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08/05/2019

Habiter la terre autrement

Habiter la terre autrement

un ouvrage de Michel Magny

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                                     Image Pixabay

Il est grand temps que l’Homme se réconcilie avec la nature, et pour cela il doit aussi se réconcilier avec lui-même. Ignorant qu’il allait ainsi devenir sa propre menace, l’Homme a pris en otage son environnement, asseyant sa position au-dessus des autres espèces, usant et abusant de ressources qu’il pensait inépuisables. Mais ce mode de relations entre les hommes et la nature semble bien être le miroir des relations que les humains ont développé entre eux. « Une crise écologique reflet d’une crise de l’homme », le parallèle est mené par Michel Magny, directeur de recherche CNRS en paléoclimatologie à l’université de Franche-Comté, auteur de l’ouvrage Aux racines de l’Anthropocène.

 

Si l’Anthropocène est bien cette récente période dans laquelle nous sommes entrés avec la révolution industrielle. S’il est bien une démonstration étonnante, nourrie des apports des travaux de très nombreux scientifiques, et qui suggère que trouver les clés pour sortir de la crise, c’est choisir d’habiter la Terre autrement.

 

Le modèle de la Modernité préfigure l’Anthropocène

 

Les chasseurs-cueilleurs du paléolithique1 avaient adopté un régime d’autosuffisance et une organisation susceptibles de répondre à des besoins bien identifiés. Peu d’échanges, pas de dette ni donc de dépendance : ces conditions étaient le gage de « sociétés relativement pacifiques et économiquement égalitaires. » L’art pariétal, emblématique de cette période, témoigne d’une vision du monde excluant toute forme de hiérarchie entre les hommes et les animaux. L’Homme quitte ce relatif équilibre voilà quelque 11 000 ans, à l’avènement du néolithique et du développement d’une économie de production avec l’agriculture et l’élevage. Se nourrir signifie désormais travailler, et la constitution de stocks génère compétition et parfois violence pour accéder aux ressources. L’échange et la richesse posent bientôt les bases de nouveaux fonctionnements sociaux. C’est au néolithique qu’apparaissent la domination politique, bientôt aux mains d’élites, et le pouvoir économique, fondé sur des relations de créancier à débiteur, l’ensemble amenant, avec l’accroissement des populations, à la constitution des premiers États. Les techniques se développent, encouragées par une stratification sociale auparavant peu marquée. « Tout est en place pour que se créent de nouvelles relations Homme/Environnement. »

 

Issue de l’Antiquité et du christianisme, lequel propose une vision très anthropocentrique de la nature, la Modernité naît avec la Renaissance puis s’inspire de l’esprit libéral des Lumières. Dès le milieu du XVe siècle, les Européens, par le biais de la conquête du Nouveau Monde et de la colonisation, imposent le modèle occidental sur l’ensemble de la planète. La fin du XVIIIe siècle marque définitivement le passage d’un monde agricole et artisanal à un monde tourné vers le grand commerce et l’industrie. C’est aussi ce passage qui marque les débuts de l’Anthropocène, terme défini au début des années 2000 par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen. Dès lors, les activités humaines, favorisées par la pression démographique et le développement technologique, auront une répercussion sans précédent sur l’équilibre des écosystèmes. Le phénomène s’accentue depuis 1950, début d’une période qualifiée de grande accélération, avec un accroissement sans précédent de la production économique.

 

En finir avec la domination de l’économie

 

La population de la Terre en 1700 est estimée à 700 millions d’habitants, atteint 1 milliard en 1800, 4,4 milliards en 1980, 6 milliards en 2000 et 7 milliards 15 ans après. L’Homme domine la planète comme jamais auparavant, menaçant la survie des autres espèces dans une compétition sans merci et un paysage complètement transformé et artificialisé. À la pression démographique s’ajoute la pression consumériste. Pour n’en citer qu’un exemple, dans le monde occidental, 3 à 4 kg de poisson étaient consommés par personne en 1950, 20 kg aujourd’hui. Le trafic aérien a été multiplié par 4 en 20 ans. Les inégalités entre humains se creusent, exacerbant les tensions. Les deux limites planétaires les plus cruciales que sont le climat et la biodiversité sont en passe d’être franchies, menaçant de faire basculer les écosystèmes hors de leur trajectoire naturelle. On sait que les dérèglements observés aujourd’hui peuvent avoir des conséquences destructrices à très long terme. Le décalage entre hausse des températures, taux de CO2 dans l’atmosphère et temps de réponse du niveau des mers laisse par exemple craindre que, passé un seuil critique d’émissions, la montée des eaux se poursuive pendant 10 millénaires après une première phase de hausse accélérée. La question du réchauffement climatique, pas plus que celle de la biodiversité, ne saurait être résolue par la technologie et l’ingénierie. Il s’agit pour l’auteur « de venir au cœur du problème, de s’interroger sur notre modèle de développement économique et technologique issu de la Modernité. »

