03/11/2015
Le réchauffement climatique en France
Le réchauffement climatique en France
Le réchauffement climatique à l'échelon de la planète
Environ 1°C, c'est l'amplitude des variations de températures au cours des 12 000 dernières années, bornée par les extrêmes du Petit Âge glaciaire (vers 1300-1850) et de l'optimum climatique (vers 5000 av. J.-C).
Or, la température moyenne dans notre pays s'est élevée de 1°C sous l'effet des émissions industrielles en un siècle et demi. Neuf années sur les dix réputées les plus chaudes des deux derniers siècles sont postérieures à l'an 2000. Plus encore que son ampleur, c'est la rapidité à laquelle se produit le phénomène qui inquiète les chercheurs.
"Cela n'a peut-être l'air de rien, mais cet écart représente 20% de la différence thermique séparant une période de glaciation d'une période 'normale'", relève Éric Brun, de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Unerc), un organisme placé sous l'autorité du ministère de l'Écologie. "Une hausse de la température de 1°C correspond, pour des régions comparables, au déplacement du climat de 180 km vers le nord ou de 150 m plus haut en altitude", enchaîne Serge Planton, directeur de recherche au Centre national de recherches météorologiques.
Si l'on prend comme repère l'organisme humain, il devient fiévreux à partir de 39°C ; s'il atteint 41°C, sa vie est menacée ; s'il retombe à 37°C, tout va bien. Deux degrés de plus ou de moins font une énorme différence.
Ce qui nous attend pour le siècle à venir ? Difficile d'être très précis : les climatologues se débattent avec plusieurs scénarios très différents d'émissions de CO2 et une flopée de modèles numériques dont les résultats ne convergent pas toujours (voir ci-contre). Il n'empêche, des tendances se dégagent nettement.
Avant la COP21, les États se positionnent
Du 30 novembre au 11 décembre se tiendra à Paris la COP21 c'est-à-dire la 21e Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Les "parties" sont les 195 états ayant ratifié cette convention de principe lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. La COP en est l'organe de décision suprême. Cette conférence est organisée chaque année dans une ville différente. Objectif affiché à Paris : obtenir un accord juridiquement contraignant pour contenir le réchauffement planétaire sous les 2°C en 2100.
En vue de la COP21, 150 États ont révélé leurs engagements à réduire leurs gaz à effet de serre d'ici à 2030 ou 2050. Bilan : ils ne permettront de limiter la hausse globale des températures qu'autour de 3°C d'ici à 2100. Au-dessus donc des 2°C recommandés par la communauté scientifique.
Les premiers de la classe
Dans les pays développés, U.E (-40 % par rapport à 1990) et les États-Unis (-28 % sur le secteur électrique). Dans les pays en développement, le Costa Rica (0 émission en 2021), l'Éthiopie (-62 %) et le Maroc (-32 %).
Les nouveaux venus
Chine, Inde, Brésil s'engagent pour la première fois à ne plus augmenter leurs émissions et à investir massivement dans les énergies renouvelables.
Les mauvais élèves
Australie, Canada et Turquie n'entendent pas cesser d'extraire ou d'utiliser des énergies fossiles et ne visent que de très faibles baisses. La Russie, elle, ne jouera que sur le puits de carbone de son immense forêt boréale.
Les absents
Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Irak, Nigeria. Venezuela, Qatar, Iran n'ont présenté aucune contribution.
Alors que les émissions des pays développés ont cessé de progresser ou baissent, celles de pays émergents (Inde et, surtout, Chine) augmentent. Mais ces pays se sont engagés pour la première fois à les limiter.
Malheureusement, les négociateurs qui affluent du monde entier vers Paris pour participer à la COP21, n'y pourront pas grand-chose ! "L'inertie du système climatique est telle qu'il n'est plus possible d'infléchir la tendance d'ici à 2050. lance Éric Brun. Les décisions prises en ce moment n'auront un impact que sur la seconde moitié du XXIe siècle. " II y a urgence quand on sait que 2015 est en passe de devenir l'année la plus chaude jamais enregistrée.
Le réchauffement climatique en France
Le magazine "Sciences & Vie" développe dans sa livraison de novembre 2015 un dossier spécial consacré au climat et fait le tour des régions françaises[1], hexagone et DOM-TOM compris. Nous empruntons à cette revue l'ensemble de son article d'introduction.
Il suffit d'ouvrir les yeux. Il suffit de prêter un peu attention à tel ou tel signe étrange dans le paysage, à ce petit détail qui cloche ou cette anomalie qui bouscule de vieux adages bien ancrés. L'évidence saute alors à la figure : le réchauffement climatique mondial est en train de transformer la France.
