17/04/2010
La Moule perlière d'eau douce
La Moule perlière d'eau douce
Margaritifera margaritifera (L. 1758)
Famille des Margaritiféridés
par André Guyard
Pour s'assurer de la qualité des eaux douces, l'Onema inspecte 1500 sites de rivières tous les deux ans et 200 lacs tous les six ans.
La directive-cadre européenne (DCE) exige de définir les équilibres naturels entre espèces ainsi que la productivité optimale d'une rivière. Cette dernière se calcule en kilos de poissons par hectare de rivière. Pour l'instant, on estime qu'une rivière à cyprinidés "produit" de 200 à 600 kilos de poissons par hectare... une fourchette trop vaste pour avoir une idée précise du "bon état écologique" exigé par la DCE. Mais on manque de références historiques comme l'explique Philippe Barran : «La morphologie de presque tous nos cours d'eau a été modifiée depuis la révolution industrielle.»
Pour essayer de définir un bon état écologique de base, la meilleure approche est d'étudier la petite centaine de ruisseaux qui ont traversé les siècles sans dommages : le Chabot, la Lamproie de Planer, l'Écrevisse à pattes blanches et la Moule perlière y vivent encore. Ces quatre espèces sont évaluées dans le Morvan par un programme européen Life. Ces espèces sentinelles de la qualité des sites aquatiques sont appelées espèces indicatrices.
Parmi les espèces indicatrices de la qualité des sites aquatiques d'eau douce est la Mulette perlière ou Moule perlière (Margaritifera margaritifera). En France, son aire de répartition couvre l'essentiel des massifs cristallophylliens du territoire métropolitain français : Massif Armoricain, Massif Central, Morvan, Alpes et Pyrénées, à l'exclusion du bassin du Rhône. Elle était jadis si abondante que ses perles ont orné colliers et parures jusqu'au milieu du XXe siècle. C'est un mollusque lamellibranche des rivières claires d'Europe, de Russie, du Canada et de la façade Est des États-Unis, une espèce désormais protégée et connue pour sa durée de vie exceptionnelle (plus d'un siècle). Dans la nature, on rencontre une perle pour mille individus. À l'occasion du baptême de son fils, le futur Louis XIII, Marie de Médicis exigea une robe entièrement recouverte de milliers de perles venues des rivières françaises. On imagine l'hécatombe engendrée par ce caprice royal !
Le schéma ci-dessus montre une coupe de la coquille et du manteau d'une moule.
Le manteau est un repli tégumentaire qui enveloppe le corps de la moule. L'épiderme (en rouge) est replié sur le derme (2 en jaune). Sa face externe (3) secrète la coquille et la face interne (1) limite la cavité palléale.
La coquille présente trois couches : une couche externe : la cuticule ou périostracum (6 en jaune), pellicule cornée formée d'une substance organique la conchyoline ; une couche moyenne ou ostracum (5 en violet), formée de prismes constitués par des lames calcaires noyés dans de la conchyoline ; une couche interne, la nacre ou hypostracum (4 en bleu) formée de minces lamelles de conchyoline imprégnées de calcaire. Les interférences entre les rayons lumineux réfléchis par ces différentes lamelles donnent une irisation particulière à la nacre. Cette couche lamelleuse est sécrétée par toute la surface de la face externe du manteau. De sorte que l'accroissement en épaisseur de la coquille est due uniquement à la nacre qui participe à la réparation des brèches de la coquille et éventuellement à la formation de perles englobant des particules introduites accidentellement entre manteau et coquille. Ainsi, le germe d'une perle peut être un fragment de manteau voire un débri de coquille ou même un microinvertébré.