michel magny,environnement

Évolution et bilan de la situation planétaire à partir de 9 indicateurs (d'après Ripple et al., 2018, modifié) La partie des courbes en gras souligne l'évolution pour la période 1992-2016, après une première alerte publiée par la communauté scientifique à l'occasion du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro. Excepté pour l'ozone, la pente suivie par toutes courbes montre sans ambiguïté la poursuite inexorable de l'évolution antérieure à 1992 : la Grande Accélération progresse toujours.

 

Si le modèle des sociétés paléolithiques n’est plus prolongé que par quelques ethnies à travers le monde, il porte néanmoins des enseignements dont il est possible de s’inspirer : briser la verticalité qui conduit à la destruction de la nature et des sociétés, mettre fin au mythe de la croissance infinie et enfin admettre la réalité terrestre et ses limites. « Bifurquer pour éviter l’effondrement implique une vraie rupture avec l’économie et sa prééminence, et signifie redonner vie au politique. » En novembre 2017, dans la revue Bioscience, 15 372 scientifiques de 184 pays signaient ensemble un article, un appel se concluant par ces mots : « Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, et le temps presse. »

 

michel magny,environnement

 

Le livre de Michel Magny met au service de tous et de cette cause un large éventail de connaissances, de démonstrations et de réflexions pour comprendre le phénomène anthropocène, et espérer trouver la clé vers un monde différent.

 

1 Paléotlithique supérieur : 45 000 à 12 000 BP (before present)

 

Magny M., Aux racines de l’Anthropocène – Une crise écologique reflet d’une crise de l’Homme, Éd. Le bord de l’eau, 2019.

Source : "En Direct", n° 282 – mai-juin 2019, p. 3-4.

Le Tarier pâtre

Le Tarier pâtre

 

Par Dominique Delfino

Photographe naturaliste et animalier

 

 

Le Tarier pâtre fréquente une grande variété d’habitats ouverts. On l'observe dans les campagnes arbustives, en lisière de culture, la friche constituant son milieu de prédilection.

 

Le couple que j'observe sur le plateau de Brognard s'est approprié un espace naturel préservé, composé principalement de ronciers et de cardères sauvages.

 

dominique delfino,photographe naturaliste et animalier tarier pâtre,plateau de brognard,pays de montbéliard

Tarier pâtre mâle

cliché © Dominique Delfino

 

Mâle et femelle chassent inlassablement de nombreux insectes et larves destinés aux poussins qui viennent de quitter le nid construit à même le sol.

 

dominique delfino,photographe naturaliste et animalier tarier pâtre,plateau de brognard,pays de montbéliard

Tarier pâtre femelle

cliché © Dominique Delfino

 

Revers de la météo en mai avec ce refroidissement brutal et chutes de neige qui, du jour au lendemain, rendent les conditions de survie très difficiles pour les jeunes oiseaux. Je retrouve les adultes dans ce décor hivernal mais aucune trace, aucun cri des poussins qui ont dû s’abriter sous le feuillage d'un roncier pour surmonter l'épreuve.

 

Surprise, le lendemain après avoir scruté la friche aux jumelles, je surprends le couple de tariers en pleine activité de chasse et, grâce aux cris de trois ou quatre poussins, je finis par localiser les petites boules de plumes pour ma plus grande joie.

Vers un monde sans insectes

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Par Loïc Chauveau 

 

Cet article est extrait du magazine Sciences et Avenir n°867 (mai 2019).

 

Avant le rapport de Ipbes, une étude démontrait déjà que 40% des espèces d’insectes sont menacées d’extinction. Or leur rôle est essentiel pour la pollinisation des plantes, la fertilisation des sols et la lutte contre les ravageurs.

