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29/12/2013

Décès de Robert Barbault le 12 décembre 2013

Décès de Robert Barbault le 12 décembre 2013

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Sauf dans les milieux scientifiques, on n'a pas beaucoup parlé de la mort de Robert Barbault survenue le 12 décembre 2013 après un cancer du colon. J'ai largement puisé dans ses ouvrages d'écologie générale et d'écologie des populations et des peuplements pour apprécier sa pédagogie.

 

Je laisse le soin à Gilles Bœuf et à Denis Couvet, respectivement  président et professeur au Muséum national d'histoire naturelle de retracer les grandes étapes de sa carrière scientifique.

 

Robert Barbault est né le 24 janvier 1943. Étudiant en 1964 au laboratoire de zoologie du professeur Lamotte à l’École Normale Supérieure de Paris, alors située rue Lhomond, il fut attiré au début par l’éthologie. Il passait rapidement à l’écologie sous la direction des professeurs Lamotte et Bourlière et partait pour une mission de longue durée « sur le terrain » à la station d’écologie tropicale dans la savane de Lamto en Côte d’Ivoire. Il va y travailler sur les réseaux trophiques et les stratégies biodémographiques des populations de reptiles et amphibiens. De façon permanente et durant toute sa vie, son humanisme et ses préoccupations constantes l’ont toujours amené à relier l’humain à cette nature qui nous entoure et à laquelle il appartient pleinement, ainsi qu’il l’avait fait au tout début en s’interrogeant au regard que portaient les populations locales, les Baoulés, sur les activités de cette station de recherche en Afrique. Il s’intéressait aussi à d’autres formes de pensées et d’inscription de l’humain dans le vivant et dans l’univers. Il avait lu et médité les grands penseurs indiens et était allé en Inde. Il défendra son doctorat d’État en 1973.

 

Robert aura ensuite des responsabilités scientifiques croissantes et majeures pour la communauté des écologues. Il a construit des équipes de recherche, des laboratoires, des programmes nationaux et internationaux, dans le domaine de la biologie des populations et des peuplements dans un premier temps, puis dans le domaine plus vaste de l’écologie et de la biodiversité. Il a assumé de très nombreuses et lourdes responsabilités scientifiques, au CNRS, -animateur du secteur écologie-évolution-environnement, directeur-scientifique, président de la section d’écologie, à l’Université Pierre & Marie Curie où il organisait le laboratoire d’écologie puis au Muséum national d’Histoire naturelle où il fondait et assurait durant 10 ans la direction du département « Écologie et Gestion de la Biodiversité ».

 

Il jouera un rôle considérable dans l’émergence d’une écologie scientifique française qui se situe maintenant au meilleur niveau, œuvrant notamment au lancement de la revue ‘Ecology letters’, l’un des fleurons, toutes disciplines confondues, de la littérature scientifique.

 

Parallèlement, puis de plus en plus en synergie avec ses activités scientifiques, ses interrogations humanistes ont porté sur le développement durable, la préservation de la biodiversité, les relations science-société. Avec des études menées dans les réserves de biosphère du Mexique dans les années 70, puis en s’investissant dans le programme Diversitas aux côtés de Francesco Di Castri dans les années 90. Très impliqué dans la recherche et les politiques de protection de la nature, il était depuis 2002 président du comité français du programme de l’Unesco sur l’Homme et la biosphère (MAB). Grâce à la dynamique et à l’importance des travaux du comité sous son impulsion, la France a pu retrouver une place au sein du Conseil international de coordination du programme MAB.

 

Il était également vice-président du Conseil Scientifique du Patrimoine Naturel et de la Biodiversité depuis 2005 auprès du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. Il a pris une part très active dans la rédaction des trois tomes « Des exemples pour la biodiversité » publiés par le CSPNB entre 2007 et 2012. Il présidait le Conseil Scientifique de Parcs Nationaux de France depuis 2007 ainsi que le Conseil d’orientation de l’Agence technique des espaces naturels (ATEN) depuis 2002.

 

Il a très largement contribué à l’émergence de la biodiversité dans le champ scientifique, de ses développements à partir d’une écologie qui se situe à l’interface entre les sciences de la Nature et les sciences de l’Homme et de la Société.

