historique de l'Eyjafjöll. Le contact de la lave à plus de 1000 °C et de la glace a provoqué des explosions et l'émission jusquà 11 000 m d'altitude d'immenses volutes de vapeur d'eau et de gaz chargés de poussières magmatiques. qu'on appelle téphras. C'est la confluence de deux anticyclones, l'un positionné entre Terre Neuve et l'Islande et l'autre localisé sur l'Europe occidentale qui a entraîné lles masses d'air dans le sens des aiguilles d'une montre. Poussé par ces vents, le panache s'est dirigé vers l'Europe.

 

Le caractère explosif d'un volcan est lié au dégazage et à la viscosité du magma trachyandésitique. Quand le magma monte dans le cheminée du volcan, le mélange de gaz et de magma se dilate, ce qui accélère son ascension, accroît la pression jusqu'à faire passer l'éruption en régime explosif. Dans le cas de l'Eyjafjöll, les explosions sont dues à la fois à la nature acide du magma que la présence de silice rend visqueux et au contact magma-glace.

Géologie_Volcan sous-glaciaire-1.jpg

Schéma de l'éruption d'un volcan sous-glaciaire

 

 

Volcan Eyjafjöll-1.jpg
Image infrarouge du glacier Eyjafjallajökull qui cache le volcan
Photo © : NASA/JPL/EO-1 Mission/GSFC/Ashley Davies

Le samedi 17 avril 2010 , l'instrument ALI du satellite EO-1 a pris une image infrarouge du glacier islandais Eyjafjallajökull qui cache le volcan (image ci-dessus). Un léger nuage surmonte le glacier.

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La chaleur a permis au volcan Eyjafjöll de perforer la chappe de glace qui le recouvrait
 
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La glace surchauffée se sublime en vapeur d'eau

 

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Les cendres émises se mêlent à la vapeur d'eau

 

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Le nuage de cendres et de vapeur d'eau s'élève à haute altitude
 
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Le magma est arrivé en surface
 

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Soumise à une pluie de cendres et de bombes,

la surface du glacier a changé de couleur

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La nuit, le spectacle est de toute beauté

 

Afin de protéger les populations, 600 personnes demeurant entre la localité agricole de Hvolsvollur et le village de pêcheurs de Vik ont été évacuées hâtivement.

 

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Quelques villages sont menacés

 

Les risques encourus sont multiples :

* projections de cendres et de lave pouvant affecter notamment le transport aérien (voir plus bas),

* émanations gazeuses mortelles (notamment pour le bétail),

* inondations brutales et importantes, conséquence de la fonte du glacier qui recouvre le volcan.

Ce dernier risque, de loin le plus inquiétant, est un lahar ou jökulhlaup en islandais, ce qui signifie "course de glacier". La fonte du glacier sous l'effet de la chaleur engendre une coulée de matériaux volcaniques (débris, boue). On parle alors de lahars syno-éruptifs appelés aussi lahars primaires ou lahars chauds. On se rappelle que la formation d'un lahar suite à l'éruption du volcan Nevado del Ruiz en 1985 dans la Cordillère des Andes avait entraîné la mort de 25 000 personnes. C'est pourquoi, un état d'urgence a été déclaré dans la zone, même si aucun blessé ou dégât n'est à déplorer.

 

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Le nuage de cendres

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Photos du volcan Eyjafjöll prise le samedi 17 avril 2010

En haut, une photo en infrarouge.

En bas, une photo du volcan tel qu'il est visible depuis le ciel.

(Crédit photo : © Nasa)

 

On distingue sur ces clichés le nuage de cendres, au centre, la neige des glaciers (en blanc en bas et en violet en haut) ainsi que les dépôts de cendres, visibles en gris en haut. Ces cendres sont chargées électriquement, ce qui entraînent la formation de nombreux éclairs au-dessus du volcan.

 

Mais ce qui inquiète les Européens, c'est ce nuage de cendres volcaniques, poussé par les vents d'Ouest qui se répand sur l'Europe entraînant la suspension des vols à partir et en direction de nombreux aéroports.