 

Début mai 2019, le rapport de l'Ipbes, la plateforme des experts pour la biodiversité et les écosystèmes, dressait un constat terrifiant de l'état de la biodiversité dans le monde. Plus d'un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction. Trois mois plus tôt, une autre étude avait déjà tiré la sonnette d'alarme sur le sort funeste qui attend les insectes, laissant entrevoir une planète qui ne zonzonne pas, ne stridule pas, ne pique pas… et ne serait donc pas viable ! Comme le rappelle Francisco Sanchez-Bayo, chercheur à l'Institut d'agriculture de Sidney (Australie) dans un retentissant article paru en février 2019 dans Biological Conservation. En compilant les résultats de 73 études sur l'évolution des populations d'insectes au cours des dernières décennies, ce scientifique a révélé que 40 % des espèces sont menacées d'extinction. Les ordres des lépidoptères (papillons), des hyménoptères (abeilles) et des coléoptères (scarabées) sont les plus en danger dans les milieux terrestres tandis que les odonates (libellules), les plécoptères (Perles) et trichoptères  (Phryganes) et les éphéméroptères se font plus rares dans les écosystèmes des lacs et rivières. Si le résultat a ému l'opinion publique, il n'a étonné aucun des écologues et entomologistes versés sur la question. "Ce n'est qu'une triste confirmation de ce que nous constatons depuis des décennies. Les insectes sont toujours moins nombreux et leurs aires de répartition se réduisent et se fractionnent", tranche Xavier Houard, coordinateur des projets de conservation à l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie, France).

 

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Apollon (Parnassius apollo)

 

Une chute drastique du nombre d'espèces et de la densité d'individus qui les composent

 

Et l'inventaire effectué par l'étude australienne n'est qu'une triste litanie… Pêle-mêle, les chercheurs notent ainsi qu'aux Pays-Bas, 11 des 20 espèces les plus communes de papillons ont décliné tant en présence qu'en abondance entre 1992 et 2007 ; en Europe centrale, 48 des 60 espèces de bourdons les plus répandues ont diminué en effectif lors des 130 dernières années ; au Royaume-Uni, 49 des 68 espèces de scarabées étudiés sur 11 sites ont vu leur nombre baisser dramatiquement en quinze ans…

 

En 2017, une équipe anglo-néerlandaise était parvenue à englober tous les ordres d'insectes. En comparant, à vingt-sept ans d'intervalles, les prises effectuées par les mêmes pièges sur les 63 mêmes sites protégés d'Allemagne, les chercheurs ont pu déterminer que la biomasse totale des insectes avait baissé en moyenne de… 76 %. Certes, 71 études sur 73 analysées par Francisco Sanchez-Bayo ont été menées en Europe et aux États-Unis, là où se trouvent la majorité des chercheurs et des fonds nécessaires pour compter ces minuscules animaux. Mais le résultat peut être extrapolé à la Terre entière. "Si on menait le même genre de travail en Afrique, on aurait des résultats encore pires", affirme ainsi Paul-André Calatayud, chercheur à l'Institut pour la recherche et le développement (IRD) et collaborateur du Centre international de physiologie et d'écologie des insectes (Icipe) basé à Nairobi (Kenya).

 

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La Petite Tortue (Aglais urticae)

 

Les responsables de la chute de biodiversité identifiés

 

Et cela fait un sacré vide car la biomasse des arthropodes est quatre fois supérieure à celle des vertébrés. Toute cette masse vivante disparaît sans qu'on s'en aperçoive. Pour la rendre plus visible, les entomologistes en appellent aux souvenirs des automobilistes nettoyant autrefois à grand-peine des parebrise maculés l'été par les insectes écrasés. Les coups de raclette sont, hélas ! aujourd'hui beaucoup moins fréquents. En 1993, Jean- Pierre Chambon, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), avait eu l'idée de placer des plaques engluées à l'avant de voitures. Un premier groupe de véhicules avait sillonné la région de Fontainebleau (Seine-et-Marne), tandis qu'un autre roulait dans le parc naturel régional des Vosges du Nord (Moselle et Bas-Rhin). Le premier s'était révélé plus "productif" avec une moyenne de 164 insectes écrasés au kilomètre, contre 79 dans les Vosges. Quel serait le résultat aujourd'hui ? "Personne n'a l'argent pour renouveler cette expérience dont le résultat, de toute façon, est connu d'avance", persifle Xavier Houard.

