27/01/2011
Fuite sur le réseau d'assainissement de la commune de Thise
Une fuite sur le réseau d'assainissement de la commune de Thise contamine le ruisseau voisin et menace une ressource en eau potable de la Ville de Besançon
Fuite sur le réseau d'assainissement
de la commune de Thise (Doubs)
par André Guyard
Professeur honoraire d'Hydrobiologie et d'Hydroécologie de l'Université de Franche-Comté
(Dernière mise à jour octobre 2015)
Au cours du mois de janvier 2011, les promeneurs qui s'aventuraient dans la plaine de Thise au niveau du cours du Trébignon à proximité immédiate des puits de pompage de la Ville de Besançon étaient surpris par une forte odeur semblable à des émanations de fosse d'aisance. En s'approchant, ils pouvaient voir que le malheureux ruisseau recevait le trop-plein d'un petit lac d'un demi-hectare environ formé sur la rive droite du cours d'eau et se déversant dans le ruisseau. Ce lac était alimenté par trois geysers d'une eau putride contenant entre autres ingrédients des détritus de papier hygiénique, des lingettes, matières fécales et autres ordures peu ragoûtantes, sauf pour un vol de corbeaux qui semblait apprécier cette manne.
Situation de la source de pollution
Détail de la carte précédente
Il s'agissait évidemment d'une fuite sur le parcours du conduit d'assainissement des eaux-vannes qui véhicule les eaux usées de la commune de Thise vers la station d'épuration. Rappelons que les eaux-vannes appartiennent à une catégorie de déchets tels que les matières fécales et l’urine.
Et pourtant, comme le témoignent les deux cartes ci-dessous, le Trébignon a subi pas mal de vicissitudes d'origine anthropique au cours de son existence.
Renseignements pris auprès des promeneurs qui fréquentent la prairie de Thise, le phénomène serait récurrent depuis environ deux ans avec des paroxysmes dont le dernier aurait débuté à l'époque de Noël 2014, soit depuis plus d'un mois.
L'examen des lieux montrait en effet des zones où l'herbe était plus verte et donc profitait de cet engrais azoté et phosphaté.
D'autre part, la rive du Trébignon où se déversaient les effluents était garnie d'une couverture de bactéries filamenteuses (Sphaerotilus) qui montrait que le problème n'était pas récent. Cette opinion a été confortée par l'ancien maire de Thise, M. Jacques Maillot qui confie qu'un tel phénomène s'était déjà produit lors de son mandat et qu'il avait été résolu.
Un voisin ayant constaté le problème avant Noël 2010, a alerté la Mairie de Thise en fin d'année 2014. Il a appuyé son alerte avec une lettre accompagnée de documents photographiques.
Ayant constaté que personne ne semblait se préoccuper de la résolution du problème, une autre voisine, Mme Évelyne Rolin, a alerté les services municipaux le vendredi 7 janvier 2011. Elle a eu comme interlocuteur M. Jacques Chouteau adjoint chargé de l'aménagement de l'espace qui lui a dit être au courant et qu'il devait alerter les services responsables du Syndicat Besançon-Thise-Chalezeule dont fait partie la commune de Thise.
Moi-même, j'ai rencontré, le jeudi 13 janvier 2011, Mme Maryse Benth, adjointe au Cadre de vie qui m'a avoué qu'elle n'était pas au fait de ce problème. Vendredi 14 janvier au matin, un coup de téléphone à la mairie de Thise m'a permis d'apprendre que la municipalité avait été mise au courant depuis le 31 décembre et qu'elle avait alerté les services responsables du Syndicat Besançon-Thise-Chalezeule qui est compétent dans cette affaire. Voilà donc la responsabilité de la Commune apparemment dégagée. Pourtant, joint au téléphone le lundi 17 janvier, M. Marc Rivet responsable au Syndicat BTC m'a affirmé n'avoir jamais été prévenu par la Commune de Thise. Qui croire dans cette affaire ?
Quelles peuvent être les causes de cette pollution organique ?