 

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Le nuage de cendres volcaniques (en noir) dérive vers le Royaume-Uni
(Image: EUMETSAT)
 

Le réveil du volcan Katla suscite l'inquiétude

 

Pour le moment, les volcanologues sont prudents car cette petite éruption fissurale, qui ne montre aucun signe d'affaiblissement, pourrait déclencher celle du volcan voisin, le Katla. Dix fois plus important que l'Eyjafjöll, il a la réputation d'être un des volcans les plus dangereux d'Islande. Caché sous le glacier Myrdalsjökull dans le Sud de l'île, le Katla est entré pour la dernière fois en éruption en 1918. Une éruption du volcan Katla et le contact du magma avec la glace déclencherait une éruption explosive qui émettrait un énorme nuage de cendres et surtout une débâcle glaciaire, c'est-à-dire un gigantesque lahar. Ce déferlement d'eau, de glace et de boue représente un risque majeur car une population relativement dense vit à ses pieds.

 

Islande.jpg
Eyjafjöll et Katla sont situés en dehors de la divergence des plaques
(document "Pour la Science - juin 2010)

 

Comment les cendres volcaniques menacent les aéronefs

 

Parce que les nuages de cendres sont secs, ils sont invisibles sur les radars météorologiques.

 

Pour comprendre le risque, rappelons-nous de la mésaventure d'un Boeing 747 de la British Airways survenue le 24 juin 1982. Le Boeing 747 avait décollé de Londres pour Auckland (Nouvelle-Zélande). L'équipage ignorait que le volcan Mount Galunggung à l'ouest de Java (Indonésie) était entré en éruption et crachait des cendres à son altitude de vol.

 

Quelque part au sud de Java à 1 h 40, heure locale, l'équipage remarqua que le verre des fenêtres du poste de pilotage devenait brillant, phénomène aussitôt suivi par une lueur au niveau des moteurs et une odeur de gaz sulfureux envahissant la cabine. En quelques minutes, les quatre moteurs furent coupés et le jumbo-jet dut parcourir en planeur 11 kilomètres au-dessus de l'océan. À l'altitude de 4 kilomètres, cependant, certains des moteurs purent être remis en marche et l'avion atterrit en toute sécurité à Jakarta.

 

Comme nous l'avons dit plus haut, les cendres volcaniques ou téphras se composent de particules de roche pulvérisée vitreuse de diamètre inférieur à 2 millimètres et extrêmement corrosives. Quand un avion vole en altitude à sa vitesse de croisière, les fenêtres du poste de pilotage subissent un jet de téphras, obscurcissant la vue des pilotes. Les moteurs aspirent la poussière qui fond dans la chambre de combustion et ce magma se dépose sur les aubes de turbine bloquant ainsi le flux d'air du moteur, s'immisçant également dans les tubulures. Heureusement quand le magma se refroidit et se solidifie alors que l'avion plonge en planeur, il arrive qu'il se détache et permette un redémarrage du moteur.

En outre, le nuage chargé de cendres est appauvri en oxygène. Si un aéronef le traverse, la combustion du kérosène s'en trouve gênée et le rendement des réacteurs minoré pouvant aller jusqu'à l'extinction.

 

En ce qui concerne le Eyjafjöll, tant que le risque lié au nuage de cendres volcaniques a subsisté, les transports aériens de l'Europe du Nord, y compris la moitié nord de la France et la Suisse ont été suspendus.

 

Remarque (11/06/2011) : une décision justifiée par des études en laboratoire

 

En fait, la décision de bloquer au sol les avions pendant l'éruption du volcan islandais était la bonne, affirme le département de chimie de l'université de Copenhague (Danemark). Les cendres émises pouvaient bel et bien perturber les moteurs, selon les essais réalisés en laboratoire.

Une étude publiée dans les Pnas a montré que les cendres de l'Eyjafjoll étaient abrasives et le sont restées durant plusieurs semaines. D'une taille variant d'une dizaine de nanomètres au millimètre près du volcan, les particules, associées à de la vapeur d'eau, étaient composées d'andésite, de cristaux de plagioclases (silicates), de pyroxènes et d'olivine. Les risques pour les avions étaient multiples : abrasion du pare-brise, vitrification sur certaines parties des réacteurs.

Les chercheurs annoncent par ailleurs dans les Pnas avoir mis au point une méthode pour déterminer en 24 heures la dangerosité des cendres.

 

Remarque (24/05/2011) : Peut-on protéger les avions des cendres volcaniques ?

 

L'éruption de l'Eyjafjöll, en avril 2010, a projeté dans l'atmosphère une grande quantité de cendres, ce qui a paralysé le trafic aérien en Europe. Un peu plus d'un an après, un autre volcan sous-glaciaire islandais, le Grimsvötn, est entré en éruption projetant également un panache de cendres qui a atteint 20.000 mètres de hauteur le samedi 21 mai 2011, premier jour de l'éruption.