+2,4°C : le scénario le plus probable en France
Source : Ministère de l'écologie, du développement durable
et de l'énergie
La figure ci-dessus montre une projection du climat de la France des années 2070-2100... Une projection parmi d'autres, car il existe plusieurs scénarios d'émissions de CO2 (voir ci-dessous) et différents outils de simulation numériques. Nous avons choisi un scénario médian (trait vert, correspondant à un changement mondial de 1,7 à 3,2°C) simulé par le modèle Aladin-Climat exploité par Météo-France. Constat frappant : le changement climatique n'aura rien d'homogène à l'échelle du territoire ; la vallée du Rhône devrait subir un réchauffement trois fois supérieur à celui de la pointe du Cotentin ! Quelle que soit leur ampleur, ces dérèglements auront un impact sur les activités et les paysages les plus emblématiques de nos régions.
Évolution de la température en été et en hiver
Depuis maintenant plusieurs décennies, les indices s'accumulent dans tous les coins de l'Hexagone. Que ce soit en ville, à la campagne, à la montagne ou sur le littoral... En Lorraine, les semis de blé sont effectués un mois plus tôt qu'en 1970 ; dans le massif du Mont-Blanc, il faut des descendre chaque année une dizaine de marches supplémentaires pour accéder à la Mer de Glace ; à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), les vendanges ont été avancées d'environ trois semaines depuis les années 1950 ; dans le Maine-et-Loire, les pommiers fleurissent une semaine plus tôt que dans les années 1990 ; en Normandie, le rouget s'est invité à la table des restaurants gastronomiques : à Paris, les perruches côtoient les pigeons…
Dans l'Hexagone, le climat sera de plus en plus chaud tout au long de l'année, les canicules estivales vont se multiplier et l'été sera toujours plus sec sur l'ensemble du pays car la chaleur accentue l'évaporation des sols et la transpiration des plantes. Autant dire que le brûlant été 2003 est voué à devenir la norme...
Le régime des pluies sera aussi probablement impacté : les précipitations devraient augmenter en hiver et diminuer en été, avec un risque accru de pluies extrêmes. Tandis que le niveau des mers pourrait s'élever d'une cinquantaine de centimètres.
ÉVOLUTION EN ACCÉLÉRÉ
Peut-être que plus que son ampleur, c'est la vitesse du changement à venir qui interpelle : "Dans les cinquante prochaines années, nous devrions encaisser à peu près le même échauffement que lors du siècle dernier", pointe Serge Planton. Même si, à bien des égards, la société évoluera sans doute plus vite que le climat.
Personne ne peut rester indifférent à ces projections dans un pays comme le nôtre, si dépendant de ses terroirs et de ses climats. La France est le premier exportateur européen de céréales, le premier producteur mondial de vin, la première destination touristique, le plus grand domaine skiable du monde, un pays bordé par trois mers et un océan en élévation... "À ne pas chercher à s'adapter reviendrait à se tirer une balle dans le pied !", lance Éric Brun.
Bonne nouvelle : l'adaptation au nouveau climat est justement devenue un objet de recherche en soi. Avec, à la clé, des pistes pour l'avenir.
"Jusqu'à maintenant, nous nous sommes adaptés en fonction de l'experience acquise, par petits incréments, à l'image du décalage de la date des semis, analyse Thierry Caquet, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Mais vers 2030-2040, il faudra commencer à sortir des référentiels connus, avec l'apparition de nouvelles cultures, de nouveaux systèmes de production — pourquoi pas issus des pays du Sud. Ensuite, des décisions plus radicales devront être prises, peut-être l'abandon de cultures emblématiques."
D'ores et déjà, les agronomes se ruent sur leurs archives et leurs grandes collections de semences. Ils commencent aussi à analyser plants de vigne, arbres (fruitiers ou non), céréales ou espèces animales exploités dans les endroits les plus chauds et arides de la planète. À la recherche de tout ce qui serait capable de supporter un été caniculaire, un automne chaud ou même un hiver trop doux.
LOURDES DÉCISIONS
Ces problèmes peuvent paraître lointains. Erreur ! La question est déjà brûlante pour les forestiers, par exemple, dont les arbres plantés aujourd'hui seront exploités vers la fin du siècle. "Il existe un paquet d'incertitudes sur la capacité des arbres à s'adapter aux sécheresses extrêmes attendues, nous sommes dans l'inconnu, témoigne Hervé Le Bouler, de l'Office national des forêts (ONF). À vrai dire, toutes les essences sont susceptibles d'être mises en difficulté par ces stress hydriques. Il faut trancher... ça ressemble à une situation de guerre."