La Mulette est un mollusque lamellibranche qui se reconnaît à sa forme allongée. Les adultes mesurent de 8 à 14 cm et vivent aux deux tiers enfoncés dans le sédiment (sable ou gravier), en position quasi verticale. La Mulette filtre ainsi environ 50 litres d'eau par jour, se nourrissant des particules véhiculées par les courants. Pour résister au froid, elle exige un substrat gravillonnaire, voire sableux, lui permettant de s'enfouir, parfois plusieurs années. Elle est donc très sensible à la sédimentation des rivières constituant son habitat : la baisse des débits, colmatant les fonds, entraîne systématiquement sa disparition, bien qu'on observe parfois des déplacements volontaires de sujets adultes (baisse des niveaux d'eau ou augmentation de la turbidité).
Dissection de la Mulette
Le schéma ci-dessus représente une dissection de la Mulette. 1. : muscles adducteurs ; 2. : estomac ; 3. : bouche ; 4. : ventricule cardiaque ; 5. : gonade ; 6. : canal excréteur ; 7 : rein ; 8. : branchie ; 9 : pied ; 10. : palpes labiaux.
Biologie
L'espèce a besoin d'une eau bien oxygénée pour assurer un cycle de reproduction complexe. "Cela impose qu'on ne perturbe pas la morphologie d'une rivière et que les eaux restent pures. Deux conditions qui n'ont cessé de reculer", explique Pierre Durlet, gérant du programme du Morvan. La France aura donc atteint le bon état écologique de ses eaux quand on reverra en bijouterie des colliers de perles de moule. C'est en tout cas le but recherché par les écologues. Les gestionnaires de l'eau se contenteraient de beaucoup moins.
Le cycle de vie de la Moule perlière est associé à celui de la Truite fario et à celui du Saumon atlantique, car les larves du mollusque se développent à l'abri des branchies de ces poissons, et uniquement de ceux-ci.
Les sexes sont séparés. Pour la reproduction, le mâle libère ses spermatozoïdes dans l'eau, ils rejoignent alors les ovules, très abondants de la femelle. Après fécondation, l'œuf commence son développement dans la cavité palléale de la femelle. Il évolue en une larve, nommée glochidium, qui est incubée par la femelle pendant un mois. La taille de 0,05 mm atteinte, la larve est libérée dans le cours d'eau. Le glochidium est doté d'une coquille bivalve pourvue d'un crochet recourbé à l'intérieur et d'une sorte de filament adhésif. Cette larve va se fixer sur l'appareil branchial d'une Truite fario ou d'un Saumon atlantique, provoquant chez son hôte la formation d'une tumeur où se développe le glochidium, qui se nourrit par la surface de son manteau. Cette phase parasitaire dure en général quelques semaines (jusqu'à 10 mois), temps au bout duquel le glochidium devient un véritable bivalve en miniature de 0,5 mm. La larve s'enkyste alors dans les sédiments durant plusieurs années et poursuit sa croissance, pour atteindre sa maturité sexuelle à 20 ans.
La larve glochidium
La longévité de cette espèce est remarquable, puisqu'elle varie entre 20 et 30 ans pour les individus vivant dans les eaux plus chaudes du sud de l'Europe, à plus de 150 ans pour ceux de Scandinavie.
État des populations
Cette moule constitue un excellent indicateur écologique. L'habitat de la Moule perlière correspond à des eaux fraîches, courantes, pauvres en calcaire, à fond de gravier ou de sable mais dépourvu de vase. Elle tolère très mal la présence de phosphates, ne supporte pas des eaux avec plus de 5 mg/l de nitrate et ne peut se reproduire avec plus de 1 mg/l ! (rappelons que la norme autorisée est 50 mg/l).
En tant que filtreur, elle accumule de nombreux toxiques (métaux lourds, pesticides...) qui peuvent la tuer ou nuire à ses capacités de développement et de reproduction. Il est possible que les perturbateurs endocriniens soient également un facteur de régression de l'espèce, comme c'est démontré pour d'autres mollusques.
