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05/11/2009

L'Escargot (14) : association de la gonade avec d'autres organes

L'ajout de sang d'escargot a montré que la spermatogenèse était induite par des facteurs humoraux. Il faut rechercher les organes effecteurs de ces facteurs masculinisants. On les trouvera dans le cerveau et le tentacule oculaire.


salière1.jpgL'Escargot (14) : association de la gonade avec d'autres organes

 

par André Guyard

(suite de l'Escargot 13)

 

 

Nous avons vu dans les précédents articles que la culture organotypique de la gonade d'Escargot isolée sur milieu anhormonal mettait en évidence le phénomène d'autodifférenciation femelle. Ce qui signifie que le sexe femelle se réalise spontanément chez l'Escargot.

 

Pour que la spermatogenèse puisse aboutir, il est nécessaire d'ajouter au milieu de culture de l'hémolymphe d'animaux dont la gonade va s'engager dans le processus spermatogénétique. La réalisation du sexe gamétique mâle est sous la dépendance de facteurs humoraux dont la sécrétion varie en fonction de la saison et dont il s'agit de déterminer l'origine. Parmi les différents effecteurs possibles, nous n'évoquerons ici que ceux qui se sont révélés efficaces.

 

L'article 11 de la présente série mettait en évidence deux organes neurosécréteurs : ganglions cérébroïdes et ganglions du tentacule oculaire. La culture organotypique en permettant des associations d'organes permet d'éprouver directement l'influence d'un organe effecteur sur un organe récepteur.

 

Mais auparavant, j'ai éprouvé une action endocrine possible de la gonade elle-même ou de son tissu conjonctif environnant.

 

Association de la gonade avec d'autres gonades


Association de l'ovotestis juvénile et de la gonade adulte

L'association de glandes hermaphrodites d'âge différent devrait permettre de mettre en évidence une éventuelle action endocrine du tissu gonadique sur le tissu germinal.
En fait, les deux explants se soudent pour ne plus former qu'une culture unique. L'ensemble se comporte comme une gonade isolée. L'explant le plus jeune s'intègre à l'autre et l'ensemble suit la loi de l'autodifférenciation ovocytaire (Planche I, fig. 1 & 2).
 
3_culture_gonade+gonades_pl_40.jpg
Planche I : Association de la gonade avec d'autres gonades
Ov : ovocytes ; Sg : spermatogonies ;
Eg : épithélium germinatif : Ce : canalicule efférent ;
T : testicule de paludine ; Gh : glande hermaphrodite.

Dans la glande hermaphrodite, les phases mâle et femelle n'étant pas séparées, on pourrait penser que l'action éventuelle d'un agent passe inaperçue. Postulant l'existence de substances gonadotropes non spécifiques, j'ai envisagé la possibilité d'interactions entre gonades de Mollusques à sexes séparés et ovotestis.

paludine_femelle.jpg
Paludine femelle (Viviparus viviparus L.)

Association de l'ovotestis juvénile d'Escargot et de l'ovaire de Paludine
 
J'ai utilisé la glande génitale de la Paludine (Viviparus viviparus L.), Gastéropode Prosobranche d'eau douce à sexes séparés, pour l'associer en culture avec l'ovotestis d'Helix aspersa Müll. sur milieu anhormonal.
 
Ovotestis+uter_pal_0091.jpg
Association ovaire de Paludine-ovotestis juvénile
Dans l'ovotestis, on note la présence d'ovocytes en prévitellogenèse

Chez la Paludine, lorsque l'ovogenèse est terminée, le tissu ovarien est dépourvu de cellules germinales et se confond avec le conjonctif environnant. L'expérimentation se trouve limitée en mai-juin.
 
Dans la culture isolée d'ovaire de Paludine, on note un accroissement du nombre et de la taille des ovocytes sans qu'ils puissent atteindre la vitellogenèse. (B. Griffond).
 
Dans le cas de l'association ovotestis d'Escargot-ovaire de Paludine, aucune interaction n'a pu être décelée. L'ovotestis n'a pas d'effet visible sur l'ovaire. Réciproquement, l'ovaire ne peut expliquer la "féminisation" de l'ovotestis , phénomène qui relève de l'autodifférenciation ovocytaire. Toutefois la lignée mâle disparaît rapidement de la cavité des tubules de l'ovotestis puisqu'au bout de trois jours, quelques rares spermatogonies sont encore présente (Fig. 3).
 
Association de l'ovotestis juvénile d'Escargot et du testicule de Paludine
 
  • Association ovotestis juvénile-testicule au repos

Dans le testicule, la spermatogenèse est terminée : il n'y  a plus que des spermatozoïdes matures. Cette association ne perturbe pas la manifestation de l'autodifférenciation ovocytaire dans la glande hermaphrodite (Fig. 4). La lignée mâle dégénère au rythme normal (ci-dessous).
 