Un peu partout, de lourdes décisions devront être prises. Face à la montée du niveau de la mer, "les zones à forts enjeux industriels et humains (Dunkerque, Le Havre...) seront protégées à tout prix, annonce Eric Brun. Dans d'autres endroits, en revanche, il faudra accepter de cesser la lutte et d'abandonner des terrains à la mer".
Une chose est sûre : les conséquences dépasseront largement le simple décalage des vendanges ou de la date de floraison des pommiers et des mirabelliers.
Rien ne sera simple. De lourds investissements devront être consentis pour ériger des digues supplémentaires, inventer des systèmes d'irrigation, lancer une lutte massive contre des parasites ou des maladies mal connus, mettre en place des compétences inédites, imaginer de nouvelles filières économiques, s'adapter à d'autres rythmes de vie, se lancer dans de nouvelles cultures qui, au début, pourraient échouer lamentablement... "Les agriculteurs devront renégocier les cahiers des charges des appellations d'origine contrôlée de leurs produits, qui n'auront plus forcément le même goût ni le même aspect", avance Thierry Caquet.
Ici, il faudra peut-être faire le deuil d'une infrastructure emblématique devenue caduque : une station de ski, une promenade sur le front de mer, une route départementale... Là, abandonner des savoir-faire ancestraux. Des paysages typiques deviendront méconnaissables. Quelques itinéraires de promenade bien connus se révéleront trop dangereux. D'inquiétantes maladies, que l'on croyait réservées aux pays tropicaux, nous toucheront de plein fouet. Les ingrédients de certaines recettes traditionnelles seront plus difficiles à trouver.
Inutile, pour autant, de céder au catastrophisme : les Français sont loin d'être les plus mal lotis face au changement climatique. Notre territoire ne sera pas constamment submergé comme certaines parties du Bangladesh ou n'importe quelle île du Pacifique. "La France restera un pays tempéré, avec ses variations saisonnières qui lui sont propres — il y aura toujours des perturbations en hiver", rétablit Robert Vautard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Selon plusieurs modèles, la vitesse des vents violents aurait même tendance à s'atténuer dans l'Hexagone. Et il ne s'agirait pas non plus d'accuser le climat à tort et à travers à chaque nouvelle catastrophe naturelle.
DES VIGNES PARTOUT EN FRANCE
Surtout, le changement climatique ne peut se résumer à une douloureuse et tragique rupture d'équilibres. Des opportunités se présenteront aussi. Quoi qu'on en pense, le surplus de CO2 présent dans l'atmosphère stimule la croissance de nombreux végétaux ! Et puis, le déplacement de certaines espèces vers le nord crée de nouvelles possibilités sur ces territoires — toute la France sera bientôt éligible à la viticulture. Pour sa part, la raréfaction des périodes de gel ouvre le champ des possibles dans le nord-est de la France et dans les massifs montagneux. Plusieurs espèces aujourd'hui marginales sur notre territoire, comme le pin d'Alep ou le sorgho, pourraient enfin trouver la place qu'ils méritent. "Les cultures rustiques et diversifiées devraient prendre l'avantage sur les systèmes hyper-performants ", relève, non sans plaisir, Patrick Bertuzzi, directeur de l'unité de recherche Agroclim (INRA Avignon). Comme un air de revanche sur le productivisme et l'uniformisation à tout crin.
[1] Climat, le tour de France des régions Sciences & Vie n° 1178 novembre 2015, pp.46-128;
Voir également le dossier de Sciences et Avenir, n° 825, novembre 2015, pp. 56-63.
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Le réchauffement climatique dans l'Arc jurassien
Le réchauffement climatique
dans l'Arc jurassien
En pied d'article :
réchauffement climatique en Suisse
(26 novembre 2017)
Environ 1°C, c'est l'amplitude des variations de températures au cours des 12000 dernières années, bornée par les extrêmes du Petit Âge glaciaire (vers 1300-1850) et de l'optimum climatique (vers 5000 av. J.-C).
Le climat actuel affiche +0,8°C, une valeur atteinte en à peine un siècle et demi. Neuf années sur les dix réputées les plus chaudes des deux derniers siècles sont postérieures à l'an 2000. Plus encore que son ampleur, c'est la rapidité à laquelle se produit le phénomène qui inquiète les chercheurs...
