La riposte des lanceurs d'alerte
25/11/2010
La riposte des lanceurs d'alerte
par Corinne Lepage
Le procès qu’intente Gilles-Eric Séralini, soutenu par le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), contre Marc Fellous et son association de défense des OGM est une grande première.
C’est la première fois, en effet, que des scientifiques, lanceurs d’alerte, décident de faire juger le caractère diffamatoire du dénigrement personnel et systématique dont ils sont l’objet.
D’habitude, ce sont les lobbys qui assignent les lanceurs d'alerte pour dénigrement de leurs produits: Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF) pour les pesticides, Robin des Toits pour les ondes électro-magnétiques, Pierre Menneton pour le sel, ou qui obtiennent leur mise à l’écart (Christian Vélot pour les OGM ou hier André Cicollela pour les éthers de glycol).
Cette pratique du dénigrement des scientifiques qui ont, par leurs études, mis en lumière des risques associés à des produits ou des technologies n’est pas nouvelle.
Dans son rapport de 2000 intitulé "Signaux Précoces, leçons tardives, le principe de précaution 1896-2000", l’Agence Européenne pour l’Environnement avait décrit de manière détaillée et étayée par de nombreuses notes comment, depuis l’amiante (c’est-à-dire les dernières années du XIXe siècle) les lobbys s’étaient organisés –de mieux en mieux– pour faire taire ceux qui soulignaient des risques potentiels, en les marginalisant et en s’attaquant personnellement à eux plutôt que discuter du bien fondé de leurs thèses.
Avec les cigarettiers, la manière de faire s’est perfectionnée: des scientifiques de renom comme Fred Singer étaient embauchés par les industriels de la cigarette pour défendre la thèse de l’absence de preuve de la nocivité du tabac et le caractère peu sérieux des scientifiques qui démontraient le contraire.
Cette pratique est passée aujourd’hui à un stade industriel avec les climato-sceptiques, dont les liens au moins, aux États-Unis, avec certains pétroliers –et en particulier Exxon– ne sont plus à démontrer.
Il est du reste piquant de noter que les organisateurs du faux débat sur l’absence de cause anthropique au changement climatique sont précisément... les mêmes que ceux qui auparavant avaient durant 20 ans entretenu le faux débat sur la dangerosité du tabac.
Nous assistons aujourd’hui au même phénomène pour les OGM.
L’association qui dénigre le professeur Gilles-Eric Séralini est composée de personnes qui ont des liens avec l’agrosemence.
Le conseil de Gilles-Eric Séralini a établi, preuves à l’appui, que 14 membres de cette association avaient déposé des brevets auprès des agrosemenciers~ et que 12 d’entre eux administraient ou étaient employés par une firme agrosemencière.
Quant à Marc Fellous , il omet dans son CV de préciser qu’il a déposé 2 brevets pour la société YEDA qui est la partie commerciale de l’institut Weismann.
Il n’y a rien de déshonorant à travailler pour les organismes fabricant des OGM et à déposer des brevets.
En revanche, il est tout à fait anormal de se prétendre expert défenseur d’une science qui serait désincarnée, désintéressée et détachée de toutes considérations mercantiles en omettant soigneusement de préciser son activité réelle.
Il est encore plus anormal de bâtir une stratégie de défense des groupes ou intérêts pour lesquels on travaille en dénigrant des chercheurs dont le seul tort est de gêner ces groupes.
Il est enfin purement scandaleux d’avoir ce type de comportement pour éviter qu’un sujet de santé publique ne vienne sur la table et pour tenter de dissimuler une vérité qui dérange. Or, c’est précisément le sujet.
L’étude que Monsanto et l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) reprochent au professeur Séralini est celle qui démontre la potentialité de conséquences sanitaires des OGM.
La bataille consiste à éviter, comme dans le cas de l’amiante, que des études, indépendantes des agrosemenciers, soient menées à bien, car elles risqueraient de faire éclater le problème au grand jour et de permettre la mise en cause des industriels qui aujourd’hui évitent leur responsabilité grâce au risque de développement.
Celui-ci permet de ne pas mettre en cause la responsabilité d’une firme quand l’état des connaissances, au moment de la mise sur le marché, ne permet pas de connaître un risque.
Donc, ne pas chercher, c’est être sûr de ne pas trouver et par conséquent de ne pas être responsable des conséquences futures. Donc haro sur tous ceux qui essaieraient de faire de la recherche, a fortiori qui trouveraient des effets sanitaires aux OGM.
Ainsi, seule la justice peut se prononcer pour faire en sorte que la controverse scientifique puisse se dérouler normalement et pas par invective et que les études indispensables à la sécurité sanitaire de nos concitoyens soient enfin réalisées.
Source : www.mediapart.fr
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