 

Pour l’ensemble de sa carrière scientifique, il avait reçu récemment le grand prix de la Société Française d’Ecologie. Il était membre de l’Academia Europaea depuis 1996. Mais par-delà sa carrière scientifique, Robert travaillait aussi à développer une conscience écologique auprès du grand public. Ce qui l’a amené à publier de nombreux ouvrages à destination du plus grand nombre, comme « Un éléphant dans un jeu de quilles » (2006), ou encore plus récemment « La vie, quelle entreprise ! » (2011) avec Jacques Weber, son complice de toujours, anthropologue et économiste. Il écrivait en 2012 « … pour peu que l’on accepte de penser autrement, c’est-à-dire avec une vision écologique du monde, la perspective d’une réconciliation des humains avec la nature pourrait cesser d’être une utopie. Ne voit-on pas se dessiner, sur la base d’une éthique de la biosphère, cet esprit de solidarité écologique dont l’humanité et la Terre ont tant besoin ? » dans sa préface de la ré-édition de « Avant que nature meure – Pour que nature vive ! ».

 

Robert fut pour nous l’un des plus grands penseurs de ces interactions « homme-nature » dans toute leur finesse et nuances variées. Il était exceptionnel pour raconter à ses étudiants, aux scientifiques, au public, aux milieux politiques, l’indispensabilité de travailler en totale transversalité, très interdisciplinaire, de tout prendre en compte pour aborder ce « tissu vivant aux mailles si complexes et que l’on était en train de détricoter ». Il a été l’un des « grands » au CNRS, à l’UPMC et au Muséum. Sa disparition nous laisse orphelins et malheureux. Elle donne aussi à chacun d’entre nous la responsabilité de poursuivre ses pensées et actions, de nous battre inlassablement, sur de solides bases scientifiques, non pas pour « sauver la planète » mais pour faire en sorte que l’humain ne s’y trouve pas rapidement en trop grand « mal-être » !

 

Gilles Boeuf et Denis Couvet, 15 décembre 2013

 

Lire également le communiqué de presse émanant du Muséum national d'histoire naturelle

 

Cœur artificiel : une première

Cœur artificiel : une première

 

par Nicolas Rodrigues

(Notre Temps 24 décembre 2013)

(Dernière mise à jour du 17 mars 2014)

 

La première implantation d’un cœur artificiel a été réalisée avec succès. Mais quels seront les critères pour bénéficier de cette nouvelle prouesse médicale ?

 

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Une première mondiale

 

L'opération aura duré une dizaine d'heures. Le 18 décembre 2013, à l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris, l'équipe du Pr Christian Latrémouille a implanté un cœur artificiel à un patient de 75 ans atteint d'insuffisance cardiaque terminale. Et aux dernières nouvelles, le patient se porte "bien".

 

Depuis une dizaine d'années, on implante des cœurs artificiels. Mais cette fois, il s'agit d'un cœur définitif, qui n'est plus seulement destiné à faire patienter le malade avant une greffe.

 

Cette prothèse mime le fonctionnement du cœur humain : composé de deux ventricules, elle accélère les battements en cas d'effort et ralentit ensuite. De plus, elle est recouverte à l'intérieur d'une membrane biologique pour éviter la formation de caillots de sang. Du coup, Le patient n'a plus besoin de prendre de traitement anti-coagulant lourd.

 

Le but est d'obtenir une vie normale. Avec tout de même quelques contraintes, comme celles liées à l'alimentation électrique indispensable pour faire fonctionner une telle machine", a commenté le Pr Fabiani, chef du service de chirurgie cardiovasculaire à l'hôpital Pompidou. Les médecins espèrent apporter au malade au minimum cinq ans d’espérance de vie.

 

La volonté d'un chirurgien français

 

Cette prouesse médicale est le fruit de la ténacité d'un chirurgien et cardiologue français : le Pr Alain Carpentier, 80 ans, qui tenait absolument à réaliser cette première mondiale en France.

 

Il y a près de 10 ans, il s'est allié avec EADS, leader de l'aéronautique, pour créer la société Carmat (Carpentier-Matra Défense). Il bénéficie alors d'un soutien financier et technologique. Au total, plus de 100 ingénieurs et médecins ont été impliquées dans ce projet.

 

Aujourd'hui, Carmat est une start-up cotée en bourse, financée à la fois par des investisseurs privés et publics. Sa technologie représente un espoir pour les patients atteints d'une insuffisance cardiaque terminale: sur 100 000 patients en attente d'une greffe en Europe et aux États-Unis, seuls 4000 bénéficient d'une transplantation chaque année, faute de greffons disponibles.