Ça chauffe dans l'Arc jurassien
S'il affiche une moyenne générale de +0,8°C sur la planète depuis 1880, le réchauffement ne sévit pas partout de la même manière. Dans l'hémisphère nord, il est plus marqué dans le Nord que dans le Sud ; et dans les zones océaniques, une partie de l'énergie thermique est absorbée par l'immense volume d'eau de l'océan jusqu'à trois kilomètres en profondeur. Ces deux raisons expliquent que dans les régions continentales telles que l'Arc jurassien franco-suisse, le réchauffement est plus marqué : +1,5°C, presque un doublement de la valeur moyenne, qui se vérifie aussi bien sur les trente dernières années que sur l'ensemble du siècle passé.
Climatologue à l'Institut de géographie de l'université de Neuchâtel, titulaire de la chaire conjointe avec l'Institut fédéral de recherches WSL sur la forêt, la neige et le paysage. Martine Rebetez met en rapport les chiffres et les tendances. "La température moyenne du globe sur l'ensemble de l'année est aujourd'hui de 16°C. L'augmentation de 0,8°C a pour point de départ le tournant du XXe siècle. Le recul des glaciers, les transformations de la végétation et la montée des océans comptent parmi les preuves les plus visibles du réchauffement." La référence de +3°C retenue par la COP21 semble utopique. Comme d'autres spécialistes, Martine Rebetez estime que +4°C est une valeur plus réaliste à attendre du réchauffement : la machine est lancée, il faudrait prendre des mesures draconiennes sur l'ensemble de la planète pour la ralentir suffisamment, et vite. Car au-delà du phénomène lui-même, Martine Rebetez insiste sur la rapidité avec laquelle s'opère ce changement : un siècle a suffi pour voir la surface de la planète nettement transformée.
Évolution des températures durant l'holocène et l'anthropocène
Chercheur CNRS au laboratoire Chrono-environnement de l'université de Franche-Comté, Michel Magny est paléoclimatologue et partage cet avis. Ses travaux de mesure du niveau des lacs en Franche-Comté ont permis de reconstituer l'histoire du climat sur des milliers d'années, non seulement dans la région, mais aussi en Europe occidentale et méditerranéenne. Il précise la notion de climat. "Si la météo rend compte d'événements ponctuels, le climat, lui, représente la moyenne des événements météorologiques se produisant à un même endroit pendant trente ans."
Ötzi, 5300 ans, témoin du réchauffement
Glacier du Niederjoch, Alpes, frontière italo-autrichienne, environ 3300 av. J.-C., Ötzi s'écroule sous les flèches des ennemis le poursuivant. Rapidement enseveli sous la neige et la glace, son corps ne sera découvert qu'en 1991 au hasard d'une randonnée, sous forme d'une momie en parfait état de conservation.
Les variations du niveau des lacs du Jura qu'a étudiées Michel Magny, et qui renseignent sur l'histoire du climat en Europe, corroborent l'idée d'un brusque refroidissement du climat ayant pu s'accompagner d'une avancée notable du glacier à cette époque.
Comme elles montrent que depuis, aucune période de réchauffement n'a été comparable à celle que nous connaissons actuellement, postulat scientifique que confirme la découverte de « l'homme des glaces ». Ötzi est la preuve momifiée d'une situation de réchauffement inédite : sa bonne conservation, ainsi que celle de son équipement en matières périssables sont indirectement l'œuvre d'un froid suffisant et d'une glace pérenne au cours de ces cinq derniers millénaires. "Ötzi est un symbole et alerte sur l'ampleur du changement climatique et la rapidité du phénomène", prévient Michel Magny.
Ötzi, 5300 ans, témoin du réchauffement
Retour éclair à l'optimum climatique
Depuis un million d'années, le climat de la Terre suit des cycles de 100 000 ans, alternant glaciations et périodes interglaciaires, qui, beaucoup plus clémentes, durent 10 000 à 30 000 ans. Ces phases correspondent aux variations de l'orbite de la Terre autour du Soleil. À l'intérieur de ces grands cycles, on observe des oscillations du climat, dues à des variations de l'intensité du Soleil, que renforcent les altérations de l'activité volcanique et de la circulation océanique.
Notre climat s'inscrit dans une période interglaciaire appelée Holocène, démarrée voilà 11 700 ans. Selon un schéma classique, les températures ont suivi une courbe ascendante jusqu'à atteindre un optimum climatique, aux environs de 5000 ans avant J.-C. Depuis, la courbe de température suit un refroidissement progressif, ponctuée d'oscillations dont les variations de l'activité solaire... et désormais les activités humaines, sont responsables.
