Besançon : Hécatombe de salamandres
10/10/2010
Les infrastructures du contournement de Besançon au niveau du Vallon des Mercureaux entraînent une véritable hécatombe parmi la population d'une sous-espèce de salamandre présente uniquement dans ce site en Franche-Comté.
La voie des Mercureaux : un piège redoutable pour la Salamandre tachetée
par Michel Cottet & André Guyard
(dernière mise à jour : novembre 2012)
Le suivi de l’évolution de la construction de la 2x2 voies de la vallée des Mercureaux, montre en ce mois de septembre 2010 une hécatombe de salamandres tachetées.
La voie 2x2 des Mercureaux
(Cliché Michel Cottet)
Il faut savoir que la Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) est un amphibien terrestre au stade adulte. Mais comme les œufs nécessitent une éclosion dans un milieu aquatique, les femelles fécondées doivent migrer depuis les versants forestiers en direction des fonds de vallons pour revenir périodiquement à l'eau au printemps et à l'automne. (voir l'article suivant sur ce même blog). http://baladesnaturalistes.hautetfort.com/archive/2009/10...
Comme les salamandres sont inaptes à la natation, elles ne peuvent pondre leurs larves que dans quelques millimètres d'eau. Sinon, elles courent le risque d'être emportées par le courant et de se noyer.
Dans le ruisseau des Mercureaux, nous avons affaire à une population exceptionnelle de ces amphibiens, composée à plus de 50 % d’individus d’une sous-espèce particulière et rare de Salamandra salamandra salamandra.
Signalée dès 1911 par la célèbre herpétologue Marie Phisalix, cette population a été suivie plus récemment par les herpétologues locaux, notamment Jean François et Hugues Pinston (avril 1987), Jean-Pierre Hérold (septembre 1987), Michel Cottet (mars 1990), Emmanuelle Craney et Hugues Pinston (octobre 1991).
Malheureusement, les aménagements du franchissement du vallon des Mercureaux menacent la population de salamandres en ignorant totalement la biologie de cette espèce.
Ce n'est pas faute de ne pas avoir été prévenus. Ainsi, un herpétologue confirmé, Hugues Pinston, a rédigé en 1987 pour le compte d'un bureau d'études (CPRE) une première Étude d'inventaire d'amphibiens et de reptiles liée au projet de voie des Mercureaux. Dans cette étude, il rapporte "la présence de centaines de larves dans les cuvettes successives du ruisseau" et préconise "la prise en compte de cette espèce protégée lors des futurs travaux".
En outre, au cours des années 1990, de nombreuses prospections bénévoles ont été réalisées en Franche-Comté dans le cadre de l'atlas herpétologique (Pinston et al, 2000). Ces prospections confirment que la population des Mercureaux est la seule connue en Franche-Comté appartenant à la sous-espèce S. s. salamandra.
Force est de constater que les aménagements le long de la voie 2 x 2 voies et le long du ruisseau des Mercureaux ne répondent pas aux exigences de l'espèce dont les femelles, piégées par des équipements inadaptés, meurent par centaines.
Caniveau en U aux parois lisses et verticales
(Clichés Michel Cottet)
À la suite d'une visite sur les lieux effectuée le 5 octobre dernier, Michel Cottet et Jean-Gérard Théobald tirent les observations suivantes.
Les salamandres ont été piégées par un caniveau de profil en U, en béton coulé et moulé sur place en cours de pose. Ce caniveau est destiné à recevoir les eaux de ruissellement de chaussées, susceptibles d’être polluées (hydrocarbures imbrûlés, produits d’usure des pneumatiques et de corrosion des carrosseries, de la bande de roulement de chaussées, produits de lavage et de salage…) pour les stocker et les traiter avant rejet dans le milieu naturel.
Ce caniveau, à fond plat, aux bords verticaux et lisses, d'environ 30 cm de large pour 40 cm de haut, en en bordure immédiate et au ras de la chaussée bitumée constitue un piège mortel pour les salamandres en migration automnale.
