Gaz de schiste : un avenir à préciser
31/03/2011
Gaz de schiste : un avenir à préciser
(dernier ajout : le 31 juillet 2016)
par Bernard Tardieu [1]
(Pour la Science n° 404, juin 2011 pp 18-19)
Les réserves de gaz de roche sont importantes et suscitent des espoirs. Peut-on les exploiter sans nuire à l'environnement ? La question reste ouverte.
Depuis cinq ans, la production de gaz de roche [des schistes argileux] aux États-Unis a crû rapidement. Elle représente aujourd'hui 54 pour cent de la production de gaz et 17 pour cent de la consommation énergétique totale de ce pays. Les réserves estimées y correspondent à 110 ans de consommation. Les États-Unis ont ainsi réduit leurs importations de gaz naturel liquéfié. Cela fait partie de leur stratégie énergétique : compte tenu de la tension sur les marchés d'énergie primaire et de la fin d'une domination totale reposant sur leur puissance militaire et économique, il est vital pour les États-Unis de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis du reste de la planète et d'améliorer leurs positions de négociation sur le marché mondial de l'énergie. Le développement volontariste du gaz de schiste a permis d'obtenir des prix bas et compétitifs sur le marché américain. Cela s'est-il fait au prix d'une dégradation inacceptable de l'environnement ? Le film Gosland, largement diffusé, tend à le montrer : nappes phréatiques polluées, robinets qui crachent du gaz, paysages dégradés...
Quels que soient les intérêts défendus par ce film inquiétant, les questions qu'il pose ne peuvent rester sans réponses. De façon évidente, on constate des atteintes graves à l'environnement.
Ces pollutions résultent-elles de comportements industriels inacceptables et délictueux ? Et surtout, peut-on les éviter ?
L'exploitation des gaz de schiste repose sur le fait que des couches d'argilite situées à grande profondeur (1500 à 3 000 mètres) peuvent contenir du méthane, gaz issu de la transformation des matières organiques emprisonnées lors du dépôt sédimentaire. L'argilite étant une roche très étanche, le méthane y reste piégé.
Pour libérer le gaz, il faut rendre l'argilite poreuse. Pour ce faire, on injecte une grande quantité d'eau à haute pression, supérieure à la résistance de la roche. De nombreuses fissures se développent alors à proximité du forage, le gaz s'échappe et est collecté. Pour que les fissures ne se referment pas dès que la pression de l'eau baisse, on injecte du sable fin ou de minibilles de céramique en même temps que l'eau. Leur présence dans les fissures empêche cellesci de se refermer, de sorte que le gaz continue de s'échapper. Les foreurs injectent aussi différents produits chimiques [acides, fluidifiants, etc.] pour obtenir une fissuration plus efficace. Les produits chimiques que l'on ajoute à l'eau constituent manifestement un problème.
Les forages à grande profondeur, classiques, peuvent être parfaitement étanches et traverser les nappes phréatiques sans les perturber. On peut contrôler ces forages, déceler leurs points faibles et les réparer à l'aide de techniques variées et éprouvées. Un puits qui fuit est un puits mal fait et mal contrôlé !
Généralement, arrivé dans la couche d'argilite, le forage est coudé, avec une courbure compatible avec la souplesse des tubes, et est prolongé horizontalement jusqu'à plusieurs centaines de mètres. La technique des forages horizontaux est utilisée pour explorer et exploiter une vaste zone à partir d'un site unique, par exemple une plateforme d'exploitation du pétrole dans le cas de l'offshore profond.
En résumé, on peut et on doit garantir l'intégrité des puits. On peut limiter l'emprise au sol grâce aux forages horizontaux et préserver les paysages. Reste la question de l'eau chargée de ses additifs. Les sables et billes de céramique introduits avec l'eau, inertes, ne posent pas de difficulté. En revanche, l'eau qui contient divers additifs constitue le problème principal.
Aux États-Unis, la Chambre des représentants a émis en avril 2011 un rapport intitulé Chemicals used in hydraulic fracturing. Selon ce texte, les 14 principales compagnies du secteur ont, entre 2005 et 2009, utilisé 2 500 produits contenant 750 composants chimiques. Plus de 650 de ces produits contiennent des composants connus pour leur effet cancérigène, selon les critères américains appliqués à l'eau potable [le Safe Drinking Water Act], ou sont des polluants atmosphériques... Peut-on se passer de ces produits, utilisés sans discernement ? La question est à ce jour sans réponse convaincante.