Michel Magny replace la situation actuelle à l'échelle de l'Holocène. Loin de noyer le siècle passé et les bouleversements qui l'accompagnent dans -20 000 ans d'histoire, la comparaison ne fait que mettre en valeur l'anomalie qu'elle représente, qui nous ramène presque aux valeurs de température de l'optimum climatique. L'homme est entré dans le circuit climatique, son impact devient plus prégnant que l'influence des planètes...
Les concentrations de gaz carbonique et de méthane dans l'atmosphère
à l'Anthropocène, comparées à celles des 600 000 années précédentes
(Croquis de Michel Magny)
C'est pourquoi Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, a baptisé "Anthropocène" la période que nous vivons depuis 1750, caractérisée par les débuts de la machine à vapeur, l'emballement de la Révolution industrielle au XIXe siècle, et une "grande accélération" depuis les années 1950, correspondant à l'avènement de la société de consommation dans les pays occidentaux, des modèles économiques axés sur la croissance, et l'aspiration de toute la planète à accéder au développement.
"L'Anthropocène, nouvelle ère géologique, est non seulement marqué par l'impact de l'activité humaine sur le climat, avec les gaz à effet de serre pour premier responsable, mais aussi sur l'environnement, le fonctionnement des écosystèmes se voyant perturbé comme jamais", explique Michel Magny.
D'après le n°1191 (décembre 2016) du magazine Science & Vie, la communauté des géologues s'apprête à proclamer officiellement notre entrée dans une nouvelle ère géologique, l'anthropocène ("âge nouveau de l'homme"). Une notion qui s'est donc confirmée, et même précisée depuis quelques années : l'anthropocène sera une "époque", et succédera en tant que telle à l'holocène , en cours depuis 12000 ans et marqué par un climat stable. Ce ne sera donc pas une "période", puisque nous resterons dans le quaternaire, qui voit depuis 2,6 millions d'années les glaciations, et encore moins une "ère".
S'il est trop tôt pour modifier les manuels de géologie, il est improbable que la Commission stratigraphique internationale l'organisme officiel habilité à statuer désavoue l'avis rendu par le groupe de travail sur l'anthropocène. Cet avis est en effet sans appel : seuls 3 des 35 géologues impliqués ont voté contre la formalisation de l'anthropocène, et il y a eu quasi-unanimité pour fixer la date de son début au milieu du XXe siècle — l'idée de la faire coïncider avec l'invention de l'agriculture ou la révolution industrielle n'a trouvé aucun partisan.
Avec cette décision, la communauté des géologues acte que non seulement Homo sapiens est devenu une force géologiques à l'impact planétaire, mais que ses actions resteront décelables dans des millions d'années.
Des chênes sur les monts du Jura
La forêt de la Joux est considérée comme l'une des plus belles sapinières de France. Au Moyen Âge, c'était une chênaie. Au temps de l'optimum climatique, les monts du Jura étaient couverts de feuillus, les épicéas et les fiers sapins encore inconnus. L'évolution actuelle du climat ramènerait-elle à cette configuration ?
Les spécialistes, tel François Gillet au laboratoire Chrono-environnement, prédisent la disparition progressive de l'épicéa au profit du hêtre dans les forêts de résineux et les prés-bois de la montagne jurassienne. Le hêtre lui-même ne saura résister à une température et une sécheresse estivale croissantes, et pourrait à terme se voir supplanté par le pin et le chêne pubescent, comme on en trouve en zone méditerranéenne.
Ces prévisions sont issues de simulations numériques à partir d'un modèle développé en partenariat avec l'École polytechnique fédérale de Lausanne, considérant deux scénarios climatiques : l'un qualifié de "réaliste" avec une augmentation de la température de 4°C, l'autre plus pessimiste pariant sur +8°C. Ils incluent des options de gestion plus ou moins volontariste de la forêt pour des projections plus plausibles, l'intervention humaine étant depuis toujours très étroitement liée aux conditions climatiques. Le remplacement naturel des espèces d'arbres étant un processus très lent, une de ces options est dite de migration assistée : le forestier y anticipe les changements et plante les essences qu'il sait adaptées à un climat plus chaud.