 

La mise sur le marché de ce cœur artificiel n'est pas pour demain

 

Les équipes doivent finaliser l'étude en cours, sous la surveillance de deux comités d'experts indépendants. Si tout va bien, une seconde implantation devrait intervenir dans les prochaines semaines. Au total, quatre opérations sont prévues au cours de cet essai, avant d'engager une 2ème phase sur une vingtaine de patients. "Un an de recul sera nécessaire pour juger le cœur Carmat", prévient le Pr Jean-Noël Fabiani. La société espère démarrer la commercialisation de son cœur en 2015.

 

Des critères de sélection pour les futurs bénéficiaires

 

Mais pour en bénéficier, les futurs patients devront répondre à certains critères physiques : ce cœur artificiel nouvelle génération pèse 900 g, bien plus lourd qu'un cœur humain (300 g). De fait, il ne pourra être implanté que chez des personnes assez corpulentes. La société Carmat estime ainsi qu'il est compatible avec 70% des thorax d'hommes et 25 % de ceux de femmes.

 

Des critères médicaux constituent aussi des contre-indications plus ou moins rédhibitoires : hypertension pulmonaire irréversible, infection active, cancer, voire diabète, insuffisance rénale, obésité morbide, etc.

 

Enfin, son prix risque de restreindre encore l'accès à ce cœur artificiel. Un bijou technologique qui coûte environ 160 000€. Un coût prohibitif comparé à une greffe cardiaque dont le tarif s'élève en moyenne à 40 000€, auquel s'ajoutent les frais liés à la prise – à vie – de médicaments anti-rejets. Des frais supplémentaires qui ne sont pas nécessaires avec ce cœur artificiel... pour autant, pas certain que la Sécurité sociale puisse le rembourser.

 

L’alliance de la chirurgie et de l’aéronautique

 

Si l’idée de Carmat est l’œuvre du célèbre chirurgien Alain Carpentier, cette prothèse n’aurait pu voir le jour sans les finances et l’expertise du groupe aéronautique Matra. Dans les années 80, Alain Carpentier avait en effet convaincu Jean-Luc Lagardère d’investir dans son projet. Mais les deux hommes ne s’attendaient pas à mettre autant de temps pour le faire aboutir. Entre-temps, Lagardère père est mort et Matra a été refondu dans EADS. Mais le groupe européen n’a pas abandonné le dossier.

 

Prothèse-bourrée-de-capteurs-aéronautiques-450.jpg

 

Ce sont ses ingénieurs qui ont réussi à miniaturiser l’organe artificiel imaginé par Carpentier et qui ont mis au point les capteurs et le microprocesseur qui équipent la prothèse. D’autres implantations en Belgique, Pologne, Slovénie et Arabie Saoudite devraient suivre avant la mise sur le marché de Carmat. Reste également à alléger encore le poids de la prothèse – 900 grammes tout de même – et simplifier son dispositif d’alimentation très contraignant. Et il y a le coût prohibitif de cette petite merveille : 160 000 euros au moins. On doute que la sécurité sociale envisage de le rembourser…

 

Cette première mondiale ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de la médecine. On peut espérer que d’autres organes artificiels verront le jour sur son modèle comme des reins, des foies ou des pancréas. L'homme augmenté est déjà une réalité.

 

Découvrez l'animation sur : http://www.carmatsa.com/

 

Mise à jour du 2 mars 2014 : Décès de Claude Dany, premier malade ayant reçu le cœur artificiel.

 

 

Pourquoi le cœur artificiel de Claude Dany, implanté le 18 décembre 2013, s'est-il arrêté de battre le 2 mars dernier ? L'un des chirurgiens ayant participé à cette première mondiale, le Pr Daniel Duveau, révélait dimanche au Figaro que « pendant deux heures, à chaque arrêt du dispositif, la machine faisait tout ce qu'elle pouvait pour faire repartir la pompe ».

 

Pour en savoir plus, lire l'article du Figaro.fr Santé.

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26/12/2013

Cancer : Bactéries intestinales en renfort de la chimiothérapie

Quand les bactéries intestinales viennent en renfort de la chimiothérapie

 

(Article mis à jour le 5 septembre 2014)

 

Appelé autrefois "flore microbienne", le microbiote est l'ensemble des microbes (bactéries et champignons essentiellement) qui peuplent notre corps. Ces micro-organismes vivent avec nous, logés à la surface de la peau, dans les cavités buccale et vaginale, et surtout dans notre intestin : celui-ci contient 100 000 milliards de bactéries - soit 10 fois le nombre de nos propres cellules - et leur masse avoisine les deux kilogrammes chez l'adulte !

