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17/05/2010

Paysages de la Cappadoce

8_Cappadoce_cheminée_logo.jpgPaysages de la Cappadoce

 

par André Guyard

 

La Cappadoce est célèbre à cause de ses paysages ruiniformes exceptionnels montrant une densité impressionnante d'habitations et d'églises troglodytiques et de villes souterraines. Ces attraits naturels et culturels sont pour une bonne part liés à l'histoire géologique de la Cappadoce et à l'exploitation par la nature et par l'Homme, de formations géologiques singulières.

 

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Habitations troglodytiques

 

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Eglise troglodytique à Göreme

 

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Un éboulement permet d'observer la structure d'une cité souterraine

voir également la cité souterraine de Deryncuju

 

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La Cappadoce (vue satellite Google Maps)

 

L'histoire géologique de la Cappadoce n'est pas très ancienne et remonte au Miocène (vers 10-15 millions d'années). Depuis cette époque, la Cappadoce a été le plus souvent une région topographiquement déprimée et occupée par des lacs, dont on retrouve les traces sous forme de sédiments fins, dont les argiles utilisées par les potiers du secteur d'Avanos.

 

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La Cappadoce au soleil levant

 

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Le plateau anatolien est entaillé de nombreuses vallées

 



Survol en mongolfière de la Cappadoce

 

Depuis le Miocène et jusqu'à la période préhistorique, une activité volcanique très importante s'est développée dans toute la région. Sont encore visibles les deux grands volcans Hasan Dağ, à proximité d'Aksaray et Erciyes, à proximité de Kayseri. Ces deux volcans ont une morphologie bien préservée car ils sont très récents (autour de 2 millions d'années probablement, les dernières éruptions datant probablement de la période préhistorique). Cependant ils ne constituent qu'une partie infime en volume du volcanisme de Cappadoce et dans 2 ou 3 millions d'années, l'érosion les aura fait disparaître du paysage.

 

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Le volcan Hasan Dağ

 

Les formations volcaniques de la région sont pour l'essentiel plus anciennes et sont des ignimbrites vulgairement appelées tufs volcaniques. On appelle ainsi des dépôts de particules volcaniques (pyroclastes) de taille infra-millimétrique (cendres) à centimétrique (ponces), mis en place par des écoulements pyroclastiques, c'est-à-dire des écoulements biphasés où le milieu de transport des particules est le gaz émis par l'éruption. Les ignimbrites sont typiquement produites par des éruptions explosives de grand volume : chaque dépôt ignimbritique a ainsi un volume de quelques centaines voire milliers de km3 et couvre une surface de dizaines ou centaines de milliers de km2.

 

Au cours des éruptions ignimbritiques, on observe systématiquement la formation d'un immense cratère, ou caldeira, dont le diamètre va typiquement de 5 à 15 km. Cette caldeira se forme par effondrement des roches qui surmontent le réservoir magmatique (en général à quelques kilomètres seulement sous la surface terrestre), lorsque ce réservoir se vide de ces énormes volumes de magma.

 

En Cappadoce, les études géologiques ont montré qu'il existe 7 à 8 ignimbrites principales d'au moins 500 km3 chacune, mises en place entre 14 et 3 millions d'années environ. Les caldeiras qui ont accompagné les éruptions de ces ignimbrites ne sont plus visibles dans le paysage et sont depuis longtemps comblées par les phénomènes d'érosion et de sédimentation. La plupart étaient concentrées dans la zone entre Nevşehir et Derinkuyu. Il est donc faux d'attribuer ces grandes formations ignimbritiques aux volcans Hasan Dağ ou Erciyes comme on le trouve souvent écrit à tort.

 

Les ignimbrites sont des formations clastiques, assemblages chaotiques de ponces et de débris de roches dans une matrice cendreuse. Meubles (et chaudes!) au moment de leur dépôt, elles peuvent s'indurer à des degrés divers. Dans certains cas, elles se compactent fortement dès leur dépôt et les particules encore à haute température peuvent se souder entre elles, donnant finalement une roche très compacte et très dure : les unités ignimbritiques nommées Valibaba Tepe et Kızılkaya dans la stratigraphie de la Cappadoce, en sont d'excellents exemples. Dans d'autres cas, elles restent relativement tendres et friables, comme par exemple les unités Zelve et Cemilköy de Cappadoce. Ce sont ces variations de résistance mécanique, faible dans certaines ignimbrites, meilleure dans d'autres, qui ont été utilisées en Cappadoce, par la nature pour donner les reliefs ruiniformes et les cheminées de fée, par l'Homme pour creuser les habitations troglodytiques et les villes souterraines.