"On voit déjà que le hêtre se régénère mieux que l'épicéa, remarque François Gillet. Il faut encourager cette tendance, car vouloir à tout prix favoriser l'épicéa, même si son déclin n'est pas annoncé avant un siècle, c'est prendre le risque de se trouver plus tard dans une période de transition où il n'y aura plus de forêt du tout." Les arbres ont une grande capacité à résister aux changements, mais l'évolution du climat est tellement rapide que les chercheurs ne savent pas à quoi s'attendre. "On constate en tout cas que certains arbres souffrent déjà des stress liés aux changements climatiques."
Le CO2 pétrifié dans des arbres à calcaire
On sait que les arbres absorbent du CO2 et produisent de l'oxygène. On sait moins que certaines espèces ont la capacité de transformer le CO2... en calcaire ! Ce processus de biominéralisation réalisé par l'arbre est rendu possible par la présence dans ses tissus d'un sel organique, l'oxalate de calcium, et l'intervention de bactéries et champignons vivant dans le sol à son pied. Il a été découvert au début des années 2000 par le microbiologiste Michel Aragno et le géologue Éric Verrecchia, alors chercheurs à l'université de Neuchâtel.
L'iroko est le premier et le plus performant de la dizaine d'arbres qu'ils ont identifiés en Afrique et en Amérique du Sud comme réalisant ce processus. Un iroko est capable de fixer l'équivalent de 10,8 m3 de CO2 sous forme de calcaire par an. "Ce phénomène est rendu possible sous certaines conditions d'altitude et de composition du sol, acide et dépourvu de calcaire, que les chercheurs ont déterminées par le biais d'expériences in situ", explique Laure Sandoz, qui vient de terminer son mémoire de master en anthropologie à l'université de Neuchâtel, mémoire qu'elle a consacré à un projet de développement durable lié à ces arbres.
L'avantage de la biominéralisation est que le calcaire renfermant le CO2, enfoui dans le sol, est stable jusqu'à un million d'années, alors que le CO2 absorbé par un arbre de façon classique retourne vers l'atmosphère lors de la décomposition des feuilles, puis à la mort de l'arbre. Mais ce n'est pas le seul atout du processus. « Au fur et à mesure de sa vie et de la transformation du CO2 qu'il opère, l'arbre modifie le sol autour de lui et le rend plus basique, ce qui est favorable à des cultures comme celles du cacao ou du café. » Outre l'intérêt climatique de protéger ces essences, c'est aussi dans cette optique que la jeune chercheuse a rejoint la Bolivie dans un projet en collaboration avec l'université de Neuchâtel et l'association genevoise Racines, à mi-chemin entre écologie, développement durable et lutte contre la pauvreté.
Contact: Laure Sandoz Tél. +41 (0)61 267 18 47 - laure.sandoz@unibas.ch
Végétation et capacités d'adaptation
Neige, glace, pluie... les spécialistes sont d'accord : réchauffement climatique ou pas, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Si la limite pluie / neige a grimpé de quelques dizaines de mètres dans le Jura et les Alpes, au delà de 1500/2000 m le manteau neigeux recouvre toujours la montagne. Mais son épaisseur, sa qualité et sa persistance varient fortement d'une année à l'autre, influençant par là même le développement de la végétation. Yann Vitasse est post-doctorant à l'institut fédéral de recherches WSL et à l'institut de géographie de l'université de Neuchâtel. Dans un projet financé par le Fonds national suisse depuis 2014, dirigé par Martine Rebetez et Christian Rixen, il écoute pousser les plantes grâce aux capteurs à ultrasons disséminés dans les Alpes suisses.
Installés dans cent trente stations entre 1500 et 3000 m d'altitude, ces dispositifs enregistrent la hauteur de la neige toutes les demi-heures depuis presque vingt ans. Les chercheurs ont découvert qu'ils captent également les signes de croissance des végétaux au printemps et en été. « Ces données vont être corrélées avec des paramètres climatiques comme le vent, la température du sol et de l'air, la fonte des neiges... », explique Yann Vitasse. Un croisement d'informations aussi inédit que prometteur, quand on sait à quel point le comportement de la neige qui, tour à tour exerce un rôle de protection contre le gel et d'hydratation auprès de la végétation, est essentiel. « Nous verrons comment les espèces alpines réagissent aux variations climatiques, à celles de la température et surtout à celles de la fonte des neiges », complète Martine Rebetez.
