La Soufrière de Guadeloupe
03/07/2010
La Soufrière de Guadeloupe avant, pendant et après l'éruption phréatique de 1976
Le volcanisme dans l'Arc antillais (3)
La Soufrière de Guadeloupe
par André Guyard et Serge Warin
(Dernière mise à jour : 10/12/2013)
Au cœur des Antilles, la Guadeloupe se trouve à la jonction des deux chapelets d'îles qui la composent : la Grande-Terre, plate et calcaire à l'est, et la Basse-Terre (Guadeloupe proprement dite), volcanique et montagneuse à l'ouest qui culmine au volcan de la Soufrière, 1 467 m. Avec la Désirade, Marie-Galante et les Saintes, l'archipel guadeloupéen s'étend sur 1 600 km².
La Soufrière avant 1976
La Soufrière de Guadeloupe s'est formée récemment (entre 100 000 et 200 000 ans). C'est un volcan toujours actif et dangereux qui a connu une activité magmatique intense, comme le témoignent ses multiples dômes, diverses éruptions explosives et des effondrements partiels. Jean-Christophe Komorowski et Georges Boudon, à l'Institut de physique du Globe de Paris, ont montré que de tels événements se sont produits au moins huit fois au cours des 7 800 dernières années. Depuis la formation du dôme actuel, en 1530, la Soufrière a subi six éruptions phréatiques (avec libération d'un énorme panache de vapeur d'eau). De sorte que le dôme actuel a été construit lors de l'éruption de 1530. Depuis cette date, l'activité éruptive a été essentiellement phréatique, n'impliquant que l'eau et des gaz. Le dernier événement date de 1976-1977 : il s'agissait d'une éruption magmatique avortée, le magma étant remonté à quelques kilomètres sous le volcan.
L'éruption phréatique de 1976
Dans le cas d'une éruption phréatique, l'énergie thermique du volcan est emmagasinée dans les réservoirs hydrothermaux – des poches d'eau chaude. L'apport de chaleur en provenance de la chambre magmatique et l'accumulation d'énergie résultant de l'obstruction progressive des exutoires – fumerolles et sources – servant habituellement à son évacuation peuvent entraîner une surpression telle qu'elle déclenche une éruption. La quantité d'énergie stockée et la rapidité avec laquelle elle est évacuée déterminent la violence de l'éruption. Ces deux paramètres dépendent du volume des réservoirs d'énergie et de la structure du dôme volcanique. L'altération du dôme est accentuée par la circulation de fluides hydrothermaux très acides qui attaquent la roche et réduisent sa tenue mécanique.
À partir de 1975, une recrudescence de l'activité sismique de la Soufrière alerte les sismographes de l'observatoire volcanologique. Ces secousses s'amplifient dans le courant de l’année 1976. Dès novembre 1975, le préfet Aurousseau est averti des dangers potentiels et de la nécessité de mettre en place un plan d’évacuation.
La première explosion a lieu le 8 juillet 1976. Il semble que les séismes aient réactivé les failles colmatées par des matériaux anciens. Cette crise sismique fut la cause vraisemblable de la baisse brutale de la pression accumulée à l’intérieur d'une nappe captive chauffée, telle une cocotte minute, par les gaz échappés du magma profond, provoquant la projection de gaz acides, de vapeur d’eau, de cendres volcaniques (téphras) la pulvérisation de roches et de coulées de boues (lahars).
L'examen des photos ci-dessus permet une meilleure compréhension de l'éruption. On voit très bien le réseau de fissures sillonnant le sommet, par où sortent des jets de vapeurs à haute pression et haute température (plus de 100°C). C'est par quatre orifices de ces fissures qu'ont été projetées des masses de cendres et de roches.
La lave habituelle de ce volcan, très visqueuse, s'est entassée et figée au-dessus de l'orifice. On remarque la forme en demi-boule (en dôme) de la masse. Des fissures récentes ou anciennes se sont ouvertes (ou ré-ouvertes) d'où jaillissent des panaches très spectaculaires de vapeur d'eau de couleur blanche. Un peu plus de la moitié du dôme est recouverte de boues grises : ce sont les poussières et les blocs retombés après les explosions nombreuses de cette année-là. Les vents dominants, les alizés ont repoussé les nuages de poussières vers l'Ouest. C'est ainsi qu'une partie de la végétation de la Soufrière a été préservée. Les explosions phréatiques ont été de courte durée (10 à 40 minutes), et se sont produites à la fréquence d'environ deux par mois.
L'éruption phréatique de 1976 ne fut pas la première, on a pu en observer en 1695-1696, et jusqu'à 1809, 1837-1838, 1956. Ce type d'éruption se caractérise par un régime tranquille émettant vapeur d'eau et poussière volcanique, entrecoupé d'explosions violentes qui expulsent des débris de toutes tailles, parfois à des altitudes importantes.
Seuls les gaz du magma montent, réchauffant des nappes d'eau souterraines, les transformant en chaudière où la pression monte jusqu'au moment où le couvercle (ici des couches imperméables) se fend. Les poussières, lapilli, blocs éjectés viennent donc de terrains anciens, faisant déjà partie du cône volcanique : ils sont ramonés tout le long des fentes par la vapeur qui monte brutalement.
Le magma qui aurait dû suivre ces gaz n'a pas pu monter car il n'était pas assez puissant pour écarter et maintenir ouverte la ou les fissures. Partant du réservoir, il s'est bloqué et a figé en profondeur.