La France aura peut-être besoin des gaz de schiste. Elle importe 98 pour cent de son gaz. La dépendance de notre pays est donc élevée. Le prix du gaz payé par le consommateur dépend de contrats à long terme indexés sur le prix du pétrole, lui-même élevé. En outre, notre consommation de gaz va croître. Ainsi, le réseau électrique français RTE prévoit l'installation d'une puissance de 4,8 gigawatts [l'équivalent de trois centrales EPR] dans les prochaines années sous forme de turbines à gaz à cycle combiné. Et des centrales à gaz classiques auront à compenser les irrégularités de l'éolien et du solaire.
Alors même que l'énergie nucléaire est fragilisée par l'accident de Fukushima, notre pays peut-il renoncer à la recherche de ressources énergétiques sur son sol ? Notre avenir énergétique est précaire et la précaution voudrait que l'on analyse toutes les ressources potentielles. Le contraire serait inconséquent et imprudent. Les gaz de roche constituent, au moins pour certains pays, une ressource future. Mais il faut d'abord savoir comment se passer des produits chimiques qui polluent à long terme l'eau et les sols.
[1] Bernard Tardieu est membre de l'Académie des technologies et y préside la commission Énergie et changement climatique.
Ajout du 3 septembre 2014 (Science & Vie n° 1164, septembre 2014, p. 26) : Les puits de gaz de schiste font bien trembler la terre
Le débat est tranché. Les séismes en Oklahoma (États-Unis) sont bien provoqués par l'injection, dans des puits d'évacuation, d'eaux usées engendrées par des exploitations telles que celle du gaz de schiste.
C'est ce qu'a prouvé l'équipe de Kathleen Keranen, de l'université Cornell. Depuis dix ans, de nouvelles méthodes d'exploitation, comme les forages horizontaux, produisent des quantités considérables d'eaux usées dont on se débarrasse sons terre, en les injectant dans des puits profonds de 2 ou 3 km. Résultat : la pression monte dans le sous-sol. C'est ce phénomène que les géologues viennent de relier aux séismes.
Ils ont montré que quatre des puits les plus utilisés en Oklahoma sont responsables de 20 % des séismes qui se produisent jusqu'à 30 km alentour, avec des épicentres jusqu'à 5 km de profondeur. Ce qui expliquerait pourquoi cette région est bien plus souvent secouée par les tremblements de terre depuis 2009. Une conclusion inquiétante, car les terrains où la pression monte à cause de l'injection d'eau ne cessent de s'étendre, augmentant ainsi le risque d'atteindre une grosse faille susceptible de produire un séisme majeur.
Le gaz de schiste fait trembler la terre (ajout du 31 juillet 2016. (Sciences et Avenir Août 2016, p. 34)
Considérée comme une opportunité économique majeure pour les États-Unis, l'exploitation du gaz de schiste, qui a démarré en 2008, n'est pas sans conséquence pour la planète. La fracturation hydraulique qui consiste à briser la roche pour y injecter de l'eau afin de pousser le gaz vers le puits d'extraction provoque une multitude de tremblements de terre et pollue fortement l'atmosphère. L'Institut américain des études géologiques enregistre ainsi des séismes allant jusqu'à 5,6 sur l'échelle de Richter dans des régions autrefois stables comme l'Oklahoma, le Kansas ou le Texas. Par ailleurs, des chercheurs ont quantifié d'énormes fuites de méthane et d'éthane provenant des zones de forage, qui ont été mesurées jusqu'aux sommets suisses ! Selon leurs calculs, les émissions de méthane — un gaz à effet de serre vingt fois plus puissant que le CO2 — seraient passées de 20 millions de tonnes en 2008 à 35 millions de tonnes en 2014.
Voir également l'article du Monde diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/08/ROBIN/49528
Voir aussi Le fantôme du gaz de schiste européen
Également à regarder une émission de France télévision de 52 minutes : la tentation du schiste.
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