 

Dans son étude, Francisco Sanchez-Bayo propose une hiérarchie des causes de ce déclin massif : en tête, la perte des habitats favorables du fait de l’agriculture intensive et de l’urbanisation. Puis viennent l’épandage de pesticides et d’engrais chimiques, l’impact des espèces invasives et des pathogènes et - enfin - le réchauffement climatique "qui a peu d’influence car les arthropodes sont à sang froid", rappelle Xavier Houard. Que l’agriculture et l’artificialisation des sols soient les principaux responsables de l’éradication en cours n’étonnera personne. "L’insecte est perçu comme un ennemi par l’humain", déplore Olivier Dangles, directeur de recherche à l’IRD. Avec, à première vue, de bonnes raisons : 25 à 80 % des cultures dans le monde sont englouties par les ravageurs, des pertes qui pourraient nourrir un milliard de personnes. Les seuls insectes invasifs, tel le moustique-tigre, coûtent, chaque année, 62 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 6 milliards d’euros dus aux maladies qu’ils propagent.

 

Un rôle de fertilisateurs et de lutte contre les ravageurs

 

"Le problème est que la lutte contre les organismes néfastes a également des conséquences sur leurs prédateurs qui permettent précisément de lutter contre eux", rétorque Olivier Dangles. Les services rendus par les insectes sont en effet bien plus importants que les inconvénients. Les arthropodes sont essentiels pour la pollinisation des plantes à fleurs, qui représentent plus de 80 % de l’alimentation humaine en végétaux. En 2013, l’Inra a ainsi estimé à 153 milliards d’euros le service rendu gratuitement tous les ans par ces pollinisateurs dont, bien sûr, les abeilles domestiques, soit 10 % de la valeur totale de la production alimentaire mondiale. En outre, les collemboles, diptères, bousiers, fourmis, etc. séquestrent le carbone dans le sol et recyclent la matière organique essentielle pour la fertilité des sols. Une étude américaine évalue leur rôle de fertiliseurs et de lutte contre les ravageurs à 50 milliards d’euros annuels. Or, en dépit de la recherche d’insecticides de plus en plus sélectifs, la solution chimique (35 milliards d’euros dépensés dans le monde) continue de les frapper sans discrimination comme le prouve la baisse massive et continue du nombre d’insectes.

 

Ces constats poussent la recherche à investir dans les solutions dites de biocontrôle. "Plutôt que de diffuser largement un produit qui affecte tout l’écosystème, appuyons-nous plutôt sur le fonctionnement naturel qui veut qu’une espèce ait toujours un prédateur", résume Paul-André Calatayud. Favoriser les auxiliaires des plantes pour repousser les ravageurs est une stratégie qui a connu quelques succès importants. Au début des années 1990, l’introduction en Afrique d’une petite guêpe parasitoïde (Cotesia flavipes) a permis de faire reculer les dommages d’un lépidoptère (Chilo partellus) dont la chenille se nourrit des feuilles du maïs. "En vingt ans, cette guêpe a préservé plus de 160 millions d’euros de revenus au Kenya et sauvé de la faillite 130 000 agriculteurs", raconte Paul-André Calatayud. En France, 100 000 hectares de maïs (sur 2,8 millions consacrés à cette culture) sont traités tous les ans contre la pyrale à l’aide du trichogramme, petit hyménoptère qui pond sur la chenille de ce papillon ravageur.

 

Toutes ces pistes impliquent une meilleure connaissance des insectes et de leurs interactions avec les plantes et les bactéries. Or, le savoir en la matière reste lacunaire. "Si nous avons pu établir une liste rouge des espèces menacées en France de papillons de jour, de libellules et d’éphémères, c’est parce qu’ils intéressent beaucoup de monde pour leur beauté, reconnaît Florian Kirchner, chargé du programme espèces à la branche française de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). Il est bien plus difficile de connaître l’état des populations et les régions de présence d’ordres entiers plus discrets."L’étude de Francisco Sanchez-Bayo vient opportunément rappeler que le zonzonnement et la stridulation du monde sont en train de s’atténuer pour le plus grand malheur de toutes les autres espèces, dont la nôtre.

 

Des conséquences sur les oiseaux

 

Tous les ans, les oiseaux ingurgitent 400 à 500 millions de tonnes d’insectes, a révélé en 2018 une étude de l’université de Bâle (Suisse). C’est plus que ce que consomme en viande et poisson l’humanité entière ! Pas étonnant donc que ces prédateurs subissent les conséquences de la disparition de leurs proies. En mars 2018, le Muséum national d’histoire naturelle (Paris) annonçait ainsi que 30 % des oiseaux des campagnes françaises ont disparu en quinze ans. Avec un tiers d’alouettes des champs, de fauvettes grisettes et de bruants ortolans en moins, c’est un "printemps silencieux" que dénoncent les chercheurs.