 

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Les bactéries du microbiote apparaissent en rouge

contre la paroi du colon (bleu et vert) © Institut Pasteur

 

Ce microbiote intestinal est aujourd'hui considéré comme un véritable organe, avec une activité métabolique égale à celle du foie car les espèces bactériennes qui le composent exercent des fonctions cruciales pour notre santé comme l’élimination des substances étrangères à l’organisme (et potentiellement toxiques) ou le maintien à distance de pathogènes qui nous contaminent. Elles assurent également la dégradation des aliments ingérés pour une meilleure absorption intestinale et un métabolisme optimal. Ces milliards de bactéries colonisent l’intestin dès la naissance et jouent un rôle-clef dans la maturation des défenses immunitaires.

 

Les espèces bactériennes qui composent le microbiote intestinal diffèrent toutefois d'un individu à l'autre et la présence ou l'absence de telle ou telle bactérie semble influencer la survenue de certaines maladies ou au contraire nous protéger. Il nous permet de digérer les sucres complexes et les fibres, intervient dans la biosynthèse des vitamines ou encore dans la détoxification de certaines substances de l'alimentation, et il forme une barrière protectrice contre les pathogènes. Il comprend environ 1000 espèces de bactéries et sa composition varie d'un individu à l'autre. Chacun d'entre nous a donc son propre microbiote intestinal, constitué dans les premières années de la vie à partir des bactéries de notre environnement : seul un tiers des bactéries intestinales est commun à tous.

 

Ce microbiote intestinal joue un rôle crucial dans le développement du système immunitaire et, sans doute, dans une large gamme de maladies : l'obésité, la résistance à l'insuline et diverses maladies inflammatoires de l'intestin (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique...) peuvent résulter d'un déséquilibre du microbiote intestinal. Plus étonnant : il pourrait intervenir dans certaines pathologies de l'humeur comme la dépression. De plus en plus d'études montrent en effet que nos bactéries intestinales envoient des signaux au cerveau et semblent ainsi capables d'influencer le comportement.

 

Une recherche menée conjointement par des chercheurs de Gustave Roussy, de l'Inserm, de l’Institut Pasteur et de l'Inra a permis une découverte assez étonnante sur la façon dont les traitements de chimiothérapie anticancéreuse agissent plus efficacement grâce à l'aide du microbiote intestinal. Les chercheurs viennent en effet de démontrer que l’efficacité d'une des molécules les plus utilisées en chimiothérapie, repose en partie sur sa capacité à entraîner le passage de certaines bactéries de la flore intestinale vers la circulation sanguine et les ganglions. Une fois dans les ganglions lymphatiques, ces bactéries stimulent de nouvelles défenses immunitaires qui iront aider l'organisme à combattre encore mieux la tumeur cancéreuse.

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Arbre phylogénétique bactérien sur fond de muqueuse du côlon d'une souris. La taille des cercles renseigne sur l'importance des populations bactériennes du microbiote. Les points rouges correspondent aux bactéries renforçant l'action d'une immunothérapie anticancéreuse, les verts à celles inhibant la réponse à une chimiothérapie.

 

Dans le domaine du cancer, l’équipe française* dirigée par le Pr Laurence Zitvogel, à l’Institut Gustave Roussy et directrice de l'Unité Inserm 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie", en collaboration étroite avec l’Institut Pasteur (Dr Ivo Gomperts Boneca, Unité "Biologie et génétique de la paroi bactérienne") et des chercheurs de l’INRA (Dr Patricia Lepage et Dr Joël Doré, Unité Micalis "Microbiologie de l'Alimentation au service de la Santé"), vient d'apporter la preuve que la flore intestinale stimule les réponses immunitaires d'un individu pour combattre un cancer lors d'une chimiothérapie.

 

*Équipe française dirigée par le Pr Laurence Zitvogel, à l'Institut Gustave-Roussy, directrice de l'Unité Inserm 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie", en collaboration étroite avec l'Institut Pasteur (Dr Ivo Gomperts Boneca, Unité "Biologie et génétique de la paroi bactérienne") et des chercheurs de l'INRA (Dr Patricia Lepage et Dr Joël Doré), Unité "Microbiologie de l'Alimentation au Service de la Santé Humaine".