 

En quelques, jour, le panache de cendres dégagé par le Grimsvötn s'est réduit aux alentours de 2000 mètres de hauteur et l'éruption pourrait prendre fin avant la fin du mois de mai.

 

Le trafic aérien a été perturbé en Islande et dans les Îles britanniques.

Le risque couru par les aéronefs est dû au fait que les cendres sont susceptibles de fondre dans les réacteurs des avions, et dégradent les céramiques isolantes.

 

La céramique utilisée en aéronautique est composée d'un mélange d'oxydes de zirconium (ZrO2) et d'yttrium (Y2O3) ; elle isole le réacteur des pièces situées à proximité. Sa structure poreuse la rend flexible : elle peut se déformer sans se rompre lors des changements de température.

 

Nitin Padture, de l'Université de l'Ohio et ses collègues américains et russes ont étudié son comportement quand elle est chauffée à 1200 °C en présence des cendres, riches en silice, prélevées sur l'Eyjafjöll. Ils ont montré que les cendres fondent et constituent une phase vitreuse peu visqueuse qui pénètre dans les pores. En refroidissant, la silice durcit, diminuant la flexibilité de la céramique, qui risque de se détacher du réacteur. Les chercheurs ont mis au point une nouvelle céramique d'oxyde de zirconium et de gadolinium (Gd2Zr2O7), imperméable aux cendres fondues dès que son épaisseur est supérieure à dix micromètres. À haute température, cette céramique réagit partiellement avec les cendres et forme de petits cristaux qui colmatent l'entrée des pores. Ainsi, la silice vitreuse ne pénètre plus profondément dans la céramique, et le matériau conserve à peu près sa structure et ses propriétés isolantes.

 

Ces nouveaux matériaux doivent encore subir des tests pour que l'on sache s'ils conservent leurs propriétés après plusieurs cycles d'élévation de la température. Les avions devraient pouvoir alors voler à travers des nuages de cendres volcaniques.

 

Source : J. Drexler et al., Advanced Materials, en ligne, 8 avril 2011

 

Le système AVOID (6 novembre 2013)

 

Grâce à ce système mis au point par des chercheurs norvégiens, les avions ne seront plus bloqués par les volcans. Pour éviter que les avions restent cloués au sol par les panaches de cendres, des chercheurs norvégiens associés à une compagnie aérienne ont développé le système AVOID. Ce système va permettre aux avions de déceler ces infimes particules à une centaine de kilomètres de distance. Assez loin pour pouvoir adapter leur plan de vol ! Son efficacité a été testée avec succès en octobre 2013. Ce dispositif exploite la loi de Planck, qui lie la température d'un corps à son rayonnement : un nuage de cendres étant plus chaud qu'un cumulonimbus, par exemple, il n'émet pas les mêmes ondes, ce qui permet de le repérer. Captées à l'aide de deux caméras thermiques à infrarouge fixées sur l'avion, les données sont transmises en temps réel à l'ordinateur de bord ainsi qu'au centre de contrôle aérien. Des cartes de dispersion des cendres sont ainsi établies. Encore au stade de développement, le système intéresse déjà de nombreuses compagnies aériennes. Easy Jet envisage de l'intégrer dès 2015 sur une dizaine d'appareils.

 

Surveillance des panaches de cendres volcaniques (octobre 2011)

 

L'éruption de l'Eyjafjoll a entraîné une longue et très coûteuse fermeture de l'espace aérien. Pour éviter que cette situation de crise ne se reproduise, experts, chercheurs et météorologues des VAAC (Volcanic Ashes Advisory Centers) unissent désormais davantage leurs efforts et leurs moyens pour prédire l'avancée des panaches de cendres. En combinant étude directe et détection par satellites, photomètres et lidars (télédétection par laser), parfois transformés pour l'occasion, ils cumulent des informations sur la composition, l'altitude ou la densité des cendres et obtiennent en quelques heures des cartes prévisionnelles fiables du trajet de ces nuages afin de renseigner au plus vite les compagnies aériennes. Un travail qui reste cependant difficile compte tenu des incertitudes naturelles (caprices du volcan, conditions météorologiques, etc.) mais aussi en raison de l'absence d'un réseau d'observation européen spécifique.

 

1. Par une étude directe

 

Échantillonnage des cendres au sol ou dans le nuage, par avion (ATR 42 M55 Geophysica) pour connaître leurs propriétés microphysiques (granulométrie, forme...) et leur composition chimique.