La création de lacs de retenue (absence de courant), de microcentrales électriques (changement des débits), les pratiques agricoles (eutrophisation des cours d'eau, pollution par les pesticides, augmentation de l'érosion des sols et par suite de la turbidité), ainsi que l'introduction de truites arc-en-ciel (impropres au développement du glochidium) ont entraîné la quasi-disparition de cette espèce sur pratiquement toute son aire de répartition.
D'où le statut particulier de cette espèce, qui relève de l'annexe III de la Convention de Berne et sa cotation UICN : menacée d'extinction.
Protection
Suite au Grenelle de l'Environnement, la France a prévu un plan de restauration national, à décliner régionalement. La Directive cadre sur l'eau devrait contribuer à la restauration de la bonne qualité écologique des cours d'eau et des bassins versants, mais un certain nombre de paramètres critiques dont la turbidité restent préoccupants, voire montrent une dégradation. Le réchauffement climatique en mettant en été à sec les parties amont de cours d'eau est également un facteur de risque supplémentaire puisque Margaritifera margaritifera dépend de la présence de jeunes salmonidés, Saumon ou Truite fario.
C'est une espèce menacée de disparition en Europe de l'Ouest en 2008. En France, la moule perlière est encore présente dans une centaine de rivières en France suite au recensement réalisé par Gilbert Cochet dans les années 1990.
La production de perles de culture en Chine
En Chine, l'élevage de moules d'eau douce en vue de la production de perles de culture peut se pratiquer en lac naturel, en réservoir ou en étang.
Aquaculture de moules perlières au centre piscicole du District de Qingpu (Shanghai)
(Cliché F.A.O.)
Trois espèces de moules perlières y sont élevées en étang: Hyriopsis cumingi (la meilleure), Cristaria plicata et Anodonta woodiana. Pour provoquer la formation de perles, on implante manuellement, entre le manteau et la coquille de chaque moule perlière, plusieurs dizaines de petits morceaux du manteau de moules sacrifiées. L'on utilise ainsi en moyenne quatre manteaux par moule perlière et un ouvrier spécialisé peut préparer environ 30 moules perlières par jour.
Ces moules sont ensuite placées en étang, suspendues individuellement à un fil vertical. La densité de stockage est de 150-225 individus par 100 m2 de plan d'eau. Après deux étés (température de l'eau 20-25°C), l'on récolte jusqu'à 40-50 perles de culture par moule, en fonction du nombre de noyaux implantés.
La qualité des perles ainsi produites est très variable. Même si, étant principalement destinées en Chine à l'usage médicinal, leur forme et leur qualité n'ont pas la même importance qu'au Japon, leur prix peut varier du simple au triple selon qu'elles se classent en quatrième (700 yuans/kg) ou en première (2 000 yuans/kg) catégorie.
En moyenne, 100 moules perlières produisent 0,5 kg de perles de culture, soit un rendement de 0,75-1,125 kg par 100 m2 d'étang. Le revenu de cette activité aquacole peut donc être intéressant si la qualité des perles produites est bonne, particulièrement lorsque cet élevage se fait en lac naturel et en réservoir où il permet d'intensifier l'exploitation du milieu aquatique sans grand investissement. C'est, par exemple, le cas à la Commune populaire "Libération" (District de Qingpu, Shanghai), qui exploite ainsi le Dianshan Hu et produit annuellement 500 kg de perles.
Un grand merci à Gilbert Cochet, éminent spécialiste de la Moule perlière pour ses envois de clichés photographiques et les corrections apportées à cet article.
Sources :
Cochet G. (2004) La moule perlière et les nayades de France Catiche Productions Ed. 32 p.
Chauveau L. : Les moules perlières jouent les sentinelles (Sciences et Avenir, juin 2009).
Perles de culture en Chine : http://www.fao.org/docrep/005/AD016F/AD016F15.htm
18:56 Publié dans Invertébrés, Limnologie-hydrobiologie, Mollusques | Tags : moule perlière, mollusques, bivalves, eau douce, pollution, bioindicateurs | Lien permanent | Commentaires (19) | Facebook | | |