L'origine de la fuite dissimulée par le lac d'eaux usées est difficile à définir sans s'aventurer dans la zone inondée. Vraisemblablement, la conduite est bouchée et la fuite se fait au niveau d'un regard en amont de l'obstacle dont le couvercle s'est soulevé.
Il faut rappeler que la commune de Thise a vu sa population décupler pour passer de 350 à près de 3500 habitants en quelques décennies. Il est possible que la section des canalisations soit devenue insuffisante pour évacuer un tel débit.
Risques inhérents à cette pollution
En premier lieu c'est le ruisseau du Trébignon qui est contaminé et conduit directement les effluents dans le Doubs, ce qui est scandaleux et intolérable.
En second lieu et c'est là le plus grave, cette pollution constitue une menace directe pour la santé publique dans le risque de contamination de l'eau de consommation. Les eaux-vannes véhiculent des maladies d'origine virale et bactérienne. Même si la plupart de ces eaux résiduaires étaient évacuées dans le cours du ruisseau, une certaine partie des eaux qui stagnent en surface peuvent contaminer les puits de pompage bisontins de la plaine de Thise et leur périmètre de protection immédiat sont tout proches. La proximité de la station de pompage qui constitue une des ressources en eau potable pour la Ville de Besançon qui exploite la nappe aquifère. Or il se trouve que la zone est particulièrement vulnérable. Pourquoi ?
Le lac formé en surface par les geysers d'effluents s'infiltre rapidement. Son niveau a baissé de quelque 50 cm entre le vendredi 14 et le dimanche 16 janvier 2011. Les forages profonds traversent 70 m de calcaires du Bathonien avant de s'arrêter dans les calcaires du Bajocien à 100 m pour le forage le moins profond, et à 130 m pour le plus profond des trois. L'aquifère calcaire n'est recouvert que par une très mince couche d'alluvions de 3 à 5 m d'épaisseur, constitué d'argiles sableuses reposant sur un lit de galets, de 2 m d'épaisseur. Ces alluvions perméables ne protègent pas la nappe phréatique, particulièrement vulnérable, puisque son horizon supérieur est de l'ordre de 2 à 5 mètres ! De sorte que le lac de déjections thisiennes est aux premières loges pour contaminer l'eau de consommation bisontine. Rappelons que cet aquifère de la plaine de Thise fournit environ 5% de l'eau nécessaire à Besançon.
Les stations de pompage de traitement d'eau de Thise et les puits de Thise.
À droite, la station de pompage et les puits de Thise ; à gauche la station de traitement de l'eau
Document Chauve P., Rolin P. (2015). — Jura bisontin, reliefs, paysages et roches, 210 p. Citadelle Besançon, Patrimoine mondial de l'UNESCO, Muséum de Besançon Ed.
Selon les hydrogéologues de l'Université de Franche-Comté, la menace de contamination de l'aquifère est à envisager sérieusement. À ce propos, il faut se rappeler que lors de l'ouverture du gouffre des Andiers à quelques centaines de mètres de là, les spéléologues de Pascal Reilé avaient constaté que les eaux souterraines réapparaissaient à la source de la Mouillère, comme celle d'ailleurs du ruisseau de la piscine de Chalezeule.
En particulier, on sait que le staphylocoque doré se répand via les eaux usées. Or le staphylocoque doré résistant à la méticilline est l'une des bactéries les plus redoutées dans les hôpitaux : il est responsable de près de 20 % des infections nosocomiales en France. Le danger à souligner ici, c'est qu'il pourrait s'échapper dans la nature grâce aux eaux usées de Thise… immédiatement à proximité des puits de pompage des eaux de la Ville de Besançon.
La présence du staphylocoque doré est avéré dans les eaux usées. Après avoir analysé l'eau issue de stations d'épuration à différents stades de traitement, l'équipe d'Amy Sapkota (université du Maryland, États-Unis) a découvert que la bactérie résistante était présente dans presque tous les échantillons d'eau prélevés à l'entrée des stations. À la sortie, ce n'était plus le cas que pour 8 % des effluents des stations d'épuration, ceux-là même qui n'avaient pas subi de traitement tertiaire au chlore. Même dans ce cas, les chercheurs mettent en garde : "Les eaux usées sont de plus en plus souvent réutilisées, pour l'irrigation des cultures notamment, elles peuvent constituer une potentielle source d'exposition à ces bactéries multirésistantes". Dans le cas qui nous préoccupe, les prairies environnantes ont reçu un apport organique probablement enrichi en staphylocoque doré.