Ovotestis+testPal_0161.jpg
Testicule de Paludine au repos (en bas)-ovotestis en haut
L'autodifférenciation ovarienne se manifeste dans l'ovotestis

  • Association ovotestis juvénile-testicule actif

Le testicule a une action bénéfique sur la survie de la phase mâle dans l'ovotestis (Fig. 5). Après 14 jours de culture la survie est excellente et les figures de mitoses spermatogoniales nombreuses (Fig. 6 et ci-dessous). La lignée femelle se maintient mais il n'apparaît pas d'ovocytes néoformés durant les 15 premiers jours de culture. Puis la lignée mâle dégénère alors que de nombreuses cellules épithéliales se différencient en ovocytes.
 
Ovotestis+testPal_0211.jpg
Testicule de Paludine-ovotestis juvénile
Les deux lignées gamétiques sont visibles dans l'ovotestis

L'action testiculaire différentielle sur la lignée mâle ne relève pas d'une action hormonale directe puisque le testicule lui-même, en culture isolée, est incapable d'assurer le maintien et la différenciation de ses propres gonocytes.
 
Associations de la gonade avec le ganglion cérébroïde

culture_gonade-gc-macro_341.jpg
Culture ganglion cérébroïde-gonade (à droite)

4_culture_gonade_gglion_cerebroide_pl_41.jpg
Planche II : Association autologue gonade-ganglion cérébroïde

1. Associations autologues gonade-ganglion cérébroïde
 
Ce type d'expériences permet de mettre en évidence l'influence directe du ganglion cérébroïde d'un sujet sur son propre tissu gonadique. Le prélèvement du ganglion cérébroïde s'accompagnant de celui des organes adjacents inclus dans la gaine périganglionnaire (glande céphalique et corps dorsaux), le résultat doit être attribué à l'ensemble de ces tissus.

  • Ébauche gonadique et ganglion cérébroïde

Au contact direct avec le ganglion cérébroïde, (Planche II, fig. 1), dans l'ébauche gonadique au moment de la mise en place de l'épithélium germinatif, ce dernier émet des spermatogonies qui envahissent la lumière (Fig. 2 et ci-dessous). Tout se passe comme si la gonade était restée dans l'organisme. L'autodifférenciation ovocytaire est inhibée. Cette action persiste pendant la phase mâle de la gonade. Mais si l'on prolonge la culture au-delà de 15 jours, l'autodifférenciation ovocytaire se manifeste (Fig. 5). On notera la fusion des deux organes en une chimère unique (Fig. 4).
 
gonade+gc_auto1.jpg
Association autologue ébauche gonadique-ganglion cérébroïde
Spermatogenèse active et ovogenèse absente

  • Ovotestis juvénile et ganglion cérébroïde

À l'époque de la cohabitation des deux lignées gamétiques dans la gonade, le ganglion cérébroïde n'est plus apte à refréner l'autodifférenciation ovocytaire (Fig. 3). Après une semaine de culture, la zone la plus proche du cerveau se révèle la plus pauvre en ovocytes (Fig. 4) alors que dans la partie la plus éloignée de la zone de contact, l'autodifférenciation femelle n'est pas inhibée et la paroi se couvre de jeunes ovocytes (Fig. 5 et ci-dessous).
 
gonade+gc_autologue81.jpg
Association homologue d'ovotestis juvénile
et ganglion cérébroïde
Après 15 jours de culture, la lignée mâle dégénère tandis que
l'autodifférenciation ovocytaire se manifeste sur les parois.

Quelques jours plus tard, le phénomène s'étend à la zone de contact (Fig. 6 et ci-dessous). Puis les ovocytes entrent dans la phase de grand accroissement et dans les plus gros dont le diamètre atteint 30 µm apparaissent les aréoles de prévitellogenèse, mais aucun signe de vitellogenèse ne se manifeste au cours de la culture.
 
gonade+gc_autologue71.jpg
Association homologue d'ovotestis juvénile
et ganglion cérébroïde
Après 20 jours de culture, les cellules-souches de
l'épithélium germinatif se différencient en ovocytes

  • Ovotestis adulte et ganglion cérébroïde

Lorsqu'elle est pratiquée hors de la période spermatogénétique, l'association autologue ovotestis adulte-ganglion cérébroïde ne permet pas le maintien de la lignée mâle.
 