 

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La demoiselle est coiffée d'un bloc plus dur

 

Les cheminées de fée typiques (appelées demoiselles coiffées dans la région d'Embrun en France) sont formées d'une colonne surmontée d'un bloc, ce bloc étant constitué d'une roche plus dure et plus résistante à l'érosion. Le ruissellement par les eaux de pluie tend à contourner ce casque et à affouiller les roches tout autour, pour former finalement la colonne que le bloc protège. La force du vent a également un impact non négligeable tout comme la succession de périodes de gel et de dégel qui détruit la roche par dilatation.

 

Le poids de la roche dure qui surplombe la colonne renforce également la résistance de la colonne. En effet, le poids  du casque applique une pression interne sur les couches de la colonne. Cela conduit à un compactage des roches qui renforce la résistance. Des phénomènes de calcification des colonnes permettent également d'améliorer la résistance.

 

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Différentes étapes de la formation des cheminées de fée

 

Pour en revenir à la Cappadoce, la petite ville d'Ürgüp, cœur de la Cappadoce touristique, et d'autres villages touristiques des alentours (Uçhisar, Ortahisar, İbrahimpasa par exemple), sont installés dans l'unité stratigraphique la plus ancienne, dénommée Kavak dans la stratigraphie régionale. Il s'agit en fait d'un ensemble de plusieurs unités ignimbritiques, séparées localement par des cordons d'alluvions de rivière ou d'autres sédiments, mais le tout est relativement homogène, donnant des entaillements fortement pentés voire subverticaux de roches à teinte jaunâtre, dans lesquelles se développent facilement des cheminées grossières et irrégulières.

 

Plus au Nord, on observe le passage des ignimbrites Kavak à l'unité ignimbritique sus-jacente, dite Zelve. Au site même de Zelve, les cheminées de fée sont formées dans la partie sommitale de l'unité Kavak et sont coiffées de fragments d'un dépôt plus induré et moins friable qui correspond aux retombées de ponces marquant le début de l'éruption Zelve.

 

L'ignimbrite Zelve se voit au-dessus et alentour, formant des versants irrégulièrement et finement incisés dans une roche plus tendre, blanche dans sa partie basse puis passant progressivement vers le haut à des teintes rose à rougeâtre, cette variation de teinte étant due à l'oxydation des minéraux ferreux de l'ignimbrite par les eaux d'infiltration.

 

Des bancs subhorizontaux de calcaire lacustre plus dur surmontent et protègent l'ignimbrite Zelve dans ce secteur, formant le sommet des collines résiduelles en rive gauche du Kızılırmak.

 

La vallée d'Ilhara est un autre site touristique de la Cappadoce, dans sa partie occidentale. Là, une vallée verdoyante est limitée par des falaises verticales où des niches troglodytiques perchées à différents niveaux semblent inaccessibles. Dans ce site pittoresque, les falaises sont entaillées dans l'une des ignimbrites supérieures de la Cappadoce, l'ignimbrite Kızılkaya, âgée d'environ 5 millions d'années. Cette ignimbrite est la plus étendue de Cappadoce et se retrouve jusqu'en limite du bassin de Kayseri. C'est aussi la plus résistante à l'érosion, car elle est fortement soudée. Elle forme ainsi le sommet des plateaux, marqués par une petite falaise de 5 à 10 de mètres de haut, autour du bassin d'Ürgüp. À Ilhara, l'ignimbrite Kızılkaya a été canalisée dans une vallée à l'époque de sa mise en place et se trouve sur-épaissie.

 

Voir également sur ce même blog : Bryce canyon et Les demoiselles coiffées des Hautes-Alpes

Photos et vidéo : André Guyard

Texte : d'après Jean-Louis Bourdier

 

Sources :

 

Documents locaux.

 

Bourdier J.-L. La Formation des Paysages de Cappadoce. Université d'Orléans, Dépt. de la Science de la Terre, BP 6759 / 45067, Orléans.

 

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