DeepWater Horizon : marée noire, autopsie d'une catastrophe
20/06/2010
Marée noire, autopsie d'une catastrophe
(Suite de désastre pétrolier dans le Golfe du Mexique)
(Dernière mise à jour : 16/12/2011)
Avec l'explosion du puits DeepWater Horizon, c'est un désastre à long terme qui a touché le golfe du Mexique. Enfin, dans les derniers jours de juillet, la pose d'un nouvel entonnoir a permis de stopper la quasi-totalité des écoulements. Enfin BP a annoncé être enfin parvenu à boucher le puits lors de l'opération Static kill. Il a été définitivement colmaté le 19 septembre 2010.
L'ampleur de la mobilisation a été sans égale pour une marée noire : 45 000 intervenants, 4000 bateaux ont été mobilisés pour combattre la catastrophe. De leur côté, des centaines de scientifiques et d'experts se mobilisent pour en mesurer l'ampleur. Contrairement à celle de l'Exxon Valdez, qui souilla durablement les côtes de l'Alaska en 1989 et dont l'impact est encore visible à l'heure actuelle, celle-ci affecte directement le territoire des États-Unis : le golfe est une destination touristique majeure et la pêche locale fournit 20 % des produits de la mer d'origine nationale consommés sur le marché intérieur. Sans compter un patrimoine naturel unique au monde : les bayous c'est-à-dire les marais côtiers et intérieurs de Louisiane représentent 40 % des marais américains. Ils se rencontrent aussi sur les côtes d'Alabama, du Mississippi et de Floride. Rien d'étonnant à ce que les deux agences fédérales en charge de la mer et de la recherche, NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) et NSF (National Science Foundation), aient débloqué des moyens d'urgence pour permettre aux universités américaines de travailler sur ce désastre imprévu.
Infographie "Sciences et Avenir", septembre 2010
De nombreux navires océanographiques appartenant aux universités ont été réquisitionnés pour des campagnes dans le golfe. L'objet principal de leur mission : évaluer l'étendue et la composition chimique des panaches de pétrole flottant entre deux eaux notamment la quantité de méthane dissous retenu dans l'eau ou émis dans l'atmosphère. Les spécialistes ont en effet signalé dès le début l'importante concentration en méthane de ce pétrole brut : plus de 40 % comparés aux 5 % d'un pétrole ordinaire extrait à terre. C'est la raison des flammes au-dessus de la fuite : grâce à l'entonnoir placé jusqu'à la mi-juillet sur le puits, l'énorme navire Discoverer Enterprise captait entre 20 et 40 % de la fuite (estimée mi-juillet à 60 000 barils/jour) et séparait le gaz qu'il brûlait sur place. Il était aidé dans cette tâche par un second navire géant qui, lui, brûlait le reste du méthane et un maximum du pétrole flottant, aspiré sur l'eau environnante par environ 50 "navires écrémeurs".
Au-delà de l'embouchure du Mississipi, les dégâts sont bien visibles sur les roselières émergeant de l'eau, noires et gluantes sur 30 centimètres de hauteur, révélant l'insidieuse pénétration de la marée noire dans les tréfonds du marais. En dépit de la pose de milliers de kilomètres de boudins absorbants destinés à protéger ce milieu fragile et de la construction pharaonique d'îles artificielles de sable face aux passes conduisant aux lacs intérieurs, l'huile pénètre partout, poussée par les vents violents. Dans le golfe, ces marais amortissent habituellement l'impact des tempêtes sur les côtes, ralentissent l'érosion, capturent et absorbent les nutriments en excès avant que ceux-ci n'atteignent les eaux vives. Tout cela est menacé. Car il ne suffira pas que le pétrole ait disparu de la surface de la mer pour que la vie reprenne. Les sédiments imprégnés vont relarguer pendant des années des "éclats" de pétrole concentrant métaux, dispersants et autres composés toxiques. En mer, toute la chaîne alimentaire sera touchée à commencer par le phytoplancton et les larves d'invertébrés et de poissons. Difficile de savoir comment résisteront les habitants des marais, notamment les plus emblématiques, tortues, serpents et alligators. Selon la quantité de pétrole, ils seront plus ou moins affectés. Les adultes survivront mieux que les jeunes.
Le montant total des dommages pour la compagnie BP s'élevait à 8,1 milliards d'euros au 29 septembre 2010. On ne saura jamais combien de pétrole s'est écoulé dans le golfe. Le chiffre de 780 millions de tonnes de pétrole est avancé. Si la nappe est désormais peu visible sur la côte, seulement 20 % du pétrole répandu aurait été retiré de l'océan, estime la Woods Hole Océanographie Institution (WHOI) de l'université de Géorgie dans Science. Le reste serait coincé à environ 1100 mètres de profondeur sur 35 kilomètres de large, selon des prélèvements effectués dans la colonne d'eau à proximité du lieu de la catastrophe.