Il semble donc que la perte du pouvoir masculinisant cérébral coïncide avec l'apparition de la phase femelle dans la gonade. Le fonctionnement du cerveau est donc sexualisé. Il est mâle pendant la période postembryonnaire et durant les phases annuelles  de spermatogenèse active. Ailleurs, il perd cette faculté. Devient-il femelle ou neutre ? Quel rôle peut-il jouer dans l'ovogenèse puisque la gonade  autonome est capable de se sexualiser dans le sens femelle ? Pour tenter de répondre, j'ai éprouvé l'influence du cerveau adulte sur la gonade indifférenciée ou en phase mâle.
 
2. Associations homologues et hétérologues gonade-ganglion cérébroïde
 
  • Association gonade postembryonnaire-ganglion cérébroïde en période d'ovogenèse
 
Dans ce type d'association, la gonade indifférenciée évolue dans le sens femelle. Il en est de même de la gonade en phase mâle (Planche III, fig. 1). Ce résultat n'a rien d'étonnant puisqu'il peut relever entièrement de l'autodifférenciation ovocytaire. Cependant, si l'on tient compe de la vitesse d'accroissement des ovocytes et du diamètre qu'ils atteignent, il semble que le cerveau d'animaux en ovogenèse ait une action stimulante sur l'auxocytose (Planche III, fig. 2 et ci-dessous).
 
culture_gonade-gc-351.jpg
Association homologue cerveau adulte-gonade juvénile
La gonade repérable par ses ovocytes est complètement incorporée
dans cet organe chimère (34 j de culture).

thèse_pl42-1.jpg
Planche III : Association gonade juvénile-ganglion cérébroïde adulte
Ov : ovocytes ; GC : ganglions cérébroïdes ;
Gh : glande hermaphrodite.

Fig_N_diamètre ovocytaire_culture1.jpg
  • Association gonade postembryonnaire-ganglion cérébroïde adulte en période de spermatogenèse
 
Dans ce type d'association, le blocage de l'autodifférenciation ovarienne est effectif dans la gonade indifférenciée ou en phase mâle. Dans l'ovotestis juvénile, les ovotestis présents à l'explantation s'accroissent pour atteindre 30 à 40 µm de diamtère et amorcent leur prévitellogenèse  (Planche III, fig. 2 et 3). En revanche, les cellules indifférenciées le demeurent et les spermatogonies continuent à remplir les utricules gonadiques, même après plus d'un mois de culture. Mais jamais la spermatogenèse n'aboutit comme ce fut le cas dans les cultures sur milieu enrichi en hémolymphe d'hiver.
 
  • Association ovotestis juvénile-cerveau de Paludine mâle

Les ovocytes sont immédiatement nécrotiques et les noyaux des spermatogonies deviennent pycnotiques (Planche III, fig. 4).

  • Association ovotestis juvénile-cerveau de Paludine femelle

Dans ces conditions, la gonade se féminise et la phase spermatogoniale est pycnotique. Chaque cellule-souche se différencie en ovocyte, de sorte que la paroi est totalement ceinturée d'ovocytes au bout de huit jours (Planche III, fig. 5 et 6). Féminisation ou autodifférenciation ovocytaire ?  L'auxocytose est favorisée puisqu'une semaine après l'explantation le diamètre moyen ovocytaire oscille autour de 30 µm alors qu'il ne dépassait 20 µm en culture gonadique isolée sur milieu anhormonal. Là non plus on n'atteint pas la vitellogenèse.
 
Les résultats sont résumés par ce diagramme :
 
thèse_pl44-22.jpg
Influence du cerveau sur la gonade en culture

D'ores et déjà, on peut tenter de traduire ces résultats par un schéma hypothétique résumant les mécanismes de contrôle de la gamétogenèse par le cerveau chez Helix aspersa.
 
Fig_O_cerveau_gonade1.jpg
 
 
 
3. Association gonade-tentacule oculaire

thèse_pl42-2.jpg
Plance IV : gonade juvénile-tentacule adulte (Fig. 1)
gonade juvénile-cerveau-tentacule adulte (Fig. 2)
TO : tentacule oculaire ; Sg : spermatogonies

  • Associations autologues gonade-tentacule oculaire

culture_gonade+to-macro541.jpg
Association autologue gonade + tentacule oculaire

Dans l'association autologue ébauche gonadique indifférenciée-tentacule oculaire, l'autodifférenciation ovocytaire ne se manifeste pas (Planche IV fig. 1, planche V fig. 1 à 3 et ci-dessous). La gonade reste remplie de spermatogonies. L'épithélium germinatif reste formé de cellules souches. Mais si l'on prolonge la culture, apparaissent au-delà de 15 jours quelques ovocytes pariétaux. Comme dans le cas du ganglion cérébroïde, la substance active responsable de la répression de l'autodifférenciation ovocytaire paraît s'épuiser.
 
gonade+gc+to21.jpg
Aspect de la gonade après huit jours de culture
Multiplication spermatogoniale,
pas d'autodifférenciation ovocytaire.