Les feuilles moins pressées par le réchauffement
Un printemps doux et précoce ne manque pas d'habiller tôt les arbres de leurs feuilles : une avance de deux à six jours pour chaque degré ajouté à la température moyenne. Pour connaître l'influence du réchauffement climatique sur ce fonctionnement, une étude internationale a comparé et analysé la date de sortie des feuilles de sept espèces d'arbres européens sur les trente dernières années. Les observations portées sur les aulnes, bouleaux, marronniers, hêtres, tilleuls. chênes et frênes de 1 200 sites se sont complétées de modèles numériques intégrant des processus physiologiques. Les résultats distinguent deux périodes bien marquées : entre 1980 et 1994, les feuilles sont apparues avec 4 jours d'avance par degré ajouté à la température moyenne, contre 2,3 jours entre 1999 et 2013.
Faut-il y voir le signe d'une adaptation des arbres au réchauffement climatique ? Yann Vitasse a participé à la recherche, et met en garde contre une interprétation hâtive des résultats, tout en expliquant le phénomène : un équilibre entre chaud et froid, entre hiver et printemps. Curieusement, c'est en fait le froid de l'hiver qui joue le rôle de starter et fait sortir les bourgeons de leur état végétatif. « Une température trop chaude en hiver ne favorise pas la sortie des bourgeons de l'état de dormance dans lequel ils sont plongés depuis l'automne. Du coup, les feuilles ont besoin d'attendre des températures encore plus clémentes au printemps pour pouvoir se développer pleinement... » Ce constat n'est pas forcément une bonne nouvelle, car il importe que la levée de la dormance soit efficace pour la bonne santé des arbres. « Un manque de froid répété en hiver pourrait entraîner de graves problèmes de développement, cela pour les plantes en général. »
Menace sur les tourbières
Autre milieu naturel essentiel, les tourbières sont protégées en France, où elles s'étendent sur 1000 km2. En Sibérie, la plus grande tourbière représente à elle seule 50000 km, plus que la superficie de la Suisse ! L'enjeu des tourbières est lié aux quantités incroyables de CO2 et de méthane qu'elles renferment, et dont on craint qu'elles se libèrent dans l'atmosphère sous l'effet de l'accélération de la décomposition de la matière organique à mesure que leurs prisons glaciales montent en température. Spécialistes de ces milieux humides largement influencés par les conditions de température et de pluviosité, Daniel Gilbert, au laboratoire Chrono-environnement de l'université de Franche-Comté, et Edward Mitchell, au laboratoire de biologie du sol de l'université de Neuchâtel, travaillent depuis plus de vingt ans à étudier leur fonctionnement. Leurs travaux sont basés sur l'étude de la végétation et des micro-organismes, les vivants comme ceux conservés depuis des milliers d'années dans les strates de la tourbe. Pour surveiller les tourbières et prévoir leur évolution, des dispositifs de mesure et de simulation du réchauffement sont installés sur le site de Frasne (Doubs) depuis 2008. Une expérience qui s'est exportée depuis à l'immensité sibérienne et en Pologne, où les mêmes installations scientifiques sont implantées. "Il est intéressant d'extrapoler nos recherches à ces grandes surfaces de tourbières, dans des régions où, de plus, le réchauffement est plus marqué" souligne Edward Mitchell.
Installations scientifiques de la tourbière de Frasne
Écosystèmes en mutation
"À Frasne, le réchauffement simulé montre un changement significatif des relations entre les plantes supérieures, les mousses, les microbes vivant en surface et en profondeur, et la chimie de l'eau, raconte Daniel Gilbert. C'est le fonctionnement tout entier de l'écosystème qui s'en trouve modifié avec des conséquences sur le stockage et le cycle du carbone qu'il reste à mesurer. Des mâts équipés de capteurs devraient être installés à cet effet au-dessus du site de Frasne dès cet hiver : le dispositif mesurera la concentration de CO2 dans l'air sur plusieurs centaines de m2, et déterminera si le gaz se répand ou s'il est happé par la tourbière.
Des années de recul seront encore nécessaires pour comprendre les interactions entre le climat et les les tourbières. "Il faut se garder de généraliser certaines conclusions, prévient Daniel Gilbert. Si les tourbières du Sud de la France ou d'Italie ont toutes les probabilités de s'assécher et de disparaître, on pense que plus on ira vers le Nord, moins les tourbières seront affectées par le réchauffement climatique. Certaines, bénéficiant de conditions plus plus douces, seront peut-être même plus fixatrices de CO2 que par le passé…"
Edward Mitchell souligne par ailleurs que l'assèchement aurait plus de répercussions négatives sur les écosystèmes que le réchauffement. "Le réchauffement à +1 ou + 2 °C ne serait pas à lui seul un facteur déterminant, mais si le régime des précipitations baisse, surtout pendant l'été, cela deviendrait dramatique."