En conclusion, compte tenu de la proximité des puits d'alimentation de l'agglomération bisontine en eau potable, il semble que le problème mérite une solution urgente.
Dans leur ouvrage "Jura bisontin, reliefs, paysages et roches" (2015), Pierre Chauve et Patrick Rolin détaillent l'alimentation en eau de la ville de Besançon. Sur la commune de Thise deux champs captants sont exploités par Besançon : les champs captants de Chailluz et les champs captants de Thise. Ce sont ces derniers qui sont directement concernés dans le cas de cette pollution (voir diagrammes ci-dessous).
Les champs captants de Chailluz et de Thise
Document Chauve P., Rolin P. (2015). — Jura bisontin, reliefs, paysages et roches, 210 p. Citadelle Besançon, Patrimoine mondial de l'UNESCO, Muséum de Besançon Ed.
Les puits de 120 à 170 m de profondeur exploitent l'eau de l'aquifère des calcaires du Dogger du plateau de Besançon, qui repose sur les argiles imperméables du Lias (coupe). L'eau est pompée à une cinquantaine de mètres à la station de Chailluz, et très près de la surface, de 2 m à 5 m en moyenne à la station de Thise. La faille de la côte des Buis soulève le Lias qui fait barrage souterrain à l'écoulement de l'eau.
La station de pompage et de traitement d'eau de Chailluz
Document Chauve P., Rolin P. (2015). — Jura bisontin, reliefs, paysages et roches, 210 p. Citadelle Besançon, Patrimoine mondial de l'UNESCO, Muséum de Besançon Ed.
Le champ captant de Chailluz est situé au nord de Thise en bordure de la forêt de Chailluz, au pied de l'escarpement de faille de la Côte des Buis. Il comprend 4 puits de 150 à 172 m de profondeur creusés dans l'aquifère des calcaires du Bathonien et du Bajocien, partiellement recouvert par une mince couche de 1 à 2 mètres d'argiles résiduelles qui le protège mal.
La nappe phréatique, soutenue en profondeur par les argiles imperméables du Lias, s'écoule vers le sud (flèches bleues), vers la vallée du Doubs, du fait de l'inclinaison des calcaires. Son écoulement est freiné par le barrage souterrain constitué des argiles du Lias, soulevées au sud par la faille de la Côte des Buis. Ce barrage souterrain crée une retenue d'eau sous la station, où la surface piézométrique de la nappe phréatique se trouve à une cinquantaine de mètres de profondeur.
L'eau est pompée, filtrée sur sable et traitée à l'ozone par la station qui se trouve entre les puits, et est refoulée vers le réservoir de Chailluz (près des Montarmots). Les forages de Chailluz fournissent environ 12% de l'eau nécessaire à Besançon.
Les réactions à ces informations
Le site "ma commune.info" fait état de l'information parue sur mon blog et fait le point sur la situation.
Un reporter de FranceBleu Besançon a demandé à me rencontrer. Nous sommes allés sur le terrain pour qu'il puisse constater la réalité de la situation. Le reportage est passé aujourd'hui 18 janvier à la radio.
La Terre de Chez Nous publie un article à ce propos dans sa livraison hebdomadaire du samedi 22.
Chérie.FM a annoncé l'événement sur ses ondes.
Interrogé par FranceBleu Besançon, Christophe Lime l'adjoint au Maire de Besançon, responsable de l'alimentation en eau de la Ville a annoncé le 18 janvier au matin que le pompage des puits menacés par cette pollution et qui représentent le 1/10e des ressources en eau de la Ville a été interrompu.
France 3 Franche-Comté a réalisé un reportage sur le terrain le 18 janvier après-midi.
Europe Ecologie-les Verts ont publié un communiqué repris par Macommune.info.
