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27/07/2012

Controverse acide sur les cellules souches

Cellules-souches-200.jpgControverse acide sur les cellules souches

 

 

Un article paru dans la revue "Sciences & Vie" de mai 2014 fait état de l'obtention de cellules souches par choc acide à la suite de travaux d'une équipe japonaise, résultats publiés dans "Nature" de janvier 2014. (Nature 01/2014; 505(7485):641-7.)

 

Dans "Pour la Science" en ligne (avril 2014), un article de Yvan Pandelé[1] fait le point sur cette publication. Ci-dessous la publication in extenso de cet article.

 

La récente découverte d’une méthode pour fabriquer des cellules souches par choc acide a suscité l’enthousiasme de la communauté scientifique. Avant d’être gravement mise en doute...

La nouvelle avait fait grand bruit. En janvier dernier, des chercheurs japonais et américains annonçaient avoir réussi à transformer des cellules de souris adultes en cellules souches par une nouvelle méthode : la soumission à un choc acide. Nommées STAP (Stimulus-triggered acquisition of pluripotency), les cellules souches obtenues seraient pluripotentes, c'est-à-dire capables de se différencier en de nombreux types cellulaires une fois réinjectées chez l’embryon.

Assez vite cependant, les publications concernées  – un article et une lettre parues dans la revue Nature le 30 janvier dernier – ont suscité des doutes. Des chercheurs ont pointé des détails problématiques : incohérence méthodologique, images modifiées ou reprises de la thèse de doctorat du premier auteur… Des observations qui, mises bout à bout, commençaient à faire désordre.

Plus grave, aucune équipe de recherche n’est jusqu’à présent parvenue à répliquer les résultats. On s’est également aperçu que les cellules STAP produites ne provenaient pas de la souche de souris mentionnée dans l’article, mais de deux autres souches. Sur son blog de recherche, Paul Knoepfler, spécialiste des cellules pluripotentes à l’Université de Californie à Davis, a publié une série de sondages informels qui semblent indiquer un scepticisme croissant au sujet de l’existence des cellules STAP. 

Une découverte prometteuse

La méthode découverte par Haruko Obokata et ses collègues semblait pourtant très prometteuse, combinant une technique simple – modifier l’acidité du milieu de culture – et des résultats encourageants. En effet, les cellules STAP présenteraient un potentiel de différenciation encore supérieur aux cellules pluripotentes induites (IPS) obtenues par reprogrammation génétique, récompensées par un prix Nobel de médecine en 2012. Les enjeux sont forts : la thérapie cellulaire à base de cellules souches permettra peut-être de traiter de nombreuses maladies, en remplaçant les tissus ou les organes lésés.

Certains des auteurs impliqués dans la découverte des cellules STAP se sont exprimés publiquement. Teruhiko Wakayama, chercheur à l’Université de Yamanashi, s’est prononcé en faveur d’un retrait des articles : le 10 mars dernier, il déclarait avoir perdu confiance dans le travail effectué et préférer approfondir les recherches en vue d’une éventuelle republication. Charles Vacanti, auteur sénior et chercheur à la Faculté de médecine de Harvard, continue pour sa part de défendre la validité de l’étude. Le 20 mars dernier, il mettait à la disposition de la communauté une version détaillée du protocole employé, afin de faciliter d’éventuelles réplications.

Des accusations de fraude

Mais les critiques se focalisent surtout sur le premier auteur, Haruko Obokata, une jeune biologiste (30 ans) responsable d’équipe au Riken, un prestigieux institut de recherche japonais. À la suite des suspicions émises, le Riken a rapidement lancé une enquête interne. Les conclusions, parues à la fin du mois de mars, sont sévères vis-à-vis de Haruko Obokata, qui se voit accusée d’avoir manipulé volontairement certaines données annexes, se rendant coupable de fraude scientifique (scientific misconduct). Dans une conclusion au vitriol, les rapporteurs estiment le protocole expérimental difficile à suivre – donc à reproduire – et vont jusqu’à déplorer « le manque total d’intégrité et d’humilité » de la chercheuse.

Violemment mise en cause par son propre institut et au centre d’un ouragan médiatique, Haruko Obokata a répliqué mercredi 9 avril dans une conférence de presse. Visiblement très éprouvée, elle s’est excusée pour les erreurs commises, mais plaide la bonne foi et maintient la validité des résultats de son équipe. « Le phénomène des cellules STAP est une réalité que j'ai vérifiée à plus de 200 reprises », affirme-t-elle, ajoutant que le protocole a été répliqué par une tierce personne. Le Riken a confirmé cette dernière information tout en minimisant les résultats obtenus, affirmant qu’ils ne constituaient pas une réplication complète. Le chercheur en question, également membre de l'institut japonais, semble vouloir conserver l’anonymat. Jusqu’à ce que ses résultats soient confirmés ?

Un retrait des articles ?

La question de l’existence des cellules STAP reste donc ouverte. Pour l’heure, la revue Nature n’a pas annoncé de retrait des publications mises en cause, et continue de couvrir l’affaire sur son blog d’actualité. Quant aux réactions des institutions de recherche, elles sont contrastées. Si le Riken a joué la transparence et a mis beaucoup d’ardeur à se désolidariser de H. Obokata, l’Université Harvard est pour sa part restée silencieuse. Toujours est-il qu’en l’absence de demande de retrait de la part des institutions scientifiques ou des principaux auteurs, les publications restent, jusqu’à nouvel ordre, valides.

Ces dernières années, on observe une augmentation du nombre de rétractations d’articles scientifiques. Une revue conduite en 2012 sur la base PubMed, qui référence un très grand nombre d’articles dans le champ biomédical, a montré que les deux tiers des rétractations étaient dues à des cas de fraude scientifique, c'est-à-dire du plagiat (ou auto-plagiat) ou de la manipulation volontaire de données. Cette hausse pourrait toutefois révéler, plutôt qu’une intensification des mauvaises pratiques, une plus grande sensibilité du système de détection.

En cas de fraude avérée, le scandale est généralement à la mesure des espoirs suscités. En 2005, dans un article publié dans Science, une équipe de recherche coréenne avait affirmé avoir créé des cellules souches embryonnaires à partir de clones humains… Las, la découverte s’était révélée factice et l’article avait été retiré dans un scandale retentissant. Espérons que l’affaire des cellules STAP ne connaîtra pas la même issue.

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© Haruko Obokata

 

Cette figure, qui présente le résultat d'une électrophorèse sur gel, a été falsifiée (le couloir 3 correspond à un gel différent des autres couloirs). Il s'agit d'un des deux cas de fraude scientifique identifiés par l'institut de recherche où travaille Haruko Obokata.

 

Pour en savoir plus

M.-N. Cordonnier, Des cellules souches produites par choc acidePour la Science, en ligne le 8 février 2014.

H. Obokata et al.Stimulus-triggered fate conversion of somatic cells into pluripotencyNature, vol. 505, pp. 641-647, 30 janvier 2014.

H. Obokata et al.Bidirectional developmental potential in reprogrammed cells with acquired pluripotencyNature, vol. 505, pp. 676-680, 30 janvier 2014.

F. C. Fang et al., Misconduct accounts for the majority of retracted scientific publicationsPNAS, 109(42), 2012.

D. Fanelli, Why growing retractions are (mostly) a good signPLOS Medicine10(12), 2013.

 


[1] Yvan Pandelé est journaliste à Pour la Science.

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