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23/11/2013

Pesticides : Les dérogations ne sont pas des passe-droits

Pesticides : Les dérogations ne sont pas des passe-droits

par Boris Bellanger

(Science & Vie n° 1155 décembre 2013 p. 42)


Chassez les pesticides par la porte, ils reviennent par la fenêtre ! De fait, ils ont beau ne plus être autorisés en Europe, de nombreux produits phytosanitaires sont encore utilisés... en toute légalité. Comment ? Grâce aux dérogations permises par la réglementation européenne, qui prévoit qu'un état peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytosanitaires interdits "lorsqu'une telle mesure apparaît nécessaire à cause d'un danger [insectes, parasites...] qui ne peut être contenu par aucun autre moyen raisonnable".


Or, ces dernières années, le nombre de dérogations a explosé en Europe : d'une cinquantaine en 2007, il est passé à 261 en 2012, après un pic à 320 en 2010. Au point qu'un guide de bonnes pratiques a été rédigé par la Commission européenne en février 2013 afin de rappeler que ce recours "devrait être exceptionnel [...] et ne doit pas compromettre l'application de la réglementation ", dont le but est " d'assurer un haut niveau de protection pour la santé des hommes, des animaux, et pour l'environnement".


La France est particulièrement visée : en 2010 et 2011, c'est elle qui a délivré le plus de laissez-passer. Si, dans la majorité des cas, ces autorisations portent sur des pesticides autorisés dans un pays mais pas dans un autre, elles concernent aussi des produits bannis du fait de leur dangerosité. Ainsi, en 2012, la France a accordé par trois fois une dérogation pour la mise sur le marché du 1,3-dichloropropène, un fumigène interdit car hautement toxique, et probablement cancérigène.

 

Problème : s'il est possible de savoir quels principes actifs ont fait l'objet d'une autorisation exceptionnelle — en épluchant les comptes-rendus de séances de la Commission européenne —, aucune information n'est en revanche donnée sur les quantités employées, ni les cultures concernées. Difficile, dans ces conditions, d'estimer le niveau d'exposition des agriculteurs ou de la population à ces pesticides non autorisés.

 

La France affectionne aussi les dérogations lorsqu'il s'agit d'employer des techniques proscrites. Interdits depuis 2009, les épandages aériens n'ont ainsi pas disparu du paysage. Certes, d'après le ministère de l'Agriculture, les surfaces ainsi traitées ont chuté de 70 % entre 2008 et 2012. Mais elles représentaient encore près de 55 000 ha l'an dernier (maïs, riz, vignes, et surtout bananes). Aux Antilles, déjà touchées par le scandale sanitaire du chlordécone, ce fongicide utilisé dans les bananeraies jusqu'à son interdiction en 1993 et incriminé dans la flambée, outre-mer, de certains cancers (prostate, sang), 80 % des surfaces plantées en bananes sont traitées par épandage aérien. Les procès s'y multiplient pour annuler les dérogations accordées par les préfets.

 

Un rapport du Sénat publié fin 2012, qui qualifiait la dérogation pour les épandages aériens d'"exception insuffisamment exceptionnelle", préconisait de "mettre fin aux dérogations au principe général d'interdiction "et, en attendant, de "doubler les distances de sécurité [entre le bord du champ traité et les premières habitations] en les portant de cinquante mètres, distance quasi symbolique, à cent mètres ".


Ces propositions n'ont pas été retenues dans le nouveau projet d'arrêté sur les épandages aériens, qui prévoit toujours la possibilité de dérogations et une distance de sécurité de 50 mètres... Au vu du rapport publié par l'Inserm en juin 2013, qui associe l'exposition professionnelle aux pesticides à la maladie de Parkinson ou à certains cancers, il serait peut-être temps d'arrêter de considérer qu'il est interdit d'interdire, et de mettre un terme aux dérogations.

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