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06/07/2012

Créer des dents biologiques grâce à des cellules souches

01-Cellules souches.jpgCréer des dents biologiques

grâce à des cellules souches

 

par Sylvie Riou-Milliot

 

Encore un autre espoir de la médecine régénérative : cette technique est capable aujourd'hui de créer des dents biologiques grâce à des cellules souches (voir l'article sur ce blog concernant les potentialités des cellules souches). Plusieurs équipes de chercheurs dans le monde y sont déjà parvenues sur la souris. Des essais vont bientôt démarrer chez l'Homme. Et à terme cette technique remplacera la pose d'implants.

 

Or, un implant n'est finalement qu'une vis, le plus souvent en titane, fixée dans de l'os avec lequel elle fait bon ménage en raison de facteurs de biocompatibilité. Une technique qui se révèle en fait incomplète. « Si cette nouvelle architecture artificielle rétablit la fonction masticatoire, elle ne restaure en rien la fonction biologique, poursuit le spécialiste. Car un implant ne compense pas l'absence de pulpe dentaire, cette zone qui confère à la dent sa vitalité, ni celle du ligament alvéolodentaire, un élément essentiel qui assure un rôle d'amortisseur des forces masticatoires. Régénérer des dents serait donc nettement plus physiologique ! Grâce au développement de l'ingénierietissulaire et des biotechnologies, nous savons aujourd'hui que d'ici à quelques années à peine, cela sera possible. »

 

Recréer une biodent

 

D'après le Pr Henry Magloire, président de l'Institut français pour la recherche en odontologie (Ifro), enseignant à la faculté d'odontologie de Lyon et chercheur à l'Institut de génomique de Lyon : « Recréer une "biodent" est un véritable challenge pour les chercheurs. Quelques rares équipes dans le monde y sont déjà parvenues chezl'animal. Pour l'Homme, ce sera évidemment plus difficile car la dent est un organe complexe dont on n'arrive pas encore à contrôler ni la forme ni la taille, encore moins la couleur ou la direction dans laquelle la "néodent" va se former. »

 

C'est à Strasbourg, dans l'unité Inserm UMR 977, que l'équipe d'Hervé Lesot a réussi à générer in vitro une dent à partir de cellules embryonnaires de souris. Au Japon, d'autres chercheurs sont allés plus loin. « L'équipe du Pr EtsukoIkeda, de l'université des sciences de Tokyo, a elle aussi créé un germe dentaire, mais elle l'a ensuite réimplanté dans une mâchoire de rongeur », détaille le Dr Simon. Trente-cinq jours après, une dent entière avait poussé ! Son analyse histologique a prouvé que tous les tissus dentaires – dentine mais aussi émail, cément et pulpe – étaient bien présents dans cette nouvelle architecture. Cette dent s'est même révélée parfaitement intégrée à son milieu, sensible au chaud, au froid, à la douleur et de plus entièrement fonctionnelle. Depuis, toujours à Tokyo, en 2011, une autre équipe a trouvé une astuce pour gagner dix jours sur le temps de formation de la nouvelle dent. Les chercheurs ont fait se multiplier les cellules embryonnaires, les ont déposées sur un support en plastique, servant en quelque sorte de moule, qu'ils ont implanté au niveau du rein d'une souris. Cette zone, très bien vascularisée, a permis une croissance accélérée. Une fois développée, la dent a été incluse dans une mâchoire de souris. Et là encore, la fonctionnalité était au rendez-vous. Une stratégie qui augure, pour l'avenir, de la création de néodents pour réparer celles manquantes...

 

En France, à Paris, où un travail de régénération pionnier, a été réalisé en 2011 à la faculté d'odontologie de l'université Paris-Descartes. Les équipes des Prs Anne Poliard (EA2496) et Michel Goldberg (UMR 747) ont, grâce à l'implantation de cellules souches pulpaires, réussi à produire de la dentine, un tissu minéralisé de la dent sécrété par des cellules, les odontoblastes. « II s'agit là d'une approche très novatrice qui trouvera ses applications futures notamment dans le traitement des caries », salue le Pr Magloire. Un véritable espoir pour venir à bout d'un fléau qui représente la principale cause d'extraction dentaire (60 %) avant les maladies dites du parodonte (40 %).

 

"Nous avons d'abord établi des lignées cellulaires à partir de la pulpe des molaires d'embryons de souris en privilégiant celles de type A4 qui présentaient un potentiel de différenciation important pour former de la dentine », détaille Yassine Harichane, l'un des chercheurs ayant consacre une partie de sa thèse à ce sujet. Puis, munis d'une microfraise, les chercheurs ont ensuite creusé un minuscule trou dans la molaire de rongeurs de façon a provoquer une lésion pulpaire et l'ont comblée avec ou sans les fameuses cellules A4. « Trois semaines après environ, il y avait une néoformation dedentine dans le groupe traité ", précise le chercheur. « Le choix de la stratégie réparatrice dépendra en fait du degré d'atteinte de la lésion initiale, détaille le Pr Poliard. Si l'atteinte est modérée, et s'il subsiste de la pulpe saine, on pourra se contenter de stimuler les cellulessouches vivantes résiduelles par des facteurs de croissance. En revanche, si la lésion est très importante, quand la pulpe est totalement détruite, par exemple sur une dent cassée, il faudra utiliser un substitut de pulpe, c'est-à-dire un biomatériau dans lequel on aura inoculé des cellules souches qui reformeront du tissu. » Plusieurs équipes dans le monde y travaillent, comme celle du Pr Catherine Chaussain (EA 2496), toujours à l'université Paris-Descartes.