Latéral à la chaussée, l'ouvrage court actuellement de façon continue sur plusieurs centaines de mètres et ne s'interrompt qu'au niveau d'un pont routier quasiment à mi-distance entre les deux séries de tunnels.
Le caniveau ne s'interrompt qu'au niveau d'un pont routier
(Cliché Michel Cottet)
La pose de ces équipements désastreux se fait de l'amont (tunnels de Fontain-La Vèze) vers l'aval (tunnels du Bois de Peu). À cause du profil du caniveau, aucune possibilité pour les amphibiens (salamandres et autres...) de se hisser hors du caniveau aux parois verticales et lisses. Il s'en suit une mort lente des animaux par dénutrition et surtout déshydratation, voire dessication très rapide. D’autres animaux, dont des insectes, se trouvent également piégés (Carabes, Staphylins…).
Le caniveau se déverse dans des puits
verticaux qui jalonnent son parcours
(Cliché Michel Cottet)
Pour l'instant (5 octobre 2010), ce caniveau dévastateur s'arrête dans du "tout-venant", du gravier recouvrant une plaque de tôle qui masque presque totalement un puits vertical busé équipé d'une échelle, au même niveau que la chaussée bitumée.
L'eau recueillie par le puits emprunte
une canalisation en souterrain…
(Cliché Michel Cottet)
…puis un déversoir de pente abrupte,
(Cliché Michel Cottet)
En outre, la pente longitudinale du caniveau épouse la pente du terrain et de la route (environ 10 à 15 %) ; elle est déjà forte et en cas d'averse comme ces derniers jours, c'est un violent effet de chasse qui doit inéluctablement entraîner les animaux dans les puits bétonnés qui doivent absorber les torrents temporaires ainsi créés, puis se déversent dans des caniveaux latéraux dont la pente est estimé de 30 à 45°. Apparemment, ces déversoirs doivent rejoindre les ruisseaux "naturels" déjà très affectés par le chantier.
…avant de rejoindre les ruisseaux "naturels"
(Cliché Michel Cottet)
En revanche, l'aménagement des caniveaux des voies collatérales à la chaussée 2x2 voies permet aux amphibiens de les traverser sans trop de danger.
Gestion du ruissellement des voies collatérales
(Clichés Michel Cottet)
La mortalité de salamandres adultes ces derniers jours semble avoir été considérable, avec, selon le témoignage de Jean-Gérard Théobald, une salamandre piégée quasiment tous les 50 cm sur une longueur d'environ 1 000 à 1300 m.
Terrible efficacité du caniveau avec une mortalité
de deux salamandres par mètre linéaire
(Clichés Jean-Gérard Théobald)
Mais aucun des cadavres (qui auraient dû être entraînés par le courant) n'a été trouvé dans les exutoires et jusque dans les vasques du ruisseau en aval.
L'explication est venue grâce à une personne du voisinage, qui a aperçu des personnes occupées à récolter quelque chose dans des seaux dans les caniveaux et les ruisseaux. Il s'agit, d’après des éléments de l’enquête dont nous avons connaissance, de fonctionnaires de la DREAL, de la DDT, de la DIR Est... qui récupèrent quotidiennement les animaux, vivants ou morts, piégés par le caniveau.
Tant que ce caniveau mortel ne sera pas recouvert (en espérant qu'il le soit), cette catastrophe perdurera à chaque migration bisannuelle.
Le fait que la simple existence de ce caniveau avant la mise en service de l'ensemble routier constitue un piège fatal aux salamandres, on peut se poser la question de la traversée de cet ensemble après la mise en service : un chemin latéral, un caniveau, une chaussée rapide à deux voies, un terre-plein central, une chaussée rapide à deux voies, un caniveau, un chemin latéral. Sachant que la salamandre se déplace lentement, restant immobile après de courts trajets, dans ces conditions, son espérance de vie est nulle.
Pourtant, la dernière livraison de la plaquette explicative de l'avancement des travaux n'ignore pas l'existence de la Salamandre tachetée. Encore faut-il connaître la biologie de l'animal car la plaquette montre des équipements tout à fait inadaptés à la biologie de cet Amphibien et ne fait aucune allusion à la création de "crapauducs".