5_culture_gonade_tentacule_cerveau_pl_43.jpg
Planche V : association autologue gonade-tentacule (Fig. 1-4)
association autologue gonade-tentacule-cerveau (Fig. 5-8)
Gh : glande hermaphrodite ; TO : tentacule oculaire ;
Gc : ganglion cérébroïde ; Sg : spermatogonies.

  • Associations homologues gonade-tentacule oculaire adulte

L'influence inhibitrice du tentacule oculaire sur l'ovogenèse est constante tout  au long de la vie de l'Escargot. Dans l'association ébauche gonadique-tentacule adulte, l'autodifférenciation femelle ne se manifeste pas davantage (Planche V, fig. 7). On peut alors se demander s'il n'existerait pas des interactions entre tentacule oculaire et cerveau. Pour contrôler cette hypothèse, il fallait réaliser l'association triple.
 
4. Association du complexe ganglion cérébroïde-tentacule oculaire avec la gonade
 
5_culture_gonade_tentacule_cerveau_pl_43-551.jpg
Triple association cerveau-gonade-tentacule oculaire
(macrophotographie)

5_culture_gonade_tentacule_cerveau_pl_43-561.jpg
Triple association cerveau-gonade-tentacule oculaire
(coupe histologique)

L'association du complexe ganglion cérébroïde-tentacule oculaire avec l'ébauche gonadique aboutit à une répression de l'autodifférenciation ovocytaire. Le résultat n'a rien d'étonnant puisque chaque organe pris isolément a la même influence sur les gonocytes. L'action du complexe n'est même pas renforcée puisqu'on note des signes d'échappement à l'inhibition dès le dixième jour (Planche V, fig. 8) et que l'autodifférenciation femelle est active après quinze jours de culture. S'agit-il d'un épuisement du principe actif, d'un dysfonctionnement des organes ? Le tentacule n'est-il qu'un relais cérébral ou vice versa ?
 
De même, l'association du complexe ganglion cérébroïde-tentacule oculaire adulte avec l'ébauche gonadique confirme la constance de l'effet inhibiteur tentaculaire (Planche IV, fig. 2). Tout se passe comme si le cerveau était absent. L'influence du tentacule supplante celle du cerveau.
 
En conclusion, le comportement endocrine du cerveau est modulé. Au début de la vie postembryonnaire, il favorise la multiplication spermatogoniale et renouvelle cette action au début de chaque phase spermatogénétique. Puis il ne peut s'opposer à la formation d'ovocytes pariétaux en début d'accroissement. Le blocage de la croissance ovocytaire qui coïncide avec le déroulement de la spermiogenèse serait dû à l'intervention d'une hypothétique inhibition. C'est là que le tentacule oculaire pourrait tenir un rôle. En phase mâle, effets cérébral et tentaculaire se conjuguent. En phase femelle, ils se soustraient. Le diagramme ci-dessous illustre cette hypothèse.
 
Fig_P_mécanismes_différenciation1.jpg
thèse_pl46-1.jpg
Résultats des associations gonade-cerveaui-tentacule oculaire

Culture organotypique : conclusion générale

L'étude endocrinologique de la différenciation de la glande hermphrodite fondée sur des techniques de culture organotypique permet de dégager les faits suivants relatifs à la sexualisation des gonocytes.
 
- Toute cellule de l'épithélium germinatif est capable d'acquérir spontanément l'état germinal à partir d'une cellule souche.
 
- Tout gonocyte indifférencié évolue normalement en ovocyte trahissant un phénomène anhormonal d'autodifférenciation femelle.
 
- La gamétogenèse mâle, marquée par une multiplication spermatogoniale intense, ne peut s'effectuer qu'en présence d'un facteur masculinisant présent dans l'hémolymphe d'animaux en spermatogenèse. Les ganglions cérébroïdes de tels animaux inhibent la manifestation de l'autodifférenciation ovocytaire. Cette observation constitue un indice de l'intervention d'hormones dans le contrôle de la spermatogenèse. Le comportement endocrine du cerveau serait sexué et son action positive sur la différenciation mâle ne s'exercerait qu'à l'époque de la spermatogenèse. En revanche, le tentacule oculaire s'oppose constamment à la réalisation de l'ovogenèse.

- le déroulement de la gamétogenèse nécessite l'intervention de facteurs supplémentaires qu'il reste à identifier.
 
Suite et fin : l'Escargot 15.
 
Sources

- Guyard A. (1971) - Étude de la différenciation de l'ovotestis et des facteurs contrôlant l'orientation sexuelle des gonocytes de l'Escargot Helix aspersa Müller. Thèse d'État soutenue à la Faculté des Sciences de l'Université de Franche-Comté.
 

- Documents inédits tirés de la photothèque personnelle de André Guyard.

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