 

Le cyclophosphamide est l’un des médicaments les plus utilisés en chimiothérapie. Comme tout traitement, il entraîne cependant des effets secondaires (inflammation des muqueuses etc.) et perturbe l'équilibre normal du microbiote intestinal. Chez la souris, l'équipe a démontré que le cyclophosphamide modifie la composition du microbiote dans l'intestin grêle et induit la translocation de certaines espèces de bactéries Gram-positives dans les organes lymphoïdes secondaires. Là, ces bactéries stimulent la production d'un sous-ensemble spécifique de "pathogène" T helper(17)" pTH17 cellules mémoire et des réponses immunitaires Th1. La synergie entre le microbiote et le cyclophosphamide débute lorsque le médicament facilite le passage à travers la barrière intestinale des bactéries Gram+ qui vont se retrouver dans la circulation sanguine et les ganglions lymphatiques. Ces bactéries sont considérées comme néfastes et l'organisme déclenche une réponse immunitaire. Une fois dans les ganglions lymphatiques, elles stimulent la production de globules blancs pTH17 qui vont agir comme de nouvelles défenses immunitaires et aider l'organisme à lutter contre la tumeur cancéreuse. "Cette réaction en chaîne, effet secondaire du traitement, va s'avérer en réalité très utile" explique Laurence Zitvogel. "De façon surprenante, la réponse immunitaire dirigée contre ces bactéries va aider le patient à lutter encore mieux contre sa tumeur en stimulant de nouvelles défenses immunitaires."

 

En détails, l'immunisation anti-bactérienne aboutit au recrutement de lymphocytes effecteurs différents de ceux mobilisés par la chimiothérapie. Leur rôle consiste à aider les lymphocytes anti-tumoraux à endiguer la croissance de tumeurs.

 

 A contrario, des souris dépourvues de tout germe intestinal ou préalablement traitées par des antibiotiques dirigés contre les bactéries Gram+ se révèlent incapables de produire les précieuses cellules pTH17 antitumorales. De plus, leur tumeur est devenue résistante au cyclophosphamide. La situation est toutefois réversible : lorsque les sourisreçoivent une perfusion intraveineuse de pTH17, le médicament retrouve son efficacité antitumorale.

 

Les chercheurs suggèrent également que certains antibiotiques utilisés au cours d’une chimiothérapie pourraient détruire ces bactéries Gram+ et annuler ainsi leur effet bénéfique. "Maintenant que ces bactéries bénéfiques potentialisant la réponse immunitaire anti-tumorale ont été identifiées, on devrait réussir rapidement à en fournir plus à l'organisme, notamment via des pro- ou pré-biotiques et/ou une alimentation spécifique" conclut la chercheuse.

 

Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Ligue nationale contre le cancer, de l'Institut national du cancer (INCa) (SIRIC SOCRATES) et du LABEX Onco-Immunologie.

 

Remarque :

 

Le cyclophosphamide n'est pas le seul traitement à profiter d'un microbiote intestinal performant. Le même numéro de Science fait ainsi part du travail d'une équipe américaine qui aboutit à des conclusions très proches : certains antibiotiques diminueraient l'action de la chimiothérapie.

Parallèlement au travail des chercheurs français, Elizabeth Pennisi, Noriho Lida et al, de l'Institut national du cancer (Frederick, États-Unis), montrent que le microbiote intestinal renforce les effets d'autres traitements anticancéreux, à savoir une immunothérapie ou une chimiothérapie par oxaliplatine (un autre médicament anticancéreux). Ici aussi, comme dans l'étude française, l'efficacité du traitement antitumoral a chuté drastiquement chez des souris débarrassées de leur flore bactérienne intestinale.

 

Même si ces deux études ont été menées sur la souris, il est vraisemblable que leurs résultats puissent être un jour applicables à l'être humain. Ils suggèrent en tout cas que certains antibiotiques pourraient diminuer l'efficacité d'une chimiothérapie antitumorale mais également qu'une supplémentation en pro- ou pré-biotiques, voire une alimentation spécifique, pourrait renforcer l'action du traitement.

 

Sources :

 

Laurence Zitvogel et al (2013). - The Intestinal Microbiota Modulates the Anticancer Immune Effects of Cyclophosphamide, Science22 November 2013, vol 342 n° 6161 pp. 971-976.

 

Elizabeth Pennisi et al (2013). - Cancer Therapies Use a Little Help From Microbial Friends, Science 22 November 2013 Vol. 342 n° 6161 p. 921.

 

Marc Gozlan (2013). - La flore intestinale en renfort de la chimiothérapie, Sciences et Avenir, janvier 2014 n° 803, p. 70.

 

Qu'est-ce que le microbiote ? Lettre de l'Institut Pasteur, septembre 2014 n° 86 p. 9.

