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08/05/2019

Vers un monde sans insectes

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Par Loïc Chauveau 

 

Cet article est extrait du magazine Sciences et Avenir n°867 (mai 2019).

 

Avant le rapport de Ipbes, une étude démontrait déjà que 40% des espèces d’insectes sont menacées d’extinction. Or leur rôle est essentiel pour la pollinisation des plantes, la fertilisation des sols et la lutte contre les ravageurs.

 

Début mai 2019, le rapport de l'Ipbes, la plateforme des experts pour la biodiversité et les écosystèmes, dressait un constat terrifiant de l'état de la biodiversité dans le monde. Plus d'un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction. Trois mois plus tôt, une autre étude avait déjà tiré la sonnette d'alarme sur le sort funeste qui attend les insectes, laissant entrevoir une planète qui ne zonzonne pas, ne stridule pas, ne pique pas… et ne serait donc pas viable ! Comme le rappelle Francisco Sanchez-Bayo, chercheur à l'Institut d'agriculture de Sidney (Australie) dans un retentissant article paru en février 2019 dans Biological Conservation. En compilant les résultats de 73 études sur l'évolution des populations d'insectes au cours des dernières décennies, ce scientifique a révélé que 40 % des espèces sont menacées d'extinction. Les ordres des lépidoptères (papillons), des hyménoptères (abeilles) et des coléoptères (scarabées) sont les plus en danger dans les milieux terrestres tandis que les odonates (libellules), les plécoptères (Perles) et trichoptères  (Phryganes) et les éphéméroptères se font plus rares dans les écosystèmes des lacs et rivières. Si le résultat a ému l'opinion publique, il n'a étonné aucun des écologues et entomologistes versés sur la question. "Ce n'est qu'une triste confirmation de ce que nous constatons depuis des décennies. Les insectes sont toujours moins nombreux et leurs aires de répartition se réduisent et se fractionnent", tranche Xavier Houard, coordinateur des projets de conservation à l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie, France).

 

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Apollon (Parnassius apollo)

 

Une chute drastique du nombre d'espèces et de la densité d'individus qui les composent

 

Et l'inventaire effectué par l'étude australienne n'est qu'une triste litanie… Pêle-mêle, les chercheurs notent ainsi qu'aux Pays-Bas, 11 des 20 espèces les plus communes de papillons ont décliné tant en présence qu'en abondance entre 1992 et 2007 ; en Europe centrale, 48 des 60 espèces de bourdons les plus répandues ont diminué en effectif lors des 130 dernières années ; au Royaume-Uni, 49 des 68 espèces de scarabées étudiés sur 11 sites ont vu leur nombre baisser dramatiquement en quinze ans…

 

En 2017, une équipe anglo-néerlandaise était parvenue à englober tous les ordres d'insectes. En comparant, à vingt-sept ans d'intervalles, les prises effectuées par les mêmes pièges sur les 63 mêmes sites protégés d'Allemagne, les chercheurs ont pu déterminer que la biomasse totale des insectes avait baissé en moyenne de… 76 %. Certes, 71 études sur 73 analysées par Francisco Sanchez-Bayo ont été menées en Europe et aux États-Unis, là où se trouvent la majorité des chercheurs et des fonds nécessaires pour compter ces minuscules animaux. Mais le résultat peut être extrapolé à la Terre entière. "Si on menait le même genre de travail en Afrique, on aurait des résultats encore pires", affirme ainsi Paul-André Calatayud, chercheur à l'Institut pour la recherche et le développement (IRD) et collaborateur du Centre international de physiologie et d'écologie des insectes (Icipe) basé à Nairobi (Kenya).

 

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La Petite Tortue (Aglais urticae)

 

Les responsables de la chute de biodiversité identifiés

 

Et cela fait un sacré vide car la biomasse des arthropodes est quatre fois supérieure à celle des vertébrés. Toute cette masse vivante disparaît sans qu'on s'en aperçoive. Pour la rendre plus visible, les entomologistes en appellent aux souvenirs des automobilistes nettoyant autrefois à grand-peine des parebrise maculés l'été par les insectes écrasés. Les coups de raclette sont, hélas ! aujourd'hui beaucoup moins fréquents. En 1993, Jean- Pierre Chambon, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), avait eu l'idée de placer des plaques engluées à l'avant de voitures. Un premier groupe de véhicules avait sillonné la région de Fontainebleau (Seine-et-Marne), tandis qu'un autre roulait dans le parc naturel régional des Vosges du Nord (Moselle et Bas-Rhin). Le premier s'était révélé plus "productif" avec une moyenne de 164 insectes écrasés au kilomètre, contre 79 dans les Vosges. Quel serait le résultat aujourd'hui ? "Personne n'a l'argent pour renouveler cette expérience dont le résultat, de toute façon, est connu d'avance", persifle Xavier Houard.