 

2. Au sol

 

Surveillance de l'atmosphère via des réseaux de radars, lidars, interféromètres, photomètres... Ces derniers mesurent l'intensité de la lumière qui leur parvient du Soleil, plus basse en présence de cendres, permettant d'évaluer l'épaisseur du nuage. Ces mesures sont rendues difficiles en présence de pollution.

 

3. Par satellites

 

Utilisation de radiomètres, interféromètres, lidars, etc., embarqués dans des satellites d'observation de l'atmosphère (Parasol, Calipso, Météosat, Envisat, Metop, Terra, Aqua...) pour déterminer la surface, l'altitude, l'épaisseur du nuage et certaines de ses caractéristiques.

 

4. Par avion

 

16 avril 2010 : le CEA à Saclay détecte des cendres de l'Eyjafjoll au nord de la France puis à 6 km au-dessus de Paris. Afin de pouvoir renseigner les compagnies aériennes, il embarque un lidar dans un avion Falcon 20 de l'unité Satire (CNRS, Cnes, Météo-France). Cet appareil, aussi utilisé au sol ou par satellite, émet un faisceau laser vers l'atmosphère et analyse la lumière qui lui revient. En dépolarisant cette lumière, les cendres signent leur présence dans l'atmophère.

 

Source : Marion Sabourdy, Sciences et Avenir, n° 776, octobre 2011, p. 16-17.

 

Destin des cendres

 

 Que vont devenir ces cendres ? Soumises aux pluies et aux vents, elles ont rejoint les couches basses de la troposphère et se sont fondus dans la masse des polluants urbains et industriels.

 

À la suite de l'éruption de l'Eyjafjöll, un groupe de travail international dirigé par l'Autorité de l'Aviation Civile (CAA) du Royaume-Uni a défini trois zones pour le trafic aérien.

- Zone 1, moins de 0,2 mg de cendres par m3 d'aire : aucune restriction de vol.

- Zone 2, concentration comprise entre 0,2 et 2 mg par m3 d'air : les vols sont possibles, mais les contrôles de maintenance et d'inspection des appareils sont renforcés.

- Zone 3 : concentration supérieure à 2 m par m3 d'air : les vols sont interdits.

Selon la météo, des vols de durée limitée peuvent cependant être autorisés jusqu'à 4 mg par la CAA.

 

Comment la vie peut reprendre le dessus

 

Ce problème rejoint celui des biotopes soumis aux incendies. Après incendie ou éruption volcanique, la biodiversité se recompose grâce aux espèces opportunistes. Sur la terre carbonisée, les quelques espèces survivantes, mais surtout celles qui vivaient en lisière profitent de la situation pour recoloniser le milieu. Et cela rapidement. L'ampleur et la rapidité de la recolonisation dépendent de l'intensité de la brûlure, du lieu et du moment de la catastrophe, ainsi que des espèces présentes sur et autour du site anéanti.

 

Sur le lieu-même de la catastrophe, la nature transforme un sol devenu invivable en un support capable à nouveau d'accueillir la vie en quelques années et la recolonisation s'enclenche avec la dispersion de nouvelles espèces venues de l'extérieur. Ce processus dépend tout de même de certaines conditions. Le lieu de la zone à recoloniser et sa distance par rapport aux différentes populations sources susceptibles de le conquérir sont deux éléments primordiaux. Plus il est aisé et rapide de coloniser un territoire, plus le nombre d'espèces qui l'envahiront sera important.

 

Un bel exemple de cette recolonisation est donné par l'île Surtsey apparue au sud-ouest de l'Islande entre 1963 et 1967.

 

Sur cette île volcanique sortie stérile de l'océan, entre 1963 et 1967, seules les graines capables d'être transportées par les flots ou par les vents parvinrent à s'installer. Puis des oiseaux nichèrent sur l'île et apportèrent avec eux quantités de nouvelles espèces végétales mais aussi animales. Quarante-cinq ans plus tard, on compte 91 espèces d'oiseaux, 354 espèces d'invertébrés et 69 espèces de plantes !

 

C'est probablement au mont Saint-Helens, dans le Nord-Ouest des États-Unis, que ces processus ont été les plus étudiés. Aujourd'hui, une forêt de conifères entoure les pieds de ce jeune volcan et sur ses flancs s'étalent des prairies vertes. Pourtant, en mai 1980, l'éruption du volcan transforma plus de 500 km2 de vie exubérante en un désert de cendre et de désolation.