24/12/2013

L'exploration du centre de la terre

L'exploration du centre de la terre


Tout le monde n'est pas Jules Verne : aujourd'hui comme hier, il est impossible de connaître directement l'intérieur de la planète. De sorte que nous avons moins d'information sur ce qui se trame sous nos pieds que sur les soubresauts des astres aux confins du cosmos. Car notre seul messager direct est la lumière. Or, aucun photon ne nous parvient de ces profondeurs alors que la lueur des galaxies lointaines, captée par de nombreux instruments d'observation, renseigne sur de grandes portions de l'Univers.

 

Creuser la Terre : mission impossible

 

On a bien pensé à effectuer des forages profonds comme celui qu'a entrepris en 1970 une équipe de scientifiques russes qui s'est lancée dans le premier et seul forage très profond de la croûte terrestre qui n'a d'ailleurs jamais pu aboutir.

 

Depuis la presqu'île de Kola, près de la ville de Zapoliarny (au Nord-Ouest de Mourmansk), l'objectif était d'atteindre au moins le « moho ». Cette frontière virtuelle, du nom du sismologue croate Andrija Mohorovicic, est une « discontinuité » située à la base de la croûte, entre 5 et 10 km sous les océans et entre 30 et 60 km sous les continents. La vitesse des ondes qui s'y propagent augmente brusquement, comme si les roches y changeaient de soudainement. Le moho sous la presqu'île de Kola, dotée d'une croûte océanique, était estimé à 15 km de profondeur. Mais après dix-neuf ans de forage, les travaux ont été stoppés en raison de l'effondrement de l'Union soviétique, à -12,262 km précisément. Le forage était devenu trop difficile : vers 7 à 8 km de profondeur, une série de failles avec circulation de fluide a rendu la poursuite des travaux onéreux. Par ailleurs, la température au fond du trou frôlait les 180°C au lieu de la centaine de degrés attendue. Malgré tout, des roches de plus de 2,7 milliards d'années ont été remontées. Mais aucun échantillon du cœur de la Terre...

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Exploration des profondeurs par des méthodes indirectes


Pour accéder aux tréfonds de la planète, il faut donc employer des méthodes indirectes. Tout se passe comme si pour en deviner sa forme et sa constitution, nous frappons sa surface afin de la faire vibrer tout entier. Et c'est en écoutant attentivement sa manière de vibrer, grâce aux sismomètres qui enregistrent les mouvements du sol, qu'on peut en déduire sa forme et sa structure interne – une sphère creuse n'émettant pas le même son qu'une boule pleine. Ce sont les séismes de grande magnitude qui jouent le rôle de ces frappes : celui de Tohoku (Japon), survenu en mars 2011 – à l'origine de la catastrophe de Fukushima — a ainsi fait vibrer le sol... de la région parisienne distant de 9500 km.

 

Les sismographes ont enregistré un déplacement de quelque trois millimètres, soit un mouvement vertical et horizontal de 6 mm[1]. Or, avant de parvenir jusqu'à la France, les ondes sismiques parties du Japon se sont propagées à travers le noyau et le manteau de la Terre. Leur analyse, comme celle des ondes de chaque séisme, permet donc de reconstituer petit à petit le cœur de la planète : en effet, la vitesse des ondes sismiques varie selon la densité des roches qu'elles traversent. C'est ainsi que l'existence d'une croûte, d'un manteau supérieur, d'un manteau inférieur – tous les trois constitués de roches de densité différente – a été identifiée au cours du XXe siècle. « De même, certaines ondes sismiques, à l'origine de mouvements de cisaillement par exemple, ne peuvent traverser les liquides », rappelle Stéphane Labrosse, du Laboratoire de géologie de l'École normale supérieure de Lyon. L'absence partielle de ces ondes dans les enregistrements a permis au sismologue allemand Beno Gutenberg de conclure en 1912 que le noyau de la Terre était liquide. Puis la mathématicienne Danoise Inge Lehmann a analysé minutieusement en 1936 de nombreux sismogrammes pour déduire l'existence au sein de ce noyau liquide d'une graine solide[2].

 

Autres techniques : recréer les conditions dans le manteau


Liquide, solide, plus ou moins dense... Les ondes sismiques ne livrent aucune information sur les minéraux qui constituent le manteau. Bien sûr, les volcans se chargent de faire remonter vers la surface des roches du manteau. Mais la lave qui sort des cheminées volcaniques n'est plus dans le même état que les roches solides du manteau. D'où l'idée de reconstituer en laboratoire les conditions qui règnent dans les profondeurs du globe et d'y soumettre des échantillons de lave, par une technique utilisée depuis le milieu des années 1970 par les physiciens.