Détails de la plaquette. Cherchez les erreurs :
Les murettes constituent un obstacle pour les salamandres.
La mare est trop profonde
Concernant ces aménagements, l'un d'entre nous, Michel Cottet, éco-interprète et herpétologue s'interroge sur un certain nombre de points.
Pourquoi donc, au titre des "mesures correctives" de la "Voie des Mercureaux" :
- avoir fait creuser des zones profondes (où les salamandres inévitablement entraînées vont se noyer) ? alternant avec des seuils…
- avoir fait creuser des mares trop profondes, pour un résultat équivalent ?
Ces trois mares qui ont été réalisées le long du ruisseau des Mercureaux sont ainsi inappropriées à restaurer ou maintenir la population de salamandres ; elles favoriseront plutôt les autres amphibiens : tritons, grenouilles, crapauds... au détriment des salamandres, déjà par le simple fait que ces dernières risquent de venir s'y noyer en pondant leurs larves, ainsi que par la concurrence interspécifique qui n'existait guère auparavant (ce qui explique l'importante densité de larves de salamandres dans ce ruisseau et d'adultes dans le vallon des Mercureaux et dans ses proches abords).
Ces mesures s'avèrent en fait, selon toute évidence, de nature à aggraver considérablement les impacts désastreux de la création de cette voie routière à 2 x 2 voies dans un site vierge, aujourd'hui largement dévasté.
Qu'en est-il des véritables mesures "COMPENSATOIRES" pourtant évoquées maintes fois pendant quatre décennies de lutte associative et de propositions alternatives (qui n'ont même pas été étudiées) contre ce projet ?
Quid des véritables "crapauducs" et autres équipements du même type ? les mortalités d'amphibiens de septembre-octobre 2010 montrent leur utilité et confirment qu'il aurait fallu les multiplier... Pourquoi ces dispositifs n'ont-ils pas été adoptés ?
Les choses ont l'air de bouger. L'ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage), chargé de la police de l’environnement, diligente une enquête pour étayer une correction bien tardive et remédier à ce problème avec les administrations concernées.
Le 13 octobre. la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) Franche-Comté, maître d’ouvrage de l’opération de la Voie des Mercureaux la DREAL a publié une note sur son site concernant cette affaire. Dès septembre, elle a constaté une migration qu'elle qualifie d'imprévue de salamandres tachetées sur une zone de chantier et propose une série de mesures destinées à remédier à la situation.
Désormais, on attend une réaction des ONG et des associations de protection de la Nature. Vont-elles intenter une action en justice en se constituant partie civile contre les entreprises, les maîtres d'ouvrage et maîtres d'oeuvre pour destruction massive d'une espèce protégée ?
Le 18 octobre 2010, la CPEPEESC a mis en ligne sur son site une réaction concernant cette hécatombe.
Interrogé début mars 2011, le directeur de la DREAL apporte les précisions suivantes :
La Dreal est en effet attentive, conformément à ce qu'elle avait annoncé lors de la découverte de cette voie de migration côté amont, à ce que les mortalités soient limitées au maximum.
Une première mesure consiste en une étanchéification de la zone par la mise en place de clôture à amphibien de part et d'autre de la voie dans le Vallon des Mercureaux. La mise en place des clôtures est actuellement en cours, elle est quasiment achevée dans la zone la plus critique.
Une deuxième mesure consiste en un suivi quotidien des migrations de l'espèce. En effet, pour cette période de migration importante qu'est la migration de printemps, un bureau d'étude spécialisé a été mandaté afin d'étudier les voies de migration de l'espèce. Le protocole de suivi est le suivant: des seaux sont mis en terre au niveau des clôtures en place, espacés régulièrement de manière à identifier les couloirs de migration préférentiels ; les seaux sont relevés quotidiennement et les salamandres relâchées dans le milieu naturel.