Quant au quotidien régional qui s'appelle je crois l'Est Républicain, il s'est contenté d'un commentaire paru le 20 janvier en puisant ses sources dans les différents communiqués parus sur le Net ou à la télévision.
Même le mensuel La Presse Bisontine s'est l'écho de l'événement dans sa livraison de mars 2011.
Une action a été diligentée le 18 janvier au matin afin de déboucher la conduite obstruée (voir article suivant).
Le Maire de Thise, Bernard Moyse a réagi au courriel que je lui ai envoyé : voir ci-dessous :
Le cours du Trébignon.
À l'arrière-plan, le lac d'eaux-vannes
La rive est tapissée de détritus et
de franges de bactéries filamenteuses
Deux ou trois geysers marquent
l'emplacement de la fuite
Une eau putride peu ragoûtante
Une signature de ces eaux usées : des lingettes
Le Trébignon transformé en égout à ciel ouvert
Les puits d'eau d'alimentation de
la ville de Besançon sont à proximité
Source bibliographique :
Chauve P., Rolin P. (2015). — Jura bisontin, reliefs, paysages et roches, 210 p. Citadelle Besançon, Patrimoine mondial de l'UNESCO, Muséum de Besançon Ed.
18:59 Publié dans Environnement-Écologie, Géologie-hydrogéologie-Climatologie, Pollution | Tags : pollution, assainissement, thise, station de pompage, station d'épuration | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook | | |
Commentaires
En tant qu'ex membre du Conseil Départemental d'Hygiène (aujourd'hui le CODERST) pendant plus d'une vingtaine d'années, du Comité de Bassin et des Commissions de Bassin Rhône Méditerranée (pendant presque aussi longtemps), je trouve assez incroyable que de telles situations puissent encore exister et perdurer aussi longtemps. Apparemment ce phénomène semble récurrent et bien connu des pouvoirs publics locaux. Vu l'état des lieux, les photos édifiantes (on imagine aisément les odeurs !), les commentaires et hypothèses tout à fait fondés, l'ensemble relève d'un intéressant "reportage" environnemental, sanitaire et éco-citoyen. Même si la nappe karstique profonde qui alimente le puits de captage n'est pas la nappe d'accompagnement du Doubs, beaucoup plus vulnérable et directement concernée par cette pollution, il est bien évident, considérant la proximité du PPI (Périmètre de Protection Immédiat), et les risques de contamination hydrique, qu'il est en effet particulièrement urgent d'agir pour remédier à cette situation.
Bravo aux lanceurs d'alerte locaux !
Affaire à suivre...
Écrit par : Cottet Michel | 14/01/2011
Un élément de + à prendre en compte dans nos interventions auprès du Service des Eaux, en ce qui concerne le stationnement illicite des gens du voyage sur les 2 terrains en bordure du Chemin du Roi,en septembre dernier, qui y ont déversé 2 semaines durant leurs eaux usées, leurs excréments, leurs huiles de vidange, etc...
Écrit par : merlat | 18/01/2011
Très bonne information,
ça bouge, France bleu en parle ce matin dans ses informations.
Merci pour le travail et le document
A +
N. D.
Écrit par : Noël David | 18/01/2011
Vu! ça marche... Bravo André
Jean-Loup
Écrit par : Jean-Lou de Gérauvillers | 18/01/2011
Courriel reçu le 17/01/2011
Beau travail, belle action citoyenne, bravo ! C. M.
Écrit par : Guyard | 19/01/2011
Un commentaire particulièrement bien précis sur cette affaire de pollution à Thise. A suivre
Écrit par : GUY philippe | 19/01/2011
Bonjour
et merci pour cette action de veille sanitaire, cette percévérance aussi car il en faut de nos jours...
Écrit par : michel | 21/01/2011
bravo pour les anges gardiens de l'environnement
très bon document argumenté qui devrait faire réagir plus rapidement d'autres collectivités car je trouve que la mairie est un peu laxiste sur ce problème de polution
Écrit par : hoeuillard | 26/01/2011
Les commentaires sont fermés.