 

Pour ce faire, leur instrument fétiche s'appelle la « presse à enclumes de diamant ». Son principe : reproduire les pressions qui règnent dans le manteau en enserrant l'échantillon entre deux enclumes en diamant. Seule la dureté de cette pierre précieuse permet en effet de résister à des pressions qui vont de 30 gigapascals (GPa) et que l'on retrouve dans le manteau à 700 km de profondeur — soit 300 000 fois la pression atmosphérique — à 135 GPa à 2900 km, à la frontière du noyau, soit un million de fois la pression atmosphérique. Parallèlement, un faisceau laser vient chauffer 1 échantillon jusqu'à 2000°C. Celui-ci ainsi trituré, comprimé et grillé ressort comme le digne représentant du manteau de la Terre.

Reste à l'analyser aux rayons X pour visualiser l'emplacement des atomes dans la roche. C'est ainsi que les géophysiciens ont compris la différence entre le manteau supérieur et le manteau inférieur. Les mêmes composants chimiques cristallisent différemment en minéraux de plus en plus denses.

 

Un scénario audacieux révélé par une expérience inédite

 

La première expérience d'analyse de magma à très haute pression, par rayons X conforte l'hypothèse d'une Terre primitive à deux océans de magma superposés.

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© Christèle Sanloup (Istep CNRS/UPC)

 

Une équipe européenne (Allemagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni) dirigée par Chrystèle Sanloup de l’Institut des Sciences de la Terre Paris (iSTeP, UPMC/CNRS) a révélé des changements de structure au sein de basaltes fondus à des pressions équivalentes à 1400 kilomètres de profondeur. Cette expérience confirme ce qui avait été suggéré en 2007 : Dans un passé lointain, il y a plus de 3,5 milliards d'années, notre planète aurait renfermé en son sein deux océans de magma séparés par une couche rocheuse. La surface du premier se situe sous 200 à 300 kilomètres de roches depuis la croûte terrestre à une profondeur avoisinant les 400 km, soit 50 fois plus que les plus profondes fosses marines. Sous le plancher de ce premier océan magmatique à 600 ou 700 km de profondeur, se situerait une couche rocheuse cristalline dense sur 300 ou 400 km s'étendant jusqu'à -1000 km. Là, on retrouverait du magma liquide jusqu'à -2900 km de profondeur. En proposant ce scénario à deux étages d'océans, jamais les profondeurs terrestres n'avaient été ainsi pensées[3].

 

Mais l'équipe est allée plus loin. Au lieu d'utiliser un échantillon de lave refroidi et solide, comme c'était toujours le cas jusqu'alors, elle a eu l'idée de tester du magma. « D'une certaine manière, le magma est plus proche de l'état de la roche telle qu'elle était dans le manteau avant de remonter à la surface », explique Chrystèle Sanloup. Une vraie prouesse technique ! Maintenir de manière stable un liquide entre les mâchoires de la presse n'est pas aisé. Sans compter que les atomes d'un liquide sont désorganisés par rapport à ceux d'un solide. Les chercheurs ont donc dû faire appel à l'une des sources de rayons X les plus puissantes au monde, Petra III, située dans l'installation DESY, près de Hambourg (Allemagne). « Notre surprise a été de constater qu'au fur et à mesure que l'on soumettait le magma à des pressions élevées, sa densité augmentait, mais pas de la même manière que celle de la roche du manteau, explique Crystèle Sanloup. À faible profondeur, le magma flotte sur la roche, mais autour des pressions qui correspondent à 660 km de profondeur, le magma devient plus dense que les cristaux, donc les roches flotteraient sur cet océan de magma... » Ce qui a permis à l'équipe d'imaginer cet épisode surprenant du passé de la Terre, il y a plus de trois milliards d'années, lorsque son intérieur était en grande partie fondu : quand le magma liquide dominait, il a donc pu comporter deux océans superposés.

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Échantillon de basalte après manipulation mais toujours dans une cellule à enclumes-diamant (à 35 GPa, on voit trois billes de magma, correspondant à trois spots de chauffage laser, chacun faisant environ 20 microns de diamètre). Sanloup et al. Nature 2013.