 

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Supports dotés de nanoréservoirs actifs

 

Une autre approche de nanomédecine régénérative, baptisée NanoRegMed, est, elle, actuellement suivie par une équipe Inserm à l'université de Strasbourg. « Nous avons développé une stratégie innovante avec des supports dotés de nanoréservoirs actifs, explique la coordonnatrice du projet, le Dr Nadia Benkirane-Jessel, directrice de recherches Inserm l'UMR 977. Nous travaillons plus particulièrement sur un peptide de contrôle de l'inflammationpulpaire que nous avons incorporé à unematrice qui a la consistance d'un gel ». Un gel qui permettrait non pas la prévention des caries – le brossage régulier demeure incontournable – mais leur traitement Comment ? En évitant de recourir à la dévitalisation de la dent et en régénérant la pulpe à partir du gel. Une start-up a même été créée, ARTiOSnanomed. Une phase de tests chez l'animal ayant obtenu des résultats encourageants, des essais sont maintenant prévus chez l'Homme et la start-up a entamé des négociations avec un poids lourd du secteur, la firme américaine Colgate-Palmolive.

 

Mais l'équipe voit déjà plus loin. Car de la dent à l'os, il n'y a qu'un pas. Aussi, à Strasbourg, orthopédistes et rhumatologues travaillent-ils en collaboration avec les dentistes et les biologistes. Objectif : développer des implants hybrides « intelligents » à base de nanoréservoirs de principes actifs et de cellules osseuses et cartilagineuses issues de cellules souches pour un jour, être en mesure de proposer des greffes d'os et de cartilage aux patients victimes de pathologies ostéoarticulaires, comme l'arthrose. D'ailleurs, créer aussi de l'os, des muscles, des nerfs..., c'est le rêve de tous ceux qui ont foi dans les promesses des cellules souches (lire Sciences et Avenir n° 722, avril 2007).

 

Biobanques dentaires

 

Une autre idée fait son chemin : congeler et stocker des cellules souches pulpaires obtenues à partir des dents de lait et des dents de sagesse, comme on le fait déjà avec les cellules issues du sang de cordon ombilical, des muscles, des nerfs..., c'est le rêve de tous ceux qui ont foi dans les promesses des cellules souches (lire Sciences et Avenir n° 739, septembre 2008).

 

La première biobanque dentaire est née au Texas (États-Unis) avec la société BioEden. Depuis, d'autres ont suivi, comme la société Stemsave qui, dans le Colorado, rétribue même les dentistes (90 dollars) qui acceptent de récupérer les dents de leurs patients... Le concept a également fait récemment son apparition au Royaume-Uni et en Suisse avec Future Health Biobank, autorisant le stockage privé et payant. La voie semblait donc toute tracée pour que la France se dote à son tour d'une telle structure. En juin 2011, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait même donné son feu vert à l'institut Clinident Bio-Pharma qui proposait le stockage d'une dent pendant vingt ans pour environ 120 € par an. Avant de revenir sur sa décision à l'automne, estimant que les travaux étaient trop préliminaires et contraires au principe de non-patrimonialité du corps humain reposant sur l'anonymat et la gratuité. Une exception française qui a enclenché une bataille judiciaire, toujours en cours.

 

Source :

Sylvie Riou-Milliot (2012). - Quand les dents repousseront,Sciences et Avenir n° 783, mai 2012, pp.72-75.

 

Les dents cachent une source inattendue de cellules souches (ajout d'octobre 2014)

 

Nous avons vu plus haut que la pulpe dentaire renferme une petite quantité de cellules souches. Durant l'été 2014, l'origine de ces cellules souches a été décelée par des chercheurs suédois : elles proviennent des nerfs de la dent.

Des cellules nerveuses migrent en effet régulièrement vers la pulpe, pour retourner à l'état de cellules indifférenciées. Une vraie surprise pour les scientifiques. Comprendre le mécanisme de ce processus pourrait ouvrir la voie à un nouveau mode de fabrication de ces cellules souches très utiles, non seulement pour recréer des dents, mais également pour soigner de nombreuses maladies (voir l'article sur ce blog concernant les potentialités des cellules souches).

 

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Dans la pulpe de la dent (en orange), des cellules nerveuses redeviennent des cellules souches (Science & Vie n° 1165, octobre 2014, p. 36).