Risque nucléaire : la France cesse de faire l'autruche
23/02/2013
Le risque nucléaire : il était temps que la France cesse de faire l'autruche !
On est content que la France avec ses 58 réacteurs s'inquiète enfin.
par Vincent Nouyrigat
(Science & Vie, n° 1146, mars 2013, p. 34).
Quatre cent trente milliards d'euros. Vous avez bien lu : 430 milliards d'euros ou, dit autrement, 20 % du PIB de la France. Tel serait le coût apocalyptique d'une catastrophe nucléaire sur notre territoire, selon une évaluation de l'IRSN - le gendarme français de l'atome. Un chiffre injustement passé inaperçu cet automne... Inutile de chercher un quelconque équivalent parmi les grands désastres technologiques : même l'explosion de l'usine AZF fait figure de péripétie avec "seulement" 2 milliards d'euros de dommages.
Non, l'éventuelle fusion d'un réacteur dans l'Hexagone, assortie de rejets radioactifs massifs, appartient à une tout autre espèce. De celles qui laissent un pays aux abois, comme ravagé par une guerre : des territoires entiers condamnés pour des décennies, sans doute près de 100 000 réfugiés à reloger, la production électrique en péril, une image durablement salie (tourisme, exportations)... Autant de conséquences pétrifiantes face auxquelles notre Autorité de sûreté nucléaire présentait, le 21 novembre dernier, ses premières ébauches de parades. De "premières" ébauches seulement ? Oui, mais saluons déjà cette bonne nouvelle : la France, ce pays aux 58 réacteurs, ose enfin affronter l'hypothèse d'un accident nucléaire majeur !
Il était temps, près de trente ans après la catastrophe de Tchernobyl et alors même que les autorités japonaises semblent toujours dépassées par les effets de Fukushima. Mais voilà : jusqu'à présent, nos pouvoirs publics avaient soigneusement éludé les scénarios catastrophes, pour des raisons mêlant confiance aveugle en l'atome français et farouche volonté de taire certaines questions embarrassantes, comme la prise en compte de ce risque dans les coûts du kilowattheure nucléaire. Et jusqu'ici, la sécurité civile s'était contentée d'établir de classiques mesures d'urgence dans un périmètre minuscule (distribution de pastilles d'iode, exercices d'évacuation). Sans se soucier, donc, des suites à donner une fois qu'un nuage radioactif aura contaminé toute une région. D'accord, ce travail d'anticipation est d'une ampleur intimidante : il s'agit ni plus ni moins d'envisager tous les détails de la vie d'un vaste territoire en crise pour des décennies.
Cette réflexion en amont n'en est pas moins indispensable, si l'on songe aux innombrables décisions qu'il faudrait prendre, à la fois complexes et déchirantes. Les Ukrainiens et les Japonais en savent quelque chose désormais... Au vrai, personne ne voudrait improviser à l'heure de désigner les régions que les Français devraient abandonner dans l'urgence (et les laissera-t-on revenir un jour prendre leurs affaires ?), d'autoriser ou non les éleveurs à alimenter leur bétail en zone radioactive, ou d'organiser en quelques heures la décontamination de tous les lieux publics qui peuvent l'être, en décapant trottoirs, murs, toits, en élaguant tous les arbres, en remplaçant les bacs à sable des jardins d'enfants... Au passage, il faut bien avoir cogité plusieurs années avant de trouver le moyen de traiter ces montagnes de déchets radioactifs !
Réaliser que la France héberge depuis un demi-siècle quantité de réacteurs sans jamais avoir planché sur ces casse-tête, voilà qui fait frémir rétrospectivement... Apprendre qu'elle commence seulement depuis peu à y réfléchir ne rassure qu'à moitié. Mais il n'est jamais trop tard pour ouvrir les yeux.
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