 

"Au mont Saint-Helens, la recolonisation de la vie a surpris tout le monde par sa vitesse et par ses mécanismes", confie Virginia Dale, qui fait partie des premiers écologues américains à s'être rendus sur place, puis à effectuer un suivi de la nature autour du volcan.

Un des résultats les plus étonnants de ce suivi a révélé l'importance des espèces survivantes. De fait, malgré les coulées de lave et les tonnes de poussières ardentes, des poches de vie ont survécu dans certains endroits, autorisant la mise en route de la première phase de la recolonisation via l'expansion d'espèces existantes. Un phénomène que l'on retrouve dans la plupart des incendies et des éruptions volcaniques, mais de façon plus ou moins marquée.

 

Chez les végétaux, les graines les plus légères et les spores de fougères ou de mousses débarquées par le vent représentaient les premiers colons, Les graines ont aussi été transportées par les animaux. C'est ainsi qu'en l'espace de neuf ans, la végétation autour de ce jeune volcan recouvrait déjà environ 10 % des territoires qu'elle occupait autrefois. Aujourd'hui, les chercheurs estiment qu'elle recouvre environ 80 % des zones, avec toutefois de grandes disparités selon les endroits.

 

Pour le mont Saint-Helens, on peut dire que la nature établie autour du volcan a eu de la chance ce 18 mai 1980 : il restait une couverture neigeuse suffisamment importante pour protéger quelques espèces des éjections incandescentes. Et ces endroits furent ensuite de véritables îlots de végétation d'où la nature puisa la force de reconquérir le terrain perdu.

 

Par ailleurs, certains animaux migrateurs n'étaient pas sur les lieux au moment de l'éruption, comme les saumons dont certains sont revenus l'été suivant. Tandis que d'autres animaux étaient encore bien enfouis dans leur terrier, notamment les rongeurs. Sur les 32 espèces de petits mammifères connus pour vivre autour du volcan, 14 ont ainsi survécu. De même que plusieurs végétaux dont la germination n'avait pas encore eu lieu, comme les lupins. Ces pionnières végétales ont joué un rôle déterminant car elles ont l'avantage de fixer et retenir l'azote, ce qui permet de fertiliser les sols. Et donc de faciliter l'installation d'autres plantes.

 

De fait, l'état du sol à la suite d'une catastrophe de ce type constitue un des freins majeurs au retour des végétaux. Après avoir grillé à plus de 300 °C, les cellules des organismes du sol et des végétaux sont détruites, les nutriments brûlés. Et la terre devient stérile. Elle ne retrouvera sa capacité d'accueil que grâce aux apports des zones voisines moins touchées. Les plantes survivantes jouent ici un rôle clé en fournissant une matière organique capable d'accueillir d'autres espèces.

 

Toutefois, les plantes survivantes ne sont pas les seules à restaurer la fertilité des terres brûlées. Les nuages de cendre alimentent aussi le sol en minéraux, ainsi que les pluies, les fientes d'oiseaux ou encore le bois mort. Enfin, les "pluies d'insectes" ont également un rôle important, dans des proportions plus ou moins grandes selon la richesse et la distance de la source d'insectes. Durant l'été, de nombreux juvéniles d'insectes et d'araignées se disséminent par la voie des airs. C'est l'essaimage aérien. Sur chaque hectare autour du volcan, environ 90 kg d'insectes sont ainsi déposés durant les quatre mois d'été, d'après les estimations des scientifiques ! Or en plus d'apporter la vie et d'amorcer une chaîne alimentaire, ces insectes dont beaucoup meurent rapidement, alimentent également le sol en matière organique (matière carbonée issue des êtres vivants et composée essentiellement de carbone et d'eau mais aussi d'oxygène, d'hydrogène, d'azote, de phosphore, etc.).

 

Quelques photos magnifiques sur l'éruption

 

Voir également : les volcans d'Islande (Vu du Ciel France 3)

 

Ajout du 23/08/2014

 

Été 2014 : le Bardarbunga, situé sous le plus grand glacier d'Islande et dont l'altitude dépasse 2 000 mètres, est entré en activité le samedi 16 août. voir l'article : un volcan islandais menaçant

 

Sources bibliographiques :

 

Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand

Detay M. (2010) - L'Eyjafjöll, radiographie d'un volcan qui a du panache. Pour la Science, n° 392 - juin 2010, 70-76.

Incendies : la biodiversité se recompose avec opportunisme. Science & Vie, n° 1114, juillet 2010. pp 58-61.