Ce panache de faible concentration se déplace de six à sept kilomètres par jour et fluctue selon les marées. « Il fait 200 m de haut et ne varie que de quelques dizaines de mètres », précise Richard Camilli, directeur de l'équipe du WHOI. Nous voilà loin des propos optimistes tenus le 4 août par la conseillère pour l'énergie et le climat de l'administration Obama ! Carole Browner claironnait alors que les trois quarts des 780 millions de litres de pétrole déversés dans le golfe se seraient évaporés sous l'effet du rayonnement solaire, ou auraient été absorbés par la vie bactérienne ou encore brûlés à la surface. La question qui se pose est de savoir comment vont évoluer les molécules d'hydrocarbures coincées à ces profondeurs.
En fait, dans une étude plus récente (septembre 2011) comparant la composition du pétrole échappé du puits de 1500 m de fond à celle du pétrole retrouvé en surface, Christopher Reddy, de l'Institut océanographique de WoodsHole (États-Unis), a montré que seuls les composés insolubles sont remontés à la surface. Les composés (benzène, éthylbenzène, toluène, xylènes...), hautement toxiques, demeurent à 1100 m de profondeur. L'immense nappe de pétrole répandue dans le Golfe du Mexique n'était donc que la partie émergée de l'iceberg.
Des bactéries pourraient-elles venir à bout de ce pétrole profond ?
Science a publié une étude rassurante du Berkeley National Laboratory (Californie). Cette équipe a en effet repéré dans l'eau prélevée dans le panache profond plusieurs espèces de protéobactéries gamma (l'un des cinq groupes de protéobactéries), qui seraient capables de digérer des composés du pétrole sans utiliser d'oxygène. Ces bactéries inconnues, révélées par analyse génétique, sont stimulées par les milieux froids et devraient donc dégrader les molécules à cette profondeur. En cuves de laboratoire, en tout cas, elles ont réduit de moitié en moins de six jours la concentration en pétrole. Cette performance est-elle la même à – 1000 m ? De nombreux microbiologistes sont sceptiques. Ils se demandent par ailleurs si ces micro-organismes sont capables d'absorber les composants des hydrocarbures connus pour être les plus difficilement assimilables par les êtres vivants. Le suivi du panache dans les prochains mois est donc essentiel.
Quoiqu'il en soit, une observation de très long terme sera nécessaire pour tirer le bilan de cette marée noire qui n'a jamais eu de précédent par son ampleur. S'il est encore trop tôt pour prédire l'impact précis de cet accident industriel sur l'écosystème, les scientifiques s'accordent sur un point : il sera majeur.
Deepwater Horizon mai 2011 : où est le pétrole ?
Début mai 2011, le site Internet du pétrolier BP dédié à la catastrophe de Deepwater Horizon répercutait que 68 très rares tortues de Kemp avaient nidifié sur des plages du Texas. Une preuve, semblait dire le pétrolier, que la nature reprend ses droits, un an après la destruction de la plate-forme Deepwater Horizon, le 21 avril 2010. Le puits a été rebouché le 19 septembre et entre temps 800 millions de litres de brut se sont répandus dans le golfe du Mexique. Les scientifiques sont bien plus prudents quant à la santé retrouvée de l'océan. Le mystère demeure sur ce qu'est devenue la masse d'hydrocarbures relâchée à 1500 m de profondeur : absorbée par les bactéries, flottant entre deux eaux, déposée sur le benthos, l'ensemble des organismes vivant dans le fond des mers ? Personne ne peut non plus prédire l'impact des sept millions de litres de dispersants chimiques injectés. Le Conseil de défense des ressources naturelles a de son côté calculé que 6000 oiseaux, 600 tortues de mer et une centaine de cétacés ont péri. De nombreux endroits de la côte de la Louisiane restent pollués même si les dernières zones de pêche fermées ont réouvert le 19 avril. BP a décidé le 22 avril d'octroyer 680 millions d'euros supplémentaires pour la restauration des milieux. La catastrophe va lui coûter au moins 28 milliards d'euros.
Dans un article publié dans le n° de Sciences et Avenir de décembre 2011, Hélène Crié-Wiesner fait le point sur la situation dans le Golfe du Mexique.
Comme si le golfe du Mexique, où s'est déversée cette gigantesque marée noire, n'avait pas assez souffert, il a également dû absorber au printemps 2011 la plus importante crue du Mississippi jamais enregistrée dans l'histoire américaine. Cet afflux brutal de millions de litres d'eau charriant une quantité vertigineuse de polluants venus du continent a accru la fragilité des zones côtières, qui n'avaient pas récupéré depuis la marée noire.
Travaillant sur les problèmes d'impact sur l'environnement de cette marée noire, les chercheurs indépendants décrivent une situation désastreuse : plus de 26 000 hectares de délicats marais côtiers « semblent malades » ; le système immunitaire de certains poissons « paraît compromis » ; la croissance des algues et du plancton a « ralenti » dans certains endroits ; « une couche de boue noire et gluante » recouvre les fonds aux alentours du puits accidenté ; des créatures vivant en eaux profondes - coraux, étoiles de mer, vers... - ont été photographiées gisant mortes à plus de mille mètres sous l'eau ; des millions de poissons et de crustacés, des milliers d'oiseaux et des centaines de tortues et de dauphins sont régulièrement trouvés morts, leurs tissus imprégnés de pétrole. Ces renseignements ne sont pas contestés par les rapports officiels. Mais l'enjeu est désormais de fournir des preuves pour affirmer que c'est bien le pétrole issu de la plate-forme gérée par BP qui est à l'origine de ces dégâts.
Qu'est-il advenu du pétrole déversé à jet continu pendant tous ces mois ? Dans son rapport, la NOAA donne des estimations : 25 % s'est évaporé ou a été absorbé par les innombrables bactéries utilisant le pétrole pour leur métabolisme; 17 % a été récupéré ; 16 % a été traité par le dispersant chimique qui a « cassé » les molécules du brut en fines gouttelettes réparties ensuite dans l'eau en panaches discrets ; 13 %, violemment projeté à la sortie du puits, s'est aussi divisé en fines gouttelettes ; 5 % a été brûlé à la surface de la mer et 3 % a été « épongé » à terre et en mer par les nettoyeurs et les boudins flottants. La NOAA évalue entre 11 et 30 % le « pétrole résiduel », dont personne ne sait exactement où il se trouve ni sous quelle forme. Le seul désormais visible est celui qui englue encore les côtes de Louisiane et que l'on ne collecte plus. En février, les gardes-côtes ont en effet demandé à ce que l'on interrompe le nettoyage systématique exigé de BP par certains politiques locaux, notamment sur les plages : ces dernières sont écologiquement handicapées par ce grattage qui empêche tout renouvellement de l'écosystème. Les opérations se poursuivent en revanche dans certains marais. Pour Nancy Rabalais, spécialiste des organismes marins au Louisiana Universities Marine Consortium, « on peut très difficilement se faire une idée de la quantité de pétrole dans les marais intérieurs et côtiers, dans les mangroves, ainsi que dans certaines "îles barrières" qui défendent l'entrée des passes. Mais certains dégâts sont invisibles : le pétrole a été recouvert par des sédiments. L'huile empêche le travail des bactéries, l'oxygène n'arrive plus aux racines et il y a forcément une perte de la masse racinaire. On a vu des marais mourir ici et là, mais repousser ailleurs directement à travers le pétrole. Il est trop tôt pour savoir comment les choses vont évoluer. »
Il faut noter que l'exploitation a continué comme si de rien n'était. On comptait 10 % de plates-formes supplémentaires dans le golfe du Mexique en février 2011 par rapport à l'été 2010. En additionnant les structures en place depuis 1910 actives ou à l'abandon, le nombre total de plates-formes gazières et pétrolières se monte à plus de 3858, dont 3000 dans les seules eaux louisianaises, selon le dernier chiffre officiel communiqué en 2006 par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration). Le gouvernement avait bien décidé d'un moratoire sur les forages en eaux profondes, mais il l'a levé en octobre 2010, exigeant en contrepartie de nouvelles règles de sécurité.
Plus de 4000 plates-formes dans le golfe
(document BOEMRE, Secretary of Interior)
L'Europe risque-t-elle d'être touchée ?
Infographie "Sciences et Avenir", septembre 2010
Le Gulf Stream, qui naît entre la Floride et les Bahamas, pourrait emporter le pétrole, dilué, jusqu'en Europe. Une fois embarquées par le courant, les nappes vont remonter vers le Nord. En général, le Gulf Stream ne s'approchant guère des côtes américaines, les nappes devraient épargner les rivages du Sud-Est des États-Unis. Mais des vents locaux peuvent toutefois pousser des nappes diluées ici et là. Le pétrole peut effectivement arriver en Europe, mais alors il sera très dilué et détectable seulement en laboratoire. Pour autant, ce sera toujours du pétrole, avec un impact sur les écosystèmes.
Sources :
- Chauveau Loïc, Sciences & Avenir, octobre 2010, p. 32.
- Crié-Wiesner Hélène, Marée noire, autopsie d'une catastrophe, Sciences et Avenir sept 2010.
- Crié-Wiesner Hélène, Marée noire, un tiers du pétrole porté disparu, Sciences et Avenir déc 2011.
- La tête au carré, émission de France Inter du 14 septembre 2010.
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