Cette étude montre que le nombre de coordination de silicium - son nombre d'atomes voisins -dans les magmas passe de 4 à 6 quand la pression augmente de 10 GPa et 35 GPa. Leur densité passe d'environ 2,7 grammes par centimètre cube (g/cm³) à basse pression, à près de 5 g/cm³ à 60 GPa. Ainsi jusqu’à 25 GPa, soit 660 km , les magmas deviennent progressivement plus denses que les cristaux, qui vont donc flotter et non sédimenter. Une fois le nombre de 6 atomes voisins atteint dans les magmas, soit vers 35 GPa, cette densification devient beaucoup moins notable. C'est ainsi que ce différencient manteau supérieur et inférieur de part et d'autre de la limite de 600 km.

 

Le changement de structure des magmas avec la profondeur affecte également leurs propriétés chimiques. En effet, les auteurs remarquent que ce changement de structure coïncide avec un changement dans la façon dont des éléments sidérophiles (“qui aiment le fer”), tels le nickel, se répartissent entre magma et fer liquide. Par définition, les éléments sidérophiles se concentrent dans le fer liquide, mais cette concentration est de plus en plus faible à mesure que la pression augmente. Cette forte dépendance en pression en fait de bons marqueurs potentiels de la pression/profondeur d’équilibre entre océan magmatique et noyau métallique. Au-delà de 35 GPa par contre, leur répartition entre magma et fer liquide est peu affectée par la pression.

 

Pour les auteurs, le comportement plus dense du magma basaltique à une certaine profondeur, permet d’envisager un océan magmatique stratifié dans l'intérieur de la Terre primitive, comme l'ont déjà proposé certains modèles sur la base de calculs d’évolution thermique (refroidissement) de la Terre primitive. Très tôt après leur formation par accrétion de fragments solides, les planètes telluriques sont passées par un état fondu. Épisode qualifié “d'océan magmatique”. La cristallisation de minéraux à partir du magma a commencé à se produire entre probablement environ 660 et 1000 km de profondeur, là ou les cristaux sont en quasi-équilibre gravitaire avec le magma, séparant l'océan magmatique initial en deux océans superposés, qui se sont solidifié à leur tour ne laissant subsister que quelques poches de magma résiduel à la base du manteau inférieur. C’est du moins ce que pensent avoir repéré les sismologues en ayant localisé des zones où les sismiques se propagent à de très faibles vitesses.

 

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Depuis quelques années, les spécialistes des tremblements de terre qui analysent les vibrations du globe font face à une énigme connue sous le nom de « ULVZ » (Ultra Low Velocity Zone, zone à très faible vitesse) qui pourrait des lors se trouver éclairée par cette configuration passée de la Terre. « Lorsque l'on analyse la vitesse des ondes sismiques enregistrées par nos réseaux de sismomètres en surface, tout se passe comme si les ondes qui provenaient de deux régions bien précises — 2900 km sous l'Afrique du Sud et sous le Pacifique présentaient des anomalies : elles s'y propagent bien plus lentement qu'ailleurs, jusqu'à 30 % moins vite. » Or les sismologues le savent bien : les régions chaudes du manteau dissipent l'énergie des ondes sismiques, ce qui fait drastiquement baisser leur vitesse. D'où cette hypothèse très séduisante qu'ils envisagent désormais : à la base du manteau, à 2900 km sous nos pieds, persisteraient les vestiges de ces anciens océans de magma au sein d'un manteau totalement rocheux. En somme, des régions de magma liquide d'une centaine de kilomètres de large, ralentissant les ondes sismiques, seraient encore à l'œuvre. Ce qui expliquerait aussi qu'en surface, à l'aplomb de ces ULVZ, se trouvent deux des plus gros chaudrons du monde dont la lave proviendrait de ces vestiges : les îles Hawaii et les îles Samoa.

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Sources :


  • Structural change in molten basalt at deep mantle conditions, Chrystèle Sanloup, James W. E. Drewitt, Zuzana Konôpkova´, Philip Dalladay-Simpson, Donna M. Morton, Nachiketa Rai, Wim van Westrenen & Wolfgang Morgenroth Nature 7 novembre 2013.
  • Au cœur de la Terre primitive, Azar Khalatbari Sciences et Avenir n° 803 – janvier 2014 pp. 36-39).
  • Pour en savoir plus :

http://www.insu.cnrs.fr/node/4592?utm_source=DNI&utm_...

 



[1] sciav.fr/1adbfXz

[2] sciav.fr/1b0Qp1W

[3] Nature du 7 novembre 2013

 

La suite dans l'article "Structure du globe terrestre".