Comme annoncé à l'automne dernier, à la suite de la période de migration, un bilan sera effectué et, le cas échéant, la réalisation d'ouvrages de rétablissement des flux migratoires de l'espèce sous la voie sera étudiée.
Nous continuons à suivre cette question avec attention.
Remerciements à Hugues Pinston, herpétologue qui nous a fourni de précieux renseignements sur la population de salamandres des Mercureaux.
Pour connaître les dernières nouvelles concernant la population de salamandres des Mercureaux, lire l'article de la Commission de Protection des Eaux.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Angel F. (1942) – Faune de Frande, Reptiles et Amphibiens. Lechevalier (éd.), Paris, 204 p.
- Boulenger G. A. (1911) – A contribution to the study of variations of the Spotted Salamander (Salamandra maculosa). Proc. Zool. Soc. London, 1911 (I), p. 323.
- Fretey J. (1975) – Guide des Reptiles et Batraciens de France. Hatier (éd.), Paris, 239 p.
- Pinston H. (1987) – Inventaire herpétologique à Beure (25). Rapport interne pour le Centre Permanent de Recherche en Ecologie, Besançon.
- Pinston H., Craney E., Pépin D., Montadert M. et Duquet M. (2000) – Amphibiens et Reptiles de Franche-Comté. Atlas commenté de répartition. Groupe Naturaliste de Franche-Comté et Conseil Régional de Franche-Comté (éds.), Besançon, 116 p.
6 commentaires
pourquoi ce rammassage par fonctionnaires?Faut cacher, nettoyer, éviter les ennuis? Avez vous questionné les services? merci
pourquoi ce rammassage par fonctionnaires?Faut cacher, nettoyer, éviter les ennuis? Avez vous questionné les services? merci
Bonjour,
Il semblerait bien qu'il s'agisse de personnes appartenant aux entreprises qui s'évertueraient à limiter les dégâts en intervenant avant la mort des salamandres.
Mais nous n'avons aucune certitude à cet égard.
Désolé de vous décevoir mais le réseau de caniveau en U dont vous parler ne se déverse pas dans le ruisseau. Donc forcément, pas de Salamandres "mortes" dans les Mercureaux.
Deuxième point, l'étude d'impact menée pour l'autorisation au titre de la Loi sur l'Eau a été diligentée suite aux demandes des associations de protection de la nature. Cette étude n'a pas démontrée de passage ni de migration de salamandres à cet endroit du Vallon.
Pour répondre aux différents commentaires, il faut savoir que cette espèce est protégée via l'arrêté du 19 novembre 2007 (article 3)
lien : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=6515E79A42F0EE3C8B8FADCADF253488.tpdjo05v_1?cidTexte=LEGITEXT000017880834&dateTexte=20080816.
En gros, il est interdit de détenir et déplacer des individus. Donc les personnes qui les déplacent sont amendables à moins d'avoir une autorisation de capture. Le fait de faire ce "ramassage" par des personnes faisant parti de service de l'Etat. Ils ont peut être une autorisation de capture.
Sinon pour remédier aux problèmes de caniveau en U, ce genre de problème a été soulevé lors d'une intervention au Congrès de la SHF début octobre à Grenoble. Le même cas se pose dans les bassins de décantation en toile plastique. Les bêtes (amphibiens et petits mammifères) se retrouvent coincés et ne peuvent remonter car elles n'ont pas de prises et se nboient ou meurent de fatigue, manque de nourriture...
Le CG de l'Isère a mis en place des sortes de grillage qui servent d'échelle afin que les bestioles puissent s'échapper de leurs pièges. Ce système pourrait peut être essayer sur le système de caniveau en U.
A voir...
" ces perssones" , comme vous dite, sont des agent apartenent à la direction regionnal de l'environnement , ils ont ressu l'autorisation de sauver se qui peut etre sauver et planche sur les solution qui peuvent etre aporter à ce probleme . ces ramassages ne sont que provisoir avant des amenagement Batrachoduc a venir . il ne sont en aucun cas des perssones apartenant aux entreprises cherchant à cacher cette écatombe , au contraire !! ne juger pas l'orsque vous ne saver pas !
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