 

Dans son étude, Francisco Sanchez-Bayo propose une hiérarchie des causes de ce déclin massif : en tête, la perte des habitats favorables du fait de l’agriculture intensive et de l’urbanisation. Puis viennent l’épandage de pesticides et d’engrais chimiques, l’impact des espèces invasives et des pathogènes et - enfin - le réchauffement climatique "qui a peu d’influence car les arthropodes sont à sang froid", rappelle Xavier Houard. Que l’agriculture et l’artificialisation des sols soient les principaux responsables de l’éradication en cours n’étonnera personne. "L’insecte est perçu comme un ennemi par l’humain", déplore Olivier Dangles, directeur de recherche à l’IRD. Avec, à première vue, de bonnes raisons : 25 à 80 % des cultures dans le monde sont englouties par les ravageurs, des pertes qui pourraient nourrir un milliard de personnes. Les seuls insectes invasifs, tel le moustique-tigre, coûtent, chaque année, 62 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 6 milliards d’euros dus aux maladies qu’ils propagent.

 

Un rôle de fertilisateurs et de lutte contre les ravageurs

 

"Le problème est que la lutte contre les organismes néfastes a également des conséquences sur leurs prédateurs qui permettent précisément de lutter contre eux", rétorque Olivier Dangles. Les services rendus par les insectes sont en effet bien plus importants que les inconvénients. Les arthropodes sont essentiels pour la pollinisation des plantes à fleurs, qui représentent plus de 80 % de l’alimentation humaine en végétaux. En 2013, l’Inra a ainsi estimé à 153 milliards d’euros le service rendu gratuitement tous les ans par ces pollinisateurs dont, bien sûr, les abeilles domestiques, soit 10 % de la valeur totale de la production alimentaire mondiale. En outre, les collemboles, diptères, bousiers, fourmis, etc. séquestrent le carbone dans le sol et recyclent la matière organique essentielle pour la fertilité des sols. Une étude américaine évalue leur rôle de fertiliseurs et de lutte contre les ravageurs à 50 milliards d’euros annuels. Or, en dépit de la recherche d’insecticides de plus en plus sélectifs, la solution chimique (35 milliards d’euros dépensés dans le monde) continue de les frapper sans discrimination comme le prouve la baisse massive et continue du nombre d’insectes.

 

Ces constats poussent la recherche à investir dans les solutions dites de biocontrôle. "Plutôt que de diffuser largement un produit qui affecte tout l’écosystème, appuyons-nous plutôt sur le fonctionnement naturel qui veut qu’une espèce ait toujours un prédateur", résume Paul-André Calatayud. Favoriser les auxiliaires des plantes pour repousser les ravageurs est une stratégie qui a connu quelques succès importants. Au début des années 1990, l’introduction en Afrique d’une petite guêpe parasitoïde (Cotesia flavipes) a permis de faire reculer les dommages d’un lépidoptère (Chilo partellus) dont la chenille se nourrit des feuilles du maïs. "En vingt ans, cette guêpe a préservé plus de 160 millions d’euros de revenus au Kenya et sauvé de la faillite 130 000 agriculteurs", raconte Paul-André Calatayud. En France, 100 000 hectares de maïs (sur 2,8 millions consacrés à cette culture) sont traités tous les ans contre la pyrale à l’aide du trichogramme, petit hyménoptère qui pond sur la chenille de ce papillon ravageur.

 

Toutes ces pistes impliquent une meilleure connaissance des insectes et de leurs interactions avec les plantes et les bactéries. Or, le savoir en la matière reste lacunaire. "Si nous avons pu établir une liste rouge des espèces menacées en France de papillons de jour, de libellules et d’éphémères, c’est parce qu’ils intéressent beaucoup de monde pour leur beauté, reconnaît Florian Kirchner, chargé du programme espèces à la branche française de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). Il est bien plus difficile de connaître l’état des populations et les régions de présence d’ordres entiers plus discrets."L’étude de Francisco Sanchez-Bayo vient opportunément rappeler que le zonzonnement et la stridulation du monde sont en train de s’atténuer pour le plus grand malheur de toutes les autres espèces, dont la nôtre.

 

Des conséquences sur les oiseaux

 

Tous les ans, les oiseaux ingurgitent 400 à 500 millions de tonnes d’insectes, a révélé en 2018 une étude de l’université de Bâle (Suisse). C’est plus que ce que consomme en viande et poisson l’humanité entière ! Pas étonnant donc que ces prédateurs subissent les conséquences de la disparition de leurs proies. En mars 2018, le Muséum national d’histoire naturelle (Paris) annonçait ainsi que 30 % des oiseaux des campagnes françaises ont disparu en quinze ans. Avec un tiers d’alouettes des champs, de fauvettes grisettes et de bruants ortolans en moins, c’est un "printemps silencieux" que dénoncent les chercheurs.