Dix mille sortes de particules dans l'atmosphère
Dans l'étude de l'impact des constituants de l'atmosphère sur le réchauffement, les aérosols sont les derniers à être entrés dans le collimateur des chercheurs. Aérosols est leur intitulé scientifique, mais le grand public les connaît plutôt sous le nom de particules fines.
D'une taille inférieure à la dizaine de microns, voire de l'ordre de quelques nanomètres seulement, liquides ou solides, ces minuscules particules de matière concernent un spectre très large d'éléments naturels ou nés de l'activité humaine : les poussières du désert ou celles des volcans, les infimes cristaux de sels provenant de la mer, les pollens, les microbes, les bactéries,auxquels s'ajoutent les particules de suies émises par les véhicules, la poudre de ciment des entreprises du bâtiment…, le tout formant des nébuleuses de particules. pollens, les microbes, les bactéries, auxquels s'ajoutent les particules de suies émises par les véhicules, la poudre de ciment des entreprises du bâtiment..., le tout formant des nébuleuses de particules.
Toutes origines confondues, ces aérosols combinent pas moins de 10 000 molécules qui chahutent l'atmosphère.
Si les aérosols peuvent influencer le climat en interagissant directement avec le rayonnement solaire, ils sont aussi susceptibles de le modifier indirectement en facilitant la formation de nuages, responsables selon leur altitude d'une élévation ou d'un abaissement de la température au sol. De façon globale, l'impact des aérosols pencherait plutôt en faveur d'un refroidissement du climat, mais le revers de la médaille est la pollution, comme l'a rappelé récemment à grands cris le scandale Volkswagen. Globalement car justement les particules de suies émises lors de la combustion d'un carburant, qui n'est jamais parfaite, vont, elles, clairement dans le sens du réchauffement.
Une histoire bien complexe que tentent de démêler les scientifiques. Tous sont cependant d'accord sur un point essentiel : si les effets des particules penchent en faveur d'un fléchissement des températures, ils ne sauraient contrebalancer les impacts des gaz à effet de serre, car leur durée de vie dans l'atmosphère est beaucoup plus courte.
Tempête de sable sur le Sahara
Casse-tête moléculaire
Les appareils de mesure sont capables de quantifier les aérosols, d'en déterminer la taille et la masse, des données que complètent les modèles numériques dans des projections où les marges d'erreur sont encore très importantes. À l'Institut UTINAM de Besançon, le physicien Sylvain Picaud et son équipe travaillent à des modélisations plus fines sur les suies émises par les moteurs, ainsi que sur les aérosols organiques. Sylvain Picaud explique que les caractéristiques des aérosols changent en fonction d'éléments extérieurs. "Ce qui compose le cœur d'une particule d'aérosol peut être différent de ce qui forme l'enveloppe, qui est la partie réellement en contact avec l'environnement. Sous l'influence d'une variation de température ou d'humidité, les deux constituants peuvent s'inverser..." Ce changement de phase est à prendre en compte dans les modèles climatiques, comme la façon dont les suies interagissent avec le rayonnement solaire, un processus dépendant de la position des atomes dans la particule et pas seulement de la longueur d'ondes du rayonnement. À terme, ces travaux aideront à peaufiner les modèles climatiques, et pourquoi pas, à orienter la conception des moteurs et des filtres selon leurs enseignements...
Nous aurons de toute façon bien des positions à revoir pour espérer enrayer le processus, efforts que tentera de coordonner la COP21 au niveau mondial... "Le problème du réchauffement climatique est le premier à se poser à l'humanité entière, remarque Michel Magny. Il interroge sur notre modèle de civilisation, fondé sur des objectifs de croissance indéfinie dans un monde fini. Nous arrivons sans doute aux limites de ce modèle..."
Source :
+ 2°C ?… Dossier sur le réchauffement climatique dans l'Arc jurassien, En Direct, le journal de la recherche et du transfert de l'Arc Jurassien, n° 261, novembre-décembre 2015, pp. 14-22. (Voir l'ouvrage en question).
Voir également "La Feuille" publié par la direction départementale des territoires du Jura.
Ajout du 26 novembre 2017 : Le réchauffement climatique en Suisse
16:45 Publié dans Actualité des Sciences, Environnement-Écologie, Géologie-hydrogéologie-Climatologie | Tags : réchauffement climatique, france, arc jurassien, cop21, franche-comté, en direct | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |