Le réchauffement climatique en France
03/11/2015
Le réchauffement climatique en France
Le réchauffement climatique à l'échelon de la planète
Environ 1°C, c'est l'amplitude des variations de températures au cours des 12 000 dernières années, bornée par les extrêmes du Petit Âge glaciaire (vers 1300-1850) et de l'optimum climatique (vers 5000 av. J.-C).
Or, la température moyenne dans notre pays s'est élevée de 1°C sous l'effet des émissions industrielles en un siècle et demi. Neuf années sur les dix réputées les plus chaudes des deux derniers siècles sont postérieures à l'an 2000. Plus encore que son ampleur, c'est la rapidité à laquelle se produit le phénomène qui inquiète les chercheurs.
"Cela n'a peut-être l'air de rien, mais cet écart représente 20% de la différence thermique séparant une période de glaciation d'une période 'normale'", relève Éric Brun, de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Unerc), un organisme placé sous l'autorité du ministère de l'Écologie. "Une hausse de la température de 1°C correspond, pour des régions comparables, au déplacement du climat de 180 km vers le nord ou de 150 m plus haut en altitude", enchaîne Serge Planton, directeur de recherche au Centre national de recherches météorologiques.
Si l'on prend comme repère l'organisme humain, il devient fiévreux à partir de 39°C ; s'il atteint 41°C, sa vie est menacée ; s'il retombe à 37°C, tout va bien. Deux degrés de plus ou de moins font une énorme différence.
Ce qui nous attend pour le siècle à venir ? Difficile d'être très précis : les climatologues se débattent avec plusieurs scénarios très différents d'émissions de CO2 et une flopée de modèles numériques dont les résultats ne convergent pas toujours (voir ci-contre). Il n'empêche, des tendances se dégagent nettement.
Avant la COP21, les États se positionnent
Du 30 novembre au 11 décembre se tiendra à Paris la COP21 c'est-à-dire la 21e Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Les "parties" sont les 195 états ayant ratifié cette convention de principe lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. La COP en est l'organe de décision suprême. Cette conférence est organisée chaque année dans une ville différente. Objectif affiché à Paris : obtenir un accord juridiquement contraignant pour contenir le réchauffement planétaire sous les 2°C en 2100.
En vue de la COP21, 150 États ont révélé leurs engagements à réduire leurs gaz à effet de serre d'ici à 2030 ou 2050. Bilan : ils ne permettront de limiter la hausse globale des températures qu'autour de 3°C d'ici à 2100. Au-dessus donc des 2°C recommandés par la communauté scientifique.
Les premiers de la classe
Dans les pays développés, U.E (-40 % par rapport à 1990) et les États-Unis (-28 % sur le secteur électrique). Dans les pays en développement, le Costa Rica (0 émission en 2021), l'Éthiopie (-62 %) et le Maroc (-32 %).
Les nouveaux venus
Chine, Inde, Brésil s'engagent pour la première fois à ne plus augmenter leurs émissions et à investir massivement dans les énergies renouvelables.
Les mauvais élèves
Australie, Canada et Turquie n'entendent pas cesser d'extraire ou d'utiliser des énergies fossiles et ne visent que de très faibles baisses. La Russie, elle, ne jouera que sur le puits de carbone de son immense forêt boréale.
Les absents
Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Irak, Nigeria. Venezuela, Qatar, Iran n'ont présenté aucune contribution.
Alors que les émissions des pays développés ont cessé de progresser ou baissent, celles de pays émergents (Inde et, surtout, Chine) augmentent. Mais ces pays se sont engagés pour la première fois à les limiter.
Malheureusement, les négociateurs qui affluent du monde entier vers Paris pour participer à la COP21, n'y pourront pas grand-chose ! "L'inertie du système climatique est telle qu'il n'est plus possible d'infléchir la tendance d'ici à 2050. lance Éric Brun. Les décisions prises en ce moment n'auront un impact que sur la seconde moitié du XXIe siècle. " II y a urgence quand on sait que 2015 est en passe de devenir l'année la plus chaude jamais enregistrée.
Le réchauffement climatique en France
Le magazine "Sciences & Vie" développe dans sa livraison de novembre 2015 un dossier spécial consacré au climat et fait le tour des régions françaises[1], hexagone et DOM-TOM compris. Nous empruntons à cette revue l'ensemble de son article d'introduction.
Il suffit d'ouvrir les yeux. Il suffit de prêter un peu attention à tel ou tel signe étrange dans le paysage, à ce petit détail qui cloche ou cette anomalie qui bouscule de vieux adages bien ancrés. L'évidence saute alors à la figure : le réchauffement climatique mondial est en train de transformer la France.
+2,4°C : le scénario le plus probable en France
Source : Ministère de l'écologie, du développement durable
et de l'énergie
La figure ci-dessus montre une projection du climat de la France des années 2070-2100... Une projection parmi d'autres, car il existe plusieurs scénarios d'émissions de CO2 (voir ci-dessous) et différents outils de simulation numériques. Nous avons choisi un scénario médian (trait vert, correspondant à un changement mondial de 1,7 à 3,2°C) simulé par le modèle Aladin-Climat exploité par Météo-France. Constat frappant : le changement climatique n'aura rien d'homogène à l'échelle du territoire ; la vallée du Rhône devrait subir un réchauffement trois fois supérieur à celui de la pointe du Cotentin ! Quelle que soit leur ampleur, ces dérèglements auront un impact sur les activités et les paysages les plus emblématiques de nos régions.
Évolution de la température en été et en hiver
Depuis maintenant plusieurs décennies, les indices s'accumulent dans tous les coins de l'Hexagone. Que ce soit en ville, à la campagne, à la montagne ou sur le littoral... En Lorraine, les semis de blé sont effectués un mois plus tôt qu'en 1970 ; dans le massif du Mont-Blanc, il faut des descendre chaque année une dizaine de marches supplémentaires pour accéder à la Mer de Glace ; à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), les vendanges ont été avancées d'environ trois semaines depuis les années 1950 ; dans le Maine-et-Loire, les pommiers fleurissent une semaine plus tôt que dans les années 1990 ; en Normandie, le rouget s'est invité à la table des restaurants gastronomiques : à Paris, les perruches côtoient les pigeons…
Dans l'Hexagone, le climat sera de plus en plus chaud tout au long de l'année, les canicules estivales vont se multiplier et l'été sera toujours plus sec sur l'ensemble du pays car la chaleur accentue l'évaporation des sols et la transpiration des plantes. Autant dire que le brûlant été 2003 est voué à devenir la norme...
Le régime des pluies sera aussi probablement impacté : les précipitations devraient augmenter en hiver et diminuer en été, avec un risque accru de pluies extrêmes. Tandis que le niveau des mers pourrait s'élever d'une cinquantaine de centimètres.
ÉVOLUTION EN ACCÉLÉRÉ
Peut-être que plus que son ampleur, c'est la vitesse du changement à venir qui interpelle : "Dans les cinquante prochaines années, nous devrions encaisser à peu près le même échauffement que lors du siècle dernier", pointe Serge Planton. Même si, à bien des égards, la société évoluera sans doute plus vite que le climat.
Personne ne peut rester indifférent à ces projections dans un pays comme le nôtre, si dépendant de ses terroirs et de ses climats. La France est le premier exportateur européen de céréales, le premier producteur mondial de vin, la première destination touristique, le plus grand domaine skiable du monde, un pays bordé par trois mers et un océan en élévation... "À ne pas chercher à s'adapter reviendrait à se tirer une balle dans le pied !", lance Éric Brun.
Bonne nouvelle : l'adaptation au nouveau climat est justement devenue un objet de recherche en soi. Avec, à la clé, des pistes pour l'avenir.
"Jusqu'à maintenant, nous nous sommes adaptés en fonction de l'experience acquise, par petits incréments, à l'image du décalage de la date des semis, analyse Thierry Caquet, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Mais vers 2030-2040, il faudra commencer à sortir des référentiels connus, avec l'apparition de nouvelles cultures, de nouveaux systèmes de production — pourquoi pas issus des pays du Sud. Ensuite, des décisions plus radicales devront être prises, peut-être l'abandon de cultures emblématiques."
D'ores et déjà, les agronomes se ruent sur leurs archives et leurs grandes collections de semences. Ils commencent aussi à analyser plants de vigne, arbres (fruitiers ou non), céréales ou espèces animales exploités dans les endroits les plus chauds et arides de la planète. À la recherche de tout ce qui serait capable de supporter un été caniculaire, un automne chaud ou même un hiver trop doux.
LOURDES DÉCISIONS
Ces problèmes peuvent paraître lointains. Erreur ! La question est déjà brûlante pour les forestiers, par exemple, dont les arbres plantés aujourd'hui seront exploités vers la fin du siècle. "Il existe un paquet d'incertitudes sur la capacité des arbres à s'adapter aux sécheresses extrêmes attendues, nous sommes dans l'inconnu, témoigne Hervé Le Bouler, de l'Office national des forêts (ONF). À vrai dire, toutes les essences sont susceptibles d'être mises en difficulté par ces stress hydriques. Il faut trancher... ça ressemble à une situation de guerre."
Un peu partout, de lourdes décisions devront être prises. Face à la montée du niveau de la mer, "les zones à forts enjeux industriels et humains (Dunkerque, Le Havre...) seront protégées à tout prix, annonce Eric Brun. Dans d'autres endroits, en revanche, il faudra accepter de cesser la lutte et d'abandonner des terrains à la mer".
Une chose est sûre : les conséquences dépasseront largement le simple décalage des vendanges ou de la date de floraison des pommiers et des mirabelliers.
Rien ne sera simple. De lourds investissements devront être consentis pour ériger des digues supplémentaires, inventer des systèmes d'irrigation, lancer une lutte massive contre des parasites ou des maladies mal connus, mettre en place des compétences inédites, imaginer de nouvelles filières économiques, s'adapter à d'autres rythmes de vie, se lancer dans de nouvelles cultures qui, au début, pourraient échouer lamentablement... "Les agriculteurs devront renégocier les cahiers des charges des appellations d'origine contrôlée de leurs produits, qui n'auront plus forcément le même goût ni le même aspect", avance Thierry Caquet.
Ici, il faudra peut-être faire le deuil d'une infrastructure emblématique devenue caduque : une station de ski, une promenade sur le front de mer, une route départementale... Là, abandonner des savoir-faire ancestraux. Des paysages typiques deviendront méconnaissables. Quelques itinéraires de promenade bien connus se révéleront trop dangereux. D'inquiétantes maladies, que l'on croyait réservées aux pays tropicaux, nous toucheront de plein fouet. Les ingrédients de certaines recettes traditionnelles seront plus difficiles à trouver.
Inutile, pour autant, de céder au catastrophisme : les Français sont loin d'être les plus mal lotis face au changement climatique. Notre territoire ne sera pas constamment submergé comme certaines parties du Bangladesh ou n'importe quelle île du Pacifique. "La France restera un pays tempéré, avec ses variations saisonnières qui lui sont propres — il y aura toujours des perturbations en hiver", rétablit Robert Vautard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Selon plusieurs modèles, la vitesse des vents violents aurait même tendance à s'atténuer dans l'Hexagone. Et il ne s'agirait pas non plus d'accuser le climat à tort et à travers à chaque nouvelle catastrophe naturelle.
DES VIGNES PARTOUT EN FRANCE
Surtout, le changement climatique ne peut se résumer à une douloureuse et tragique rupture d'équilibres. Des opportunités se présenteront aussi. Quoi qu'on en pense, le surplus de CO2 présent dans l'atmosphère stimule la croissance de nombreux végétaux ! Et puis, le déplacement de certaines espèces vers le nord crée de nouvelles possibilités sur ces territoires — toute la France sera bientôt éligible à la viticulture. Pour sa part, la raréfaction des périodes de gel ouvre le champ des possibles dans le nord-est de la France et dans les massifs montagneux. Plusieurs espèces aujourd'hui marginales sur notre territoire, comme le pin d'Alep ou le sorgho, pourraient enfin trouver la place qu'ils méritent. "Les cultures rustiques et diversifiées devraient prendre l'avantage sur les systèmes hyper-performants ", relève, non sans plaisir, Patrick Bertuzzi, directeur de l'unité de recherche Agroclim (INRA Avignon). Comme un air de revanche sur le productivisme et l'uniformisation à tout crin.
[1] Climat, le tour de France des régions Sciences & Vie n° 1178 novembre 2015, pp.46-128;
Voir également le dossier de Sciences et Avenir, n° 825, novembre 2015, pp. 56-63.
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