Sur la figure ci-dessus, on peut constater que le cratère au sommet du dôme (cratère Tarissan), se trouve sur le tracé de la fente du Nord. C'est par ces deux trous qu'ont été rejetés blocs et poussières en juillet-août 1976.
À l'instant de la prise de vue de la photo ci-dessus, le Tarissan ne rejette que d'épaisses volutes de vapeur mêlée de poussière légère ; le sol tout autour en est couvert, les pieds s'y enfoncent comme dans de la neige. La moindre pluie transforme le tout en boue qui décroche et glisse vers le bas ; quand la masse est suffisante, elle devient un lahar en s'augmentant de blocs et de boue récupérés en aval.
À une extrémité d'une fissure, en bas de la photo, on voit la zone de départ d'une série de lahars. Rappelons qu'un lahar est une coulée boueuse, mélange de boue, de roches parfois énormes, et d'eau chaude bouillante, et qui dévale la montagne à grande vitesse en ravageant tout sur son passage. En 1976, les lahars ont souvent accompagné les explosions, ils peuvent être considérés comme la queue de l'explosion, masse qui ne peut être éjectée, et qui se contente de déborder au point le plus bas de la fissure.
Le lahar emprunte plus bas le tracé de la rivière du Galion. On peut se rendre compte, par rapport à la largeur du chemin en bas à droite qui donne l'échelle, de la taille des plus gros éléments et donc de l'impétuosité du courant qui donne son impulsion à ce genre de coulée boueuse.
Le 8 juillet 1976, un lahar a ainsi descendu la rivière du Carbet sur 3,5 km. Il avait 30 à 50 m de large, et une épaisseur de 15 à 20 m.
Spontanément, 25 000 personnes du sud de la Basse-Terre évacuèrent la zone pour se réfugier vers la Grande-Terre, hors d'atteinte.
Une polémique très médiatisée éclata entre les scientifiques Claude Allègre et Haroun Tazieff sur la nécessité de l’évacuation. Claude Allègre préconisa l’évacuation de la population, affirmant catégoriquement que l’éruption serait grave, alors qu'Haroun Tazieff soutint que l’éruption était sans danger, toutes les analyses d’échantillons prélevés sur le volcan établissant qu’il n’y avait pas de montée de magma frais.
Hanté par le spectre de l'éruption catastrophique de la Montagne Pelée en Martinique et ses 29 000 morts, le préfet Aurousseau décida l’évacuation l’évacuation de la partie sud de la Basse-Terre ainsi que de la préfecture, soit 73 600 personnes. Aucun mort n'a été déploré et l’éruption ne fit que des dommages matériels.
L’activité volcanique continua encore quelques mois suite à cette éruption, avec d'autres coulées de boues et émissions de cendres. Le 15 août, l’évacuation totale et obligatoire du sud de la Basse-Terre fut ordonnée. Elle dura jusqu’au 18 novembre 1976.
Depuis, le magma a relâché de façon sporadique des gaz acides dans le système hydrothermal du volcan. L'activité du volcan a progressivement diminué jusqu'en 1992, où elle a augmenté à nouveau, vraisemblablement à cause d'une réorganisation de la circulation des fluides.
La surveillance de la Soufrière
L’observation de la Soufrière a débuté en 1950 avec la création du laboratoire de physique du globe à Saint-Claude, dépendant de l’institut de physique du globe de Paris. Deux sismographes furent installés immédiatement. C’est grâce à cet observatoire que l’éruption de 1976 fut détectée à l’avance.
L'accès du volcan est resté interdit durant l'année 1976 et le début de l'année 1977. En effet, tant que les éruptions phréatiques se poursuivaient, des projections de blocs avaient lieu. Seuls les scientifiques avaient accès à leurs appareils de contrôle, encadrés par des CRS chargés de la sécurité et munis de talkies walkies. En particulier l'équipe de Haroun Tazieff qui fut très active. Un seul blessé : François Le Guern, de l'équipe Tazieff, un de mes anciens étudiants à la fac des sciences de Besançon.
À l'époque de l'éruption de 1976, j'étais en poste en Guadeloupe à l'Université des Antilles et de la Guyane en tant que professeur de biologie et je fus convié un jour à participer à une expédition d'une équipe chargée de relever des données.
L'accès de l'ancien parking de la Savane des Mulets étant interdit, l'équipe devait partir à pied depuis Saint-Claude pour atteindre le sommet du Carmichael, un petit piton voisin de la Soufrière et en vue directe avec la sommité du volcan.
Connaissant les conditions de ce transfert, j'avais décidé de me munir, outre d'un casse-croûte frugal, de mon seul imperméable et de mon appareil photo pour voyager léger. Mais mon petit bagage fut vite repéré et on me confia un fardeau : une batterie de 12 kg.
Il fallait grimper à travers une forêt sous des trombes d'eau, glissant dans les cendres, s'accrochant aux branches basses pour garder l'équilibre et progresser, l'épaule sciée par le poids des batteries. Et puis ce fut le sommet du Carmichael et l'installation des batteries. Ouf !
Ci-dessous le reportage en photos.
Après l'installation du matériel et une prise de nourriture, visite de la Soufrière elle-même pour inspecter les lieux et pratiquer des mesures in situ. Le casque est obligatoire.
En 1989, en remplacement de l'ancien labo de Saint-Claude, un observatoire moderne fut construit sur la commune de Gourbeyre, à neuf kilomètres au sud-ouest de la Soufrière. Ses missions sont :
- la surveillance de l’activité volcanique de la Soufrière ;
- la surveillance de la sismicité régionale ;
- la participation à des travaux de recherche ;
- l’information préventive sur les risques